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Édito #85 : Sortir de l'ombre de L'Empire Contre-Attaque

Par Republ33k
17 octobre 2016
Édito #85 : Sortir de l'ombre de L'Empire Contre-Attaque

Existe-t-il meilleur Star Wars que L'Empire Contre-Attaque ? On se posait la question en parallèle de notre dernier Wookie Leaks la semaine dernière. Le Star Wars d'Irvin Kershner, révéré par bien des fans, de nombreux critiques et toute une industrie qui repose désormais sous l'exploitation de franchises, ne semble pas prendre une ride, tant il se retrouve chaque jour dans les discours inspirés de réalisateurs, acteurs et autres producteurs qui pèsent à Hollywood. Il était donc grand temps pour nous de mener l'enquête sur ce deuxième opus qui semble définir tous les autres, près de quarante ans après sa sortie.

Et pour plonger la tête la première dans le sujet, il nous faut bien sûr revenir sur l'importance qu'a L'Empire Contre-Attaque pour la saga Star Wars, de manière générale, et pour sa première trilogie, tout spécifiquement. Sorti en 1980, le film ne coulait pas de source pour George Lucas, qui avait confié son écriture à Lawrence Kasdan et sa réalisation à son mentor, Irvin Kershner. Mais avant d'être le chef d'œuvre en puissance que nous connaissons, le film aurait pu être bien différent puisque Lucas avait été chercher Leigh Brackett, une célèbre autrice de science-fiction, pour l'aider à trouver une suite digne d'intérêt. Finalement, c'est Kasdan, qui prenait très au sérieux le matériau original - peut-être beaucoup plus que Lucas finalement - qui empocha le précieux sésame, puisque tonton George préféra son pitch, assez adulte, à celui de Brackett, qui imaginait un tout autre film, comme vous le précisait mon cher David il y a quelques mois. L'Empire Contre-Attaque est donc avant tout la rencontre de l'imaginaire de Lucas et de ceux de deux autres créateurs, Kasdan et Kershner, qui s'en vont forger un film de légende, pour la saga et le tout Hollywood. Moralité, lorsque le film sort, et malgré des critiques toujours assez dures envers l'univers de Lucas, le film souffle son public, en faisant monter la pression d'un cran, en introduisant de nouveaux personnages, de nouveaux lieux mais aussi en révélant ce qui est encore aujourd'hui le twist le plus célèbre de l'histoire du cinéma. Autant d'ingrédients parfaits pour la recette d'un film culte.

Et justement, puisque nous parlons de recette, c'est (peut-être) tout ce qu'est L'Empire Contre-Attaque aujourd'hui. Ce n'est un secret pour personne, Hollywood fonctionne désormais à grands coups de formule toutes prêtes, depuis quelques années déjà. Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont toutes mauvaises, mais qui explique peut-être pourquoi les acteurs, réalisateurs et producteurs ont toujours plus recourt à ce genre de phrases toutes faites du style "le deuxième épisode de notre franchise sera notre Empire Contre-Attaque". Il faut dire que les studios ont développé tout un langage marketing autour de ce genre de comparaisons, parfaites pour allécher le public, ou faire comprendre à un réalisateur ses futurs objectifs. A la rigueur, toutes les industries fonctionnent ou du moins jonglent avec ce type d'images, mais il faut bien le reconnaître, dans le business des grosses franchises, L'Empire Contre-Attaque semble être la seule référence possible, comme s'il n'existait pas de deuxième opus plus fameux. On pourrait pourtant citer La Colère de Khan chez le concurrent Star Trek, Terminator : Le Jugement Dernier (que le grand public considère parfois comme le premier Terminator d'ailleurs) ou même Indiana Jones et le Temple Maudit, même si techniquement, celui-ci est une préquelle puisque son intrigue se déroule avant Les Aventuriers de l'Arche Perdue. Mais il faut aussi rappeler qu'à l'heure actuelle, L'Empire Contre-Attaque dispose d'une aura de sainteté dont peuvent seulement rêver les autres seconds opus : pour beaucoup, et nous les premiers, c'est un excellent film, une excellente suite et un métrage qui transcende tout simplement son aîné, en ouvrant les vannes de son univers et en lui offrant de vraies lettres de noblesse. Autant de constats dont fantasment tous les producteurs d'une suite à gros budget, et encore plus en 2016, où l'effet nostalgie ajoute encore un peu de prestige au film de Kershner.

A propos de nostalgie, d'ailleurs, il est assez amusant de constater qu'un certain Adam Driver, l'interprète de Kylo Ren dans la nouvelle trilogie Star Wars, avait un temps comparé le huitième épisode de la saga à L'Empire Contre-Attaque avant de sensiblement revenir sur ses propos. Une déclaration presque courageuse à l'heure où tout le monde y va de sa comparaison avec l'opus d'Irvin Kershner, puisque le langage développé par les studios est si fort et récurrent qu'il a vidé le name-dropping de tout son sens. Or, Driver l'avait bien compris en expliquant que le public ne retenait - à tort - que l'aspect sombre de cet opus. Certes, on nous y révèle que le vilain et le père du héros (qui perd d'ailleurs une main dans l'opération) et notre cher Han Solo s'y retrouve congelé, mais est-il vraiment plus sombre que l'était un Star Wars où boire un verre pouvait vous faire perdre un bras d'un revers de sabre-laser où dans lequel votre vie tenait à la conscience d'un contrebandier intéressé ? Sans doute un peu plus, c'est vrai. Mais pas non plus au point d'en faire une toute autre franchise en termes de ton, à mon sens. Or, c'est pourtant tout ce qui semble se dégager des comparaisons récentes faites avec L'Empire Contre-Attaque, comme le démontrent (malgré eux) Juan Antonio Bayona et Colin Trevorrow (qui ironie du sort, se chargera de Star Wars IX) en discutant du second Jurassic World. A croire que la noirceur fait vendre, ce qui paraît tout à fait antinomique avec l'actuel climat hollywoodien, déjà beaucoup moins frileux que par le passé (à en croire tout ce qui passe aujourd'hui sous un PG-13) et toujours plus porté sur la déconne et la légèreté, le succès de Marvel Studios en atteste.

Citer L'Empire Contre-Attaque à outrance a donc vidé le film de toute sa substance, du moins, lorsqu'il est mentionné dans une conversation cinéphile, qu'elle soit enregistrée ou non. Un constat assez amer mais finalement tout à fait conforme à l'image d'un Hollywood moderne où la comparaison a presque plus de sens et de poids que le futur film concerné. Une publicité pas chère et facilement relayée, comme si on s'étonnait encore de voir des professionnels de l'industrie dégainer la carte du cinquième ou plutôt du deuxième Star Wars. L'étonnement, c'est pourtant tout ce qui a fait et fera encore le charme de L'Empire Contre-Attaque, plus qu'une noirceur à mon humble avis un peu surfaite : imaginez, à l'époque, la découverte du lien familial unissant Vador à Luke, une première visite dans la cité des nuages, un cliffhanger aussi amer. Des expériences que Hollywood semble chérir, d'après les déclarations de ses acteurs, réalisateurs et producteurs. Pourtant, de nos jours, le même Hollywood semble paralysé à l'idée de prendre des risques, à tenter, à éprouver les limites de ce qui fait d'un film une bonne suite. Comme si ceux qui révéraient l'héritage de L'Empire Contre-Attaque n'osaient plus donner à leurs films tout ce qui avait fait du métrage de Kershner une œuvre culte. Comme si ce film n'était plus qu'un argument marketing, et pas un modèle à suivre, une sorte de paradoxe qui me rappelle beaucoup mes heures sur les bancs d'une école de commerce où l'on aimait beaucoup parler du génie derrière Apple, mais sans chercher à le comprendre. Ce qui nous mène droit vers d'épineux problèmes comme la vanne (qui sort du cadre de SyFantasy) de Shane Black sur le Mandarin dans Iron Man 3 : ce qui demandent à être surpris sont les premiers à critiquer la surprise.

A ce titre, je ne serais pas contre l'ascension d'un nouveau modèle pour les suites de franchises, tout fan de Star Wars que je suis. Certes, les comparaisons multiples n'enlèvent rien au charme de L'Empire Contre-Attaque, qui en tant que film, continue de me séduire, et continuera à surprendre des générations de spectateurs entières. Mais la comparaison trouve vite ses limites en 2016, où invoquer le film de Kershner paraît aussi hypocrite que banal, quand on y pense : louer les mérites de ce Star Wars est une chose, les comprendre en est une autre. A ce titre, il sera tout particulièrement intéressant de poser nos yeux, en décembre 2017, sur le Star Wars de Rian Johnson, que beaucoup voient déjà comme L'Empire Contre-Attaque d'une nouvelle génération, mais qui à mon sens, devra être beaucoup plus que ça : Si on doit tenir la saga comme responsable de  l'emprisonnement d'Hollywood dans un cercle de références infernales, c'est à la saga de l'en sortir en lui offrant un nouveau modèle de réussite, plus frais et à même de résister à la tentante parodie du "darker is better". A toi de jouer Rian, mais sans pression.