Actualités

Exclu SyFantasy - Dévoilement de la couverture du Temps des Retrouvailles de Robert Sheckley (éditions Argyll)

Par Louis - CINAK
5 min 18 novembre 2021
Exclu SyFantasy - Dévoilement de la couverture du Temps des Retrouvailles de Robert Sheckley (éditions Argyll)

Les éditions Argyll nous donnent la chance de partager avec vous la couverture de leur sortie de Février 2022 : Le Temps des Retrouvailles de Robert Sheckley, magnifiquement illustré par Xavier Collette ! En exclusivité, ils vous proposent d’apercevoir l’œuvre de ce Grand de la science-fiction américaine de très nombreuses fois adapté à l’écran.

Son œuvre est pétri de pessimisme et de manipulations où l’Homme est enfermé dans des sociétés terrifiantes ou dans des jeux inhumains. Entre drame et humour noir, Robert Sheckley s’est spécialisé dans le rire dramatique !

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les éditions Argyll vous proposent un extrait du recueil qui contiendra pas moins de 13 histoires ! (Re)-découvrez ici Le Prix du Danger, magnifiquement adapté en 1958 par Yves Boisset !  

***

Le Prix du danger

Raeder haussa la tête avec prudence au-dessus de l’appui de fenêtre. Il vit l’escalier de secours et, tout en bas, une chaussée étroite sur laquelle se trouvaient une voiture d’enfant en mauvais état et trois poubelles. À cet instant, un bras couvert d’une manche noire sortit de la plus éloignée d’entre elles, brandissant un objet brillant. Raeder se baissa vivement. Une balle siffla au ras de son crâne et troua le plafond, l’inondant de plâtre.

À présent, il était renseigné. La ruelle était gardée, tout comme la porte.

Il s’allongea sur le linoléum craquelé, regardant fixement le trou foré par le projectile, guettant les bruits venus du palier. Raeder était un homme de grande taille, aux yeux rougis, la mâchoire couverte d’une barbe de deux jours. La poussière et la fatigue avaient marqué ses traits. La peur avait sculpté sa figure, raidissant un muscle ici, faisant tressaillir un nerf là. Le résultat était surprenant. Son visage, comme remodelé par l’approche de la fin, avait du caractère désormais.

Un tueur l’attendait en bas, et deux autres dans l’escalier. Il était pris au piège. Il était foutu.

Il songea que s’il remuait et respirait encore, c’était uniquement du fait de l’incompétence de la mort. Elle en finirait avec lui dans quelques minutes. Elle forerait des trous dans son corps, étalerait du sang avec art sur ses vêtements, disposerait ses membres dans quelque grotesque posture digne d’une danse macabre…

Raeder se mordilla la lèvre inférieure. Il voulait vivre. Il devait trouver un moyen.

Roulant sur le ventre, il inspecta le misérable appartement où les tueurs l’avaient acculé. Une seule pièce en guise de parfait petit cercueil. Elle avait une issue principale, qui était surveillée, et une autre de secours, qui ne l’était pas moins. Plus une minuscule salle de bains sans fenêtre.

Il rampa jusqu’à cette dernière et se redressa. Il y avait une large crevasse au plafond. S’il parvenait à l’agrandir, à se hisser dans l’appartement du dessus…

Il entendit un coup sourd. Les tueurs s’impatientaient. Ils commençaient à enfoncer la porte.

Il examina le trou au-dessus de lui. Inutile d’y songer. Il n’aurait pas le temps de l’élargir.

Ils se jetaient contre le battant, grognant à chaque poussée. Bientôt, la serrure céderait, ou les gonds s’arracheraient du bois pourri. L’obstacle vaincu, les deux hommes au visage impassible feraient leur entrée, époussetant leur veste…

Mais quelqu’un allait sûrement l’aider ! Il tira de sa poche son téléviseur miniature. L’image était floue, mais il ne perdit pas de temps à la mettre au point. Le son, lui, demeurait clair et parfaitement audible.

Il écouta Mike Terry, qui s’adressait à son vaste public d’une voix bien modulée.

« … très mal en point, disait-il. Oui, mes amis, Jim Raeder se trouve dans une passe vraiment très délicate. Il se cachait, vous vous en souvenez, dans un hôtel de troisième ordre de Broadway, sous un faux nom. Il semblait relativement en sécurité. Mais le groom l’a reconnu et a transmis le renseignement au gang Thompson. »

La porte gémissait sous les coups répétés. Les doigts crispés sur le petit poste de télévision, Raeder redoubla d’attention.

« Jim Raeder a réussi de justesse à s’évader de l’hôtel. Talonné de près, il a pénétré dans une vieille maison de West End Avenue, au 156. Il avait l’intention de s’enfuir par les toits. Et il aurait pu réussir, mes amis, il avait une chance. Seulement, la porte donnant accès au toit était verrouillée. Tout avait l’air fini… Mais Raeder s’est aperçu que l’appartement 7 était accessible et vide. Il y est entré… »

Au terme d’une pause dramatique, Terry s’écria : « … et maintenant, il y est pris au piège, comme un rat ! Le gang Thompson défonce la porte ! L’issue de secours est surveillée. Notre équipe de cameramen, postée dans un immeuble voisin, vous donne un gros plan. Regardez, mes amis, regardez bien ! N’y a-t-il plus d’espoir pour Jim Raeder ? »

N’y a-t-il plus d’espoir ? répéta mentalement Raeder, ruisselant de sueur dans la petite salle de bains sombre et étouffante, guettant le martèlement régulier contre la porte.

« Attendez ! cria Mike Terry. Tenez bon, Jim Raeder, tenez encore un peu. Peut-être y a-t-il de l’espoir quand même ! Je reçois à l’instant un appel urgent d’un de nos téléspectateurs, un appel sur la ligne du Bon Samaritain ! Voici quelqu’un qui pense pouvoir vous aider, Jim. Allô, Jim Raeder, vous m’entendez ? »

Raeder attendit. Il perçut le bruit des gonds arrachés au bois pourri.

« Allez-y, monsieur, reprenait Mike Terry. Quel est votre nom ?

— Heu… Félix Bartholemow.

— Ne soyez pas nerveux, M. Bartholemow. Continuez.

— Eh bien… d’accord. M. Raeder, poursuivit tout bas une voix tremblante de vieillard, j’ai habité au 156 West End Avenue. Dans l’appartement où vous êtes coincé – celui-là même ! Écoutez bien : cette salle de bains a une fenêtre, M. Raeder. Elle a été recouverte de peinture, mais elle… »

Raeder enfouit son poste de télévision dans sa poche. Il repéra les contours de l’huisserie et donna un grand coup. Du verre s’éparpilla et la clarté aveuglante du jour se répandit dans le réduit. Il enleva les fragments de vitre accrochés au châssis et se hâta de regarder en contrebas.

Au fond d’une sorte de puits, une cour cimentée.

Les charnières cédèrent. Il entendit la porte s’abattre. Raeder enjamba vivement le rebord, resta un bref instant suspendu par le bout des doigts et lâcha.

Le choc fut étourdissant. Il se releva en titubant. Un visage apparut à la fenêtre brisée.

« Pas de chance », dit l’homme en se penchant pour viser avec soin de son calibre 38 à canon court.

À ce moment, une bombe fumigène explosa dans la salle de bains.

La balle du tueur manqua son but. Il se retourna en jurant. D’autres fumigènes éclatèrent dans la cour, voilant la silhouette du fugitif.

Il entendait la voix de Mike Terry jaillir avec des accents frénétiques de son récepteur de poche.

« Sauvez-vous ! hurlait-il. Courez, Jim Raeder, courez ! Fuyez maintenant, pendant que les tueurs sont aveuglés par la fumée. Et merci au bon Samaritain Sarah Winters, du 3412 Edgar Street, Brockton, Massachusetts, pour avoir fait don de cinq bombes fumigènes et avoir engagé un homme pour les lancer ! »

D’une voix plus modérée, Terry poursuivit :

« Vous avez sauvé une vie humaine aujourd’hui, Mme Winters. Voulez-vous expliquer à nos spectateurs ce que… »

Raeder n’entendait plus. Il traversait à toutes jambes la courette pleine de fumée, au milieu des cordes à linge, et débouchait à son extrémité.

Il descendit la 63e Rue, le dos voûté pour paraître plus petit et trébuchant d’épuisement, étourdi par le manque de sommeil et de nourriture.

« Eh, vous là-bas ! »

Raeder se retourna. Une femme entre deux âges, assise sur le perron d’une maison de grès rouge, le dévisageait.

« C’est vous, Raeder, n’est-ce pas ? Celui qu’on essaie de tuer ? »

Il s’apprêtait à déguerpir, mais la femme le héla de plus belle.

« Allez, venez ! Entrez, Raeder ! »

C’était peut-être un piège, mais il savait qu’il lui fallait faire confiance à la générosité et au bon cœur des gens, ses concitoyens. Il était leur représentant, une projection d’eux-mêmes, un individu moyen qui avait des ennuis. Sans eux, il était perdu. Avec eux, rien ne pouvait l’atteindre.

« Fiez-vous aux braves gens, lui avait dit Mike Terry. Ils ne vous laisseront jamais tomber. »

Il suivit la femme dans son salon. Elle le fit asseoir et sortit, pour revenir presque aussitôt munie d’une assiette pleine. Elle resta debout à le regarder manger, comme on observe au zoo un singe grignoter ses cacahuètes.

Deux enfants quittèrent la cuisine et le dévisagèrent. Trois hommes en salopette émergèrent de la chambre et braquèrent une caméra de télévision sur lui. Il y avait un gros poste de télé dans la pièce. Tout en avalant sa nourriture, Raeder gardait les yeux fixés sur Mike Terry et écoutait sa voix sonore, soucieuse, pleine de sincérité.

« Le voici, mes amis, commentait-il. Voici Jim Raeder prenant son premier vrai repas depuis deux jours. Notre équipe a dû travailler dur pour vous faire assister à cela ! Merci, les enfants… Mes amis, Jim Raeder a trouvé un abri temporaire grâce à Mme Velma O’Dell, du 343, 63e Rue. Merci, Bon Samaritain O’Dell ! C’est merveilleux de voir combien de gens de toutes conditions s’intéressent à Jim Raeder ! »

« Vous feriez bien de vous dépêcher, dit Mme O’Dell.

— Oui, madame, répondit Raeder.

— Je ne veux pas voir jouer du revolver chez moi.

— J’ai presque fini, madame. »

L’un des enfants demanda :

« Ils ne vont pas le tuer ?

— Tais-toi ! » ordonna Mme O’Dell.

« Oui, Jim, psalmodia Mike Terry, vous feriez mieux de vous hâter. Vos tueurs ne sont pas loin. Ils ne sont pas bêtes, Jim. Mauvais, pervers, déments… oui ! Mais pas idiots. Ils suivent une piste sanglante… le sang tombé de votre main blessée, Jim ! »

Alors, seulement, Raeder s’aperçut qu’il s’était entaillé la main.

« Donnez, je vais vous bander ça », dit Mme O’Dell.

Raeder se leva et se laissa soigner. Ensuite, elle lui donna une veste marron et un chapeau mou de couleur grise.

« C’est à mon mari », expliqua-t-elle.

« Il a un déguisement, mes amis ! s’exclama Mike Terry avec ravissement. Voilà du nouveau. Un déguisement ! Avec sept heures encore devant lui avant d’être sauvé ! »

« Maintenant, partez ! lança Mme O’Dell.

— Je m’en vais, madame. Merci.

— Je vous trouve stupide, reprit-elle. Stupide de vous être fourré dans une histoire pareille.

— Oui, madame.

— Ça n’en vaut pas le coup. »

Raeder la remercia et s’en alla. Il marcha vers Broadway, prit le métro jusqu’à la 59e Rue, puis changea en direction de la 86e. Là, il acheta un quotidien et monta dans le direct de Manhasset.

Il consulta sa montre. Il lui restait six heures et demie à tenir.

 

Traduction d'Arlette Rosenblum (révisée par Lionel Evrard)

 

Découvrez les autres romans des éditions Argyll ici !