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Interview de Ghyld V. Holmes, auteur de L'Affaire Haartmenger

Par Woulfo
5 mars 2014
Interview de Ghyld V. Holmes, auteur de L'Affaire Haartmenger

Woulfo vous avait promis une "affaire à suivre" à la fin de sa critique de l'affaire Haartmenger, et cette promesse est aujourd'hui mise à nue avec l'interview de Ghyld V.Holmes, auteur de cette curiosité littéraire qui a su capter notre attention :

Bonjour Ghyld V. Holmes, d'où vous est venu l'idée de l'Affaire Haartmenger ?

J’adore la SF et plus particulièrement l’anticipation. C’est un genre qui mêle à la fois évasion et réflexion. L’évasion, car les avancées technologiques offrent énormément de possibilités (tant que l’on se force à rester un tant soit peu cohérent). La réflexion, car le monde qui sert de cadre est le prolongement direct du nôtre. Ce qui permet d’extrapoler les problèmes avérés ou embryonnaires de notre époque pour les évoquer plus librement dans le cadre d’une fiction futuriste.

Quant à l’histoire, elle est venue par pièces, à partir de 3 envies à priori distinctes : explorer un trio non amoureux, mêler science-fiction et fantastique et une troisième que je ne peux révéler sans spoiler complètement l’histoire.

Il était évident que ces 3 éléments prenaient une tout autre dimension s’ils s’intégraient dans un environnement hautement technologique.

Le numérique était-il dès le départ une évidence ?

Oui et trois fois oui !

Par la dématérialisation des supports physiques, le net est en train de changer complètement la donne. On n’en comprend pas toutes les conséquences, on ne sait plus comment monétiser son travail, mais cela n’empêche pas le numérique de relayer l’analogique aux rangs de techniques primitives d’un autre siècle. Littéralement.

Tout le monde reconnait que les forêts sont le poumon de notre planète. Nous les avons dévastées, car nous ne pouvions faire autrement. Maintenant, en ce qui concerne l’industrie du livre, le numérique ouvre d’autres voies.

Sans compter que, les frais d’impression disparaissant, le prix du livre devrait être forcément moindre et rendre ainsi la culture plus abordable.

S’obstiner à publier en papier relève donc d’un archaïsme intellectuel.

Les raisons qui poussent les éditeurs à cela ne sont que purement commerciales : le papier jouit d’une meilleure exposition que le numérique et les marges sont mathématiquement plus importantes.

Mais la grande hypocrisie dans l’histoire, c’est que la donne est dans les mains des éditeurs : si demain tous les éditeurs ne sortaient plus que des versions numériques, tant les revendeurs que les lecteurs suivraient naturellement !

Avec mon éditeur, nous avons décidé de vivre avec notre temps et non dans le passé, même si c’est plus incertain, moins confortable et indéniablement moins rentable !

Et puis, nous sommes très versés dans le Transmédia et sommes systématiquement attirés par cet aspect narratif dès que nous commençons un nouveau projet. Or, le livre dans sa version papier n’est pas spontanément très Transmédia Friendly.

Par exemple, l’apparition Vigile dans les remerciements à partir du deuxième tome a été planifiée depuis le début. C’est via ce lien que l’on découvre son site. Et à travers son site, que l’on découvre d’autres informations confidentielles sur l’univers et sur les personnages.

Ça, les versions papiers ne peuvent pas le restituer avec la même fluidité.

Sur votre site internet, vous faites référence à trois oeuvres de Philip K. Dick, à quel point est-il important pour vous en tant qu'auteur et à quel point est-il important pour L'Affaire Haartmenger ?

À mon sens, le XXe siècle a connu 4 grands précurseurs. Évidemment, il y eut et existe encore plein de bons, voir de très bons auteurs. Mais des précurseurs, des visionnaires qui posèrent les fondations à partir desquelles les autres conteurs purent développer leur propre vision des genres, je n’en vois que 4. Pas plus, pas moins. Ce sont (par ordre alphabétique): Isaac Asimov, Philip K Dick, Howard Philip Lovecraft et J.R.R. Tolkien.

Parmi eux, il s’en trouve 2 dont je me sens proche : Dick et Lovecraft.

Leurs œuvres sont riches, visionnaires, intemporelles tout en étant profondément enracinées dans une époque, une vision du monde. Elles peuvent donc être adaptées sans perdre de leur force (Blade Runner de Ridley Scott en reste la parfaite démonstration). Cette adaptation se retrouve naturellement dans la forme, mais peut également se situer dans le fond, au niveau des idées elles-mêmes qui peuvent être revisitées, enrichies par les découvertes récentes, tout en conservant leur identité, leur substance originale.

Contrairement à l’univers de Tolkien que des fans ont érigé en une bible intouchable et qui se trouve ainsi condamné à mourir…

Quant à l’œuvre d’Asimov, même si je suis un grand fan de Fondations, il ne reste surtout que ses 3 lois sur la robotique… sans lesquelles la Science-Fiction n’aurait jamais été ce qu’elle est actuellement !

En fait, quelque part, on peut dire que l’affaire Haartmenger est l’enfant illégitime de Dick et de Lovecraft. ;-)

L'Affaire Haartmenger possède un format épisodique très prononcé, chaque chapitre nous garde en haleine en attendant le suivant. Est-ce le "seul" avantage du format épisodique ?

L’aspect que vous évoquez vient tout droit des auteurs et scénaristes américains. C’est la technique du Hook (littéralement, le crochet). Je ne conçois pas l’écriture d’une histoire (que cela soit un roman ou un scénario), sans temps forts qui captivent le spectateur ou le lecteur et maintiennent son intérêt tout au long du récit.

Alors, évidemment, cette technique est encore plus adaptée aux structures feuilletonesques.

Mais ce n’est pas là la seule force d’une telle structure. L’autre point fort réside dans le fait de pouvoir explorer l’histoire de manière tentaculaire, ce qu’un récit traditionnel, en un seul tenant, ne permet pas.

Ainsi, la série offre la possibilité de faire une digression ou un focus sur des aspects particuliers. De les explorer ou de les grossir autant que l’on le souhaite, puis de revenir à la l’intrigue principale.

La multiplication des personnages et des lignes narratives est indéniablement la grande force des feuilletons, qu’ils soient télévisuels, littéraires, bédesques ou même cinématographiques (là, je pense à star wars avec 6 films sortis en salle plus 3 autres de programmer).

L'Affaire Haartmenger était-il pensé dès le départ comme épisodique ?

Clairement, oui. Je trouve que les séries offrent le seul véritable terreau propice au développement d’histoires profondes, divertissantes, intéressantes et stimulantes intellectuellement.

Et puis, les longs pavés de 900000 mots ont tendance à être décourageants…

Enfin, cela fait longtemps que j’ai fait mienne la petite phrase d’Hitchcock : mieux vaut partir du cliché que d’y arriver. Et pour cela, il faut pouvoir installer son récit dans la durée.

L’avantage d’un tel format, c’est qu’il permet justement de prendre le temps de révéler toute l’originalité non pas seulement d’une histoire, mais plus largement d’un univers. Lentement, comme lorsque l’on croque un mille-feuille et qu’on laisse l’ensemble des saveurs envahir notre palais successivement jusqu’à le saturer de saveurs. La série, c’est le plaisir des gourmets, bien loin de la restauration rapide cinématographique à l’image de R.I.P.D.

Ce que j’ai révélé du monde d’Haartmenger à ce stade doit représenter moins de 5% de ce que j’ai développé de l’univers. On connait quelques quartiers de Berlin, on a une petite vision du monde à cette époque, mais le contexte géopolitique global n’est pas encore exposé, loin de là. Le monde du XXIIe siècle est déroutant, violent. Europa représente sa partie civilisée, la plus proche de ce que nous connaissons actuellement. Alors, évidemment, toutes ses informations se retrouveront distillées avec parcimonie, aux moments les plus opportuns, dans ce roman… et dans d’autres, car le monde de Kovarowski ne serait tenir en une seule affaire (rien qu’à l’évocation de cette idée, j’ai frôlé l’overdose cérébrale !). ;-)

Écrivez-vous épisode par épisode ou tout d'un trait pour mieux découper ensuite ?

Héhéhé, bienvenue dans ma cuisine ! :-)

Pour ne rien vous cacher, j’écris tout d’un trait. Puis, ensuite, je travaille avec mon éditeur : on discute de la structure, on décale des fois des chapitres ou il me demande de développer certains aspects, etc.

Ce travail fait, on découpe le texte complet en plusieurs tomes.

Toutefois, même comme ça, le travail ne s’arrête pas là. Un exemple concret : pour le tome 4, je reçois un coup de fil de Philippe (Coll, mon éditeur) . Ça donne à peu près ça :

—Salut Ghyld, je viens de relire le tome 4, là.

— Eeeeet ?

— Et je me disais que ce serait intéressant de développer tel et tel aspect à ce moment du récit. Ça permettrait de faire le lien entre cet événement et celui-ci et détaillerait un peu plus ce personnage important, mais un peu passé sous silence jusque là. Qu’en penses-tu ?

Le problème avec lui, c’est qu’il a souvent raison. Alors, évidemment, je ne peux qu’être d’accord. D’autant plus que le grand gagnant dans l’histoire, c’est le récit.

Du coup, pour le tome 4, j’ai rédigé 2 nouveaux chapitres.

Philippe, si tu me lis, merci ! ;-)

Peut-on s'attendre à une sortie papier à la demande comme pour SEULS chez Bragelonne ?

Ce choix appartient à mon éditeur. Mais, effectivement, nous avons déjà abordé ce sujet. Il y a longtemps d’ailleurs, avant même que ne sorte le Tome 01. En réalité, nous sommes d’accord sur le fait que pour qu’il y ait une édition papier, il faut qu’elle rajoute un véritable plus à celle numérique.

On veut bien déboiser, MAIS que si cela apporte vraiment quelque chose qui le justifie !

Du coup, proposer l’impression à la demande me parait être une fausse bonne idée, car elle retarde et complique la démocratisation inévitable du numérique. Comme je le disais tout à l’heure, c’est aux éditeurs d’imposer les évolutions technologies. Sinon, on serait un peu dans le cas où les salles de cinéma diffuseraient un film en stéréo plutôt qu’en surround juste parce que le son est très bien comme ça et que personne ne vient réclamer spontanément du 5.1…

Alors je ne dis pas qu’il n’y aura jamais de version papier de l’affaire Haartmenger, mais qu’il n’y en aura une que si elle apporte un plus indéniable à la version existante.

En dehors de l'affaire Haartmenger qui prendra quelques épisodes, pensez-vous réutiliser le trio de tête pour d'autres aventures ?

Le véritable sujet de l’affaire Haartmenger, c’est l’amitié. Sa naissance, sa dissolution, son renforcement, à travers les destinées croisées de ce trio.

Alors, oui, il est d’ores et déjà prévu de retrouver Ana, Matt et Heinke dans d’autres aventures. Sans trop spolier la suite, elles auront leurs racines dans l’affaire Haartmenger, mais seront radicalement différentes, car à la fin de l’affaire, notre trio de tête ne sera plus du tout dans la même situation qu’au moment où on a fait sa connaissance.

On va en découvrir toujours plus sur eux, leur relation étant le thème central, mais aussi sur le monde hors Europa !

Si le premier chapitre était introductif, le deuxième chapitre était plus étrange : plus d'action mais aussi plus intime puisqu'on en apprend plus sur les personnages. Quant au troisième tome, il est plus centré sur l'alchimie du groupe tout en continuant à faire avancer l'intrigue. Que nous réserve la suite ?

Avec le quatrième tome, commence la deuxième partie dont le titre est : « Secrets ».

Cela va donc être l’occasion de découvrir les aspects les plus sombres de l’ensemble des personnages de l’histoire, protagonistes inclus. Pourquoi de telles visions assaillent Sullivan Thorsven ? Quels sont les secrets d’Élijah, le présumé assassin amnésique de Massimo ?

Mais, le lecteur va également percer l’existence de ces groupes mystérieux qui dirigent le monde dans les coulisses du pouvoir.

Les tomes 4, 5 et 6 vont donc creuser en profondeur les situations exposées pour révéler, in fine, la réalité des êtres, des événements et même du monde.

Le tome 6, qui clôture la première saison, se termine sur une révélation qui en laissera plus d’un pantois !

Une prise d'otage d'un poste de police est présent dans le troisième épisode. On sent de nombreuses références ressortir à la lecture de ce passage très punchy. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En fait, je peux même vous donner des noms : Franck Miller, Steven Spielberg et Zack Snyder. Ainsi qu’Anonyme qui a écrit Le livre sans nom.

Et puis, il y a enfin Ghost in the Shell.

Lorsque j’ai écrit cette séquence, toutes ces influences visuelles se sont mélangées. J’ai capté les images comme elles venaient et les ai couchées sur papier.

Comme on ne crée rien à partir de rien, j’imagine qu’elles transpirent de ce passage.

Vous avez fait le choix d'un protagoniste hors roman, Le Vigile, présent sur le site internet et qui nous plonge un peu plus dans cette affaire avec son point de vue. Pour l'instant, ça reste du ressort du "gadget", que proposera-t-il dans les mois à venir ?

Héhéhé ! Ici, dans le Sud, on a un proverbe : qui va piano, va sano ; qui va sano, va longtano (qui va doucement, va surement ; qui va surement, va (dure) longtemps).

Le Vigile n’est pas un gadget. Il aurait pu le rester si Philippe ne m’avait pas soufflé une bonne idée : en faire un protagoniste hors roman. Son rôle dans l’histoire est donc de dévoiler des informations confidentielles sur la géopolitique de l’époque ainsi que sur les protagonistes de cette affaire. Les deux premiers dossiers publiés sur son site révèlent les véritables motivations de la mise en service d’Ariane (la réduction des déplacements individuels (et donc de la liberté qui y est attaché) est une problématique actuelle que l’on néglige un peu trop à mon sens), ainsi que le passé sombre de Mattew Hertzmann.

C’est censé être d’ailleurs grâce à ses informations classifiées sur cette affaire que j’ai pu écrire ma théorie sur le meurtre de Massimo Haartmenger. D’une certaine manière, c’est mon informateur.

L’objectif de cette mise en abîme est vraiment de renforcer l’importance de ce personnage tout en le gardant hors de la narration principale.

Du 12 au 14 Mars (2103) va se tenir un sommet Europano-Américain. Je crois savoir que notre ami nous tweetera en direct ce qui s’y déroule. Ce qui risque de ne pas manquer de piquant au vu du chaos qui règne depuis maintenant 10 ans sur le sol américain… ;-)

Dernière question : avez-vous un livre à faire découvrir à nos lecteurs ?

En fait, pas un livre, mais un Univers en 3 cycles. Le cycle de Ji de Pierre Grimbert. C’est de l’Heroic Fantasy qui se distingue avec le canon qu’est devenue l’œuvre de Tolkien. Car, si j’apprécie énormément ce genre, je déteste retrouver sans cesse ces clichés récurrents et soporifiques que sont les elfes gentils (sauf les noirs), les orques bêtes et méchants (verts ou marrons), les nains barbus dans les mines, etc. Reproduire le travail de Tolkien en l’élevant au rang de Bible immuable constitue un non-sens créatif. Et c’est justement ce que Pierre Grimbert a su éviter dans son œuvre.