Critiques

10 Cloverfield Lane, la critique

Par Republ33k
17 mars 2016
10 Cloverfield Lane, la critique
On a aimé
• Un John Goodman au sommet
• Un personnage principal débrouillard
• Un jeu sur les attentes du spectateur
On n'a pas aimé
• Des faiblesses d'écriture
• Sans doute trop convenu
• Une musique lourdingue

Révélé par les débuts d'une campagne marketing qui aura été exemplaire, 10 Cloverfield Lane est la suite complètement inattendue du premier film Cloverfield (réalisé par Matt Reeves en 2008), qui a eu tôt fait de transformer la surprise des spectateurs en un énorme réservoir à hype, rempli par des semaines de promotion cryptique et de retours encourageants. Et puisque le film de Dan Trachtenberg est dans nos salles depuis hier, il est temps de vider le bidon, et de juger l'audacieuse tentative du réalisateur et de son producteur, un certain J.J.Abrams.

Première remarque importante, qui avait été explicitée par les différentes bandes-annonce du film, 10 Cloverfield Lane ne reprend pas l'esthétique found footage qui avait participé à la notoriété du film de Matt Reeves. Un choix logique, puisque le métrage ne se déroule plus au cœur de la catastrophe mais troque une New-York en proie à la panique contre un bunker exigu, dans lequel se réveille le personnage de Michelle, incarnée par Mary-Elizabeth Winstead, après un accident de voiture. Elle découvre alors ses deux compagnons de fortune, interprétés par John Goodman et John Gallagher Jr, avec lesquels elle partagera ce huis-clos.

Mais avant de rentrer dans les détails - sans aucun spoiler, rassurez-vous - il contient de revenir sur la nature de ce surprenant projet qu'est 10 Cloverfield Lane. Suite inespérée et totalement inattendue du film de Matt Reeves, ce métrage doit son existence à la fermeture de la branche consacré aux moyennes et petites productions de Paramount. C'est en effet ce studio qui avait offert à Dan Trachtenberg, réalisateur remarqué pour son fan-film Portal, l'opportunité de diriger son premier métrage, que nous connaissions il y a quelques années de cela sous le nom de Valencia. Un film qui deviendra, suite aux restructurations de Paramount, 10 Cloverfield Lane, après l'intervention d'un Bad Robot de J.J.Abrams, qui a sans doute vu, dans cette opportunité, le moyen de consolider sa réputation de génie du marketing.

A l'heure où tout filtre sur internet, seul un projet mort-né pouvait servir de couverture au projet d'Abrams, après tout : le désintérêt des médias pour Valencia, et sa chute progressive dans l'oubli valent tous les gardes de sécurité et autres contre-drones du monde. Mais si je vous résume la tourmentée - et pour le moins unique - production du film, ce n'est pas uniquement pour souligner la beauté de cette pirouette marketing, mais aussi pour vous expliquer en quoi 10 Cloverfield Lane a parfois le cul entre deux chaises, pour parler vulgairement. Le film de Dan Trachtenberg, scénarisé par Josh Campbell, Matthew Stuecken et Damien Chazelle, souffre en effet de gros défauts d'écriture, qui ont tôt fait de révéler au spectateur que le film a bel et bien été recousu et rafistolé sur la table de montage.

Peut-être pas assez pour amener le grand public à se poser des questions sur la production du métrage, mais juste ce qu'il faut en "drôles d'impressions" pour sortir les spectateurs de son intrigue. A plusieurs reprises, on est ainsi tiré de ce qui est par ailleurs un huis clos assez efficace, la faute à des dialogues qui ressemblent plus à des enchaînements de répliques, par exemple. Dans le même ordre idée, difficile de savoir si le réalisateur et les scénaristes entendent entretenir le mystère quant à l'identité du personnage de Goodman et le contexte, ou s'ils préfèrent expliciter d'emblée le propos de leur film. Quelques fautes de raccord qui n'empêchent pas l'intrigue de défiler, cependant. Soutenue par un personnage féminin très débrouillard - presque trop tant Mary Elizabeth Winstead semble glisser sur les obstacles - l'histoire est beaucoup plus rythmée qu'on aurait pu s'y attendre. A croire que l'isolation dans ce bunker et toute la paranoïa qu'elle implique n'intéressaient qu'à moitié le réalisateur.

C'est d'avantage dans l'envie de sortir de ce lieu étrange que Dan Trachtenberg se révèle pertinent. En cela, il est le parfait élève d'un J.J.Abrams qui expliquait, lors d'un très joli Ted Talk, qu'il était fasciné par le contenu d'une boîte que lui avait offerte son grand père il y a des années de cela, et qu'il n'a toujours pas ouvert aujourd'hui. Cette fascination, cette irrésistible envie d'ouvrir la boîte - qui est ici un bunker - est parfaitement cristallisée par la réalisation de Dan Trachtenberg, très curieuse et ludique. Côté direction d'acteurs, le metteur en scène s'en sort également avec les honneurs : encore une fois, quelques raccords sont assez grossiers - Mary Elizabeth Winstead enchaînant des phases de jeu assez éloignées les unes des autres, par exemple - mais l'ensemble peut compter sur un trio pour le moins épatant. L'actrice pourrait presque faire figure d'héritière à des personnages comme Ellen Ripley ou Sarah Connor, tandis que l'impeccable John Goodman livre ce qui est peut-être l'une des meilleures performances de sa carrière. A leurs côtés évolue un John Gallagher Jr qui échappe progressivement à son image de Paul Rudd au rabais pour accompagner l'intrigue. Le casting est donc l'une des qualités du film, si ce n'est son principal intérêt.


Nous resterait à aborder le lien tissé entre 10 Cloverfield Lane et son aîné. Huit années et pas mal d'attentes les séparent, et il me sera difficile d'évoquer le sujet sans révéler des moments clés de l'intrigue. On retiendra ainsi, pour faire court, que des connexions un peu limites n'empêcheront pas Dan Trachtenberg et ses scénaristes de jouer avec les attentes du spectateur, dans une réflexion assez intéressante voire limite méta sur la construction de franchises. Mais s'il est très malin à ses débuts, le dernier acte du film de Trachtenberg s'avèrera finalement très convenu dans sa manière de raccrocher les wagons - même si J.J.Abrams nous a déjà promis une nouvelle étape, qui devrait faire monter la créativité d'un cran encore.

Si tout le monde ne décrit pas le premier Cloverfield comme culte, beaucoup reconnaissent sa notoriété et l'admiration qui lui est portée depuis quelques années déjà par un public qui se souvient autant de ses scènes fortes que de ses meilleures opérations de communication. Huit ans plus tard, le cinéma comme le marketing ont changé, et 10 Cloverfield Lane débarque dans une époque qui ne jure plus que par les temps courts. En ce sens, le film est une réussite, puisqu'il propose une expérience complète et originale - de l'annonce au générique de fin - mais devrait souffrir de son décalage progressif avec le contexte de sa sortie, au contraire de son aîné, finalement, puisque celui-ci s'était imposé aux mémoires grâce à la mise en scène unique de son sujet. Resteront un trio d'acteurs plutôt imposant, un personnage féminin fort et un prolongement étonnant d'une franchise qui reviendra bientôt dans un troisième épisode.