Critiques

Almuric, la critique

Par Woulfo
14 octobre 2015
Almuric, la critique
On a aimé
• Le poème 'Le Tentateur'
• L'essai de Patrice Louinet en fin de tome
• Toujours un plaisir de découvrir Robert E. Howard
On n'a pas aimé
• Le soufflet Almuric vers les 2/3 de l'histoire

Les histoires d’amour sont faites pour durer. Sept ans que Bragelonne et Patrice Louinet nous concoctent chaque année les histoires « fantasy » de Robert E. Howard. Conan, Bran Mak Morn, Solomon Kane… Sept années de bonheur qui ont réhabilité à sa juste valeur un auteur trop souvent oublié (en témoigne ce top 100 des «meilleurs » livres de fantasy selon Amazon) et encore très mal compris. Almuric, dernier tome de la collection est paru le mois dernier chez Bragelonne.

Almuric est le dernier roman publié par Robert E. Howard. Si le Texan est surtout connu pour ses nouvelles (n’oublions pas que la très grande majorité des histoires de Conan sont des nouvelles), le marché britannique le forcera à écrire de plus en plus de romans. Les recueils de nouvelles ne marchent pas de l’autre côté de l’Atlantique et les éditeurs anglais le remercient poliment avec des phrases toutes faites : « votre travail est bon, faites pareil sur un roman entier et on le publiera mais en l’état, non».

Au premier abord, Almuric est un pastiche plus ou moins éhonté du John Carter de Edger Rice Burroughs : Essau Cairn, terrien bagarreur désabusé se retrouve projeté sur une planète d’un autre système solaire, Almuric. Il va faire la rencontre d’étranges hommes-singes, de terrifiantes bêtes noires ailées dirigées par la terrible Yasmeena et d’horribles araignées qui feraient frémir un certain Frodon.

Si Almuric intéresse essentiellement les lecteurs pour son caractère posthume "légendaire" (la fin n’a pas été écrite par Robert E. Howard, mais par qui ?), le principal intérêt se trouve dans le thème cher au Texan : la barbarie face à la civilisation. Durant les deux premiers tiers, Essau Cairn n’a de cesse de comparer (le livre est écrit à la première personne) inlassablement la Terre et Almuric. Il se sent bien plus Almuricien (?) que Terrien. Il est bien plus enclin à vivre dans un monde « brutal », sans artifices (pas d’art par exemple) mais simplement dominé par les besoins primaires de l’Homme. Il se sent libre sur Almuric et vit pleinement sa « renaissance ». Quand un personnage lui demande les raisons de sa venue, voici la réponse de l’intéressé : « Parce que j’en avais assez de vivre seul parmi les bêtes sauvages. »

Ce regard désabusé sur notre monde (regard en partie approuvé par Howard) est contrebalancé par la très belle Altha qui ne comprend pas l’attrait du Terrien pour cette Terre alors qu’elle cherche elle-même à fuir cette planète. Quand Essau Cairn assène : « sur Terre j’ai croisé la route de gens toujours prompts à suivre quelque rêve ou idéal nébuleux, mais je n’ai jamais vu personne qui soit heureux. Sur ma planète, on tâtonne beaucoup, à tenter de saisir des choses invisibles », Altha lui répond : « je me suis dit que tu étais plus délicat que les autres. Mais tu es aussi féroce et aussi brutal. Tu passes tes journées et tes nuits à tuer des bêtes, à te battre et à t’enivrer en beuglant. […] Et ce n’est pas ce que j’attends de la vie. Mieux vaudrait que je sois morte ». Ambiance.

Malheureusement, ce duel de point de vue passe complètement à la trappe vers les 2/3 du bouquin pour finir sur un texte de « sword and planet » des plus classiques, malgré quelques réjouissances Howardiennes toujours plaisantes à lire. Enfin, on oubliera cette fin téléphonée et en désaccord complet avec l’esprit d’Almuric.

Recueil, l'œuvre est ensuite composé de diverses nouvelles, plus ou moins intéressantes. Entre réincarnation et culture africaine d'un point de vue américain, on notera surtout la dernière nouvelle d’Howard Nekth Semerkeht. Celle-ci baigne dans une ambiance de suicide haletante dans sa première partie : « placer le canon d’un pistolet contre sa tête et quitter une existence dont la douleur avait depuis longtemps dépassé la saveur ». On pourrait presque ressentir le tiraillement de Howard avant de se suicider alors qu’il cherche à trouver raison à son existence : « Vivre ! Pas pour l’amour, le profit, l’ambition, ni même pour une cause… Toutes ces choses étaient des volutes de brume, des chimères conjurées par les hommes pour expliquer l’inexplicable. Vivre, parce que le besoin aveugle de vivre était trop profondément ancré en lui, qu’il était à la fois question et réponses, désir et but, début et fin, et la réponse à toutes les énigmes de l’univers ». Magnifique.

On n’oubliera pas aussi le magnifique poème Le Tentateur qui baigne lui aussi dans une ambiance morbide de suicide. Même si le mensonge d’Isaac Howard tâche l’image du poème (il a affirmé que Le Tentateur était le dernier poème de son fils et qu’il l’avait laissé sur sa machine à écrire avant de se suicider alors que le poème avait écrit avant 1930), il reflète avec parcimonie Robert E. Howard : un auteur incompris qui se sentait étranger à un triste monde. Une mélancolie émane finalement de son œuvre pulp. Une partie de la beauté et l’intérêt de l’auteur se trouve là.

Avec ce douzième numéro, la collection Howard s’achève dans une ambiance morbide. La mort et le suicide se cachent à chaque recoin de page. Sans faire partie des grands textes d’Howard, Almuric possède assez d’intérêt pour satisfaire le lecteur alors que des textes comme Nekth Semerketh et Le Tentateur reflètent peut-être une partie de la psyché de l'auteur. Enfin, nous ne pouvons que remercier Patrice Louinet et Bragelonne pour leur merveilleux travail collaboratif sur Robert E. Howard. Douze tomes de plaisir pour découvrir ou redécouvrir un magnifique auteur.