Critiques

Altered Carbon : adaptation au point mort pour Netflix

Par Republ33k
13 février 2018
Altered Carbon : adaptation au point mort pour Netflix
On a aimé
• Une DA léchée
• Joel Kinnaman en forme
• L'ambiance est là
• Quelques bons ajouts
On n'a pas aimé
• L'utilisation étrange de la voix-off
• Ne va pas assez loin dans ses concepts
• Répète les erreurs du roman en tentant de les corriger
• Parfois difficile à suivre

Si l'arrivée surprise de The Cloverfield Paradox lui a un petit peu volé la vedette dès le début de la semaine dernière, Altered Carbon était l'une des grosses sorties de Netflix pour ce second mois de 2018. Après quinze ans de labeur, le roman post-cyberpunk de Richard Morgan arrivait enfin sur les écrans, sous la forme d'une série télévisée orchestrée par Laeta Kalogridis, productrice et scénariste qui nous offre une version à peine édulcorée de l'œuvre originale, mais suffisamment altérée pour poser quelques problèmes.

Petite précision avant de commencer d'ailleurs, je ne suis pas de ceux qui accordent une importance capitale à la fidélité d'une adaptation à l'égard de l'œuvre originale. Et j'aurais volontiers pardonné à Altered Carbon ses modifications si elles n'étaient pas aussi proches du roman. Ça peut paraître totalement paradoxal, mais j'ose espérez que vous comprendrez mon point de vue à l'issue de cette petite critique.

L'effet Netflix

Mais revenons à nos moutons électriques. Dix épisodes plus tard, que peut-on penser d'Altered Carbon ? Annoncé par certains comme le Game of Thrones de Netflix, par d'autres comme une série gênante ou une adaptation étrange, la série est finalement un peu tout ça à la fois, ce qui la rend assez fascinante à suivre, malgré ses inconsistances. Un mot là-dessus d'ailleurs : comme les séries Marvel de la plateforme avant elle, la série Altered Carbon souffre visiblement d'un "effet Netflix". Le service de streaming, qui ironiquement, se targe de ne jamais imposer de contraintes, a en effet donné naissance à quelques tics narratifs, qui à la longue, rendent le visionnage des shows Netflix assez pénible.
 


On pense à l'épisode flashback, le dernier épisode qui ne fait qu'étendre une conclusion déjà complète dans le précédent, ou encore à la logique du double vilain, qui a fait des ravages dans les rangs de Marvel. Autant de petits défauts qui viennent, d'emblée, nuancer les qualités d'Altered Carbon. Elles sont pourtant nombreuses, et la plus évidente d'entre-elles est sans aucun doute la direction artistique.

De jolies images

A mi-chemin entre Blade Runner et une Science-Fiction plus épurée, l'univers imaginé par Richard Morgan prend vie grâce aux moyens de la série et quelques épisodes plutôt bien réalisés, dont le pilote, orchestré par Miguel Sapochnik, l'un des metteurs en scène vétérans de Game of Thrones, justement. On se balade dans de nombreux décors construits, les costumes sont plutôt réussis, et la palette de couleurs s'inscrit parfaitement dans le genre, pour un dépaysement pas trop radical. A n'en pas douter, Altered Carbon est l'une des plus jolies séries disponibles sur Netflix, et on ne pourra reprocher aux équipes de Laeta Kalogridis et Skydance Television un manque d'ambition. 
 


Pour pinailler, on pourrait regretter l'absence de la mer, élément récurrent de l'enquête imaginée par Morgan, mais la série compense la perte de ce décor par une vision des mondes colonisés par le Protectorat ou des décors assez originaux, comme la résidence des Bancroft. Dans l'ensemble, ce n'est donc pas l'aspect visuel qui fait défaut à Altered Carbon, mais bien la narration. Et c'est là qu'on retrouve la notion de fidélité au roman original.

Paradoxale fidélité 

Avec Altered Carbon, Richard Morgan inventait toute une société repensée par l'absence ou du moins la rareté de la mort. Une idée toute bête mais qui se multipliait en une myriade de concepts tous aussi dingues les uns que les autres. Un bac à sable incroyable pour la série, mais encore fallait-il l'installer correctement. Derrière son côté bourrin, il se trouve que le roman original installe petit à petit ces concepts, en commençant par les plus simples avant d'attaquer les plus cool et de terminer par les plus délirants, comme le fait de charger sa conscience dans deux corps différents, par exemple.
 

 
On peut comprendre les impératifs d'un show télévisé, mais force est de constater qu'Altered Carbon ne prend jamais le temps d'installer autrement que par l'image l'univers de Morgan. Un petit hologramme en début de pilote, et c'est (à peu près) tout. De peur de sombrer dans l'exposition, sans aucun doute, mais à trop vouloir impliquer le spectateur, la série finit par le perdre. N'allez pas penser le contraire : j'aime qu'une série fasse confiance à son spectateur, mais le faire à ce point tient de l'utopie, comme nous le montre l'exemple des trop nombreux termes prononcés une seule fois avant d'être ramenés sous la forme d'abréviations. 
 
Un niveau de détail qu'on retrouve dans le roman, à la rigueur, sauf que cette fois, on ne peut pas revenir sur notre page. En misant sur l'ambiance surtout, le premier épisode nous prend donc au tripes, comme l'œuvre originale, mais oublie de nous donner suffisament de clés pour manœuvrer dans cet univers pas si compliqué, mais qui s'apprécie beaucoup plus lorsqu'on connaît toutes ses nuances. A ce titre, je suis persuadé que ma connaissance de l'œuvre originale m'a beaucoup (trop) aidé à suivre l'intrigue de la série.

Trop d'ajouts, ou pas assez ?

Il faut dire que celle-ci suit clairement celle du roman. Enfin, pas tout à fait. Laeta Kalogridis a visiblement repéré les défauts du premier travail publié de Morgan, et choisit de les corriger. Hélas, l'opération est maladroite et génère de nouvelles erreurs. L'exemple du personnage de Reileen Kawahara, qui n'est pas (du tout) liée au héros dans le roman, le montre bien. En ne voulant pas retomber dans le deus ex machina de l'œuvre originale, la showrunner invente une relation entre les deux personnages, qui certes, ajotue un passif, mais surtout beaucoup de passages à la limite du gênant.
 

 
Le jeu de Dichen Lachman, qui incarne Reileeen, est peut-être à mettre en cause, plus que l'écriture, car d'autres ajouts à l'œuvre originale fonctionnent plutôt bien. Comme le personnage d'Ortega (incarnée par Martha Higareda) et sa famille plus étendue que dans le roman, les réflexions plus poussées sur la place de la foi dans cet univers, l'IA inspirée d'Edgar Allan Poe, ou encore le couple Elliot et leur fille prisonnière de la réalité virtuelle. Dans l'ensemble, le soin apporté au casting secondaire témoigne d'une étude assez poussée de l'œuvre originale, mais encore une fois, ces ajouts ne sont pas sans conséquences.
 
Une série télévisée va avoir du mal à suivre un unique personnage et à utiliser la voix-off comme le fait polar cyberpunk. C'est certain, il fallait donc développer les personnages secondaires. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas abandonner complètement la narration interne de Takeshi Kovacs, qui fait des apparitions totalement hasardeuses au sein de la série ? Chaque modification à un coût à mesurer et visiblement, la série les a sous-estimé. Car s'ils ne déstabilisent jamais vraiment le plaisir qu'on prend à suivre Kovacs dans ses aventures, le show aurait pu voler plus haut que La Tête dans les Nuages en les calculant mieux.

Kinnaman en forme 

Après tout, Altered Carbon n'est pas sans fulgurances. On parlait de la jolie direction artistique, mais on pourrait aussi mentionner le jeu de Joel Kinnaman. Celui qu'Hollywood tente d'imposer en lead depuis Robocop trouve enfin un rôle à se mesure. Parfait physique pour l'enveloppe de détective désabusé que porte l'eursaien Takeshi Kovacs, Kinnaman apporte la froideur et l'étrangeté de son jeu (qu'on devinnait déjà dans The Killing) à un héros charismatique. Mieux : son interprétation nous fait réellement ressentir un décalage permanent entre l'esprit et le corps, l'un des thèmes centraux de la série comme du roman. Une vraie performance qu'on tenait à saluer, sans oublier l'excellent travail de Will Yun Lee, lui aussi très convaincant dans la peau du Kovacs original.
 

 
Avec cette double tête d'affiche très convaincante, la série aurait d'ailleurs pu aller plus loin dans les concepts qu'elle déploie sur près de dix heures. Elle avait en tout cas de quoi les incarner sans trop de problème, mais Altered Carbon se montre finalement timide, par manque de moyens ou peut-être, par manque d'audace. Même avec un paquet de têtes explosées et de sexes frontalement montrés, la série ne peut se vanter d'être punk, et l'exploration qu'elle fait des concepts du roman manque cruellement de ce frisson fait d'un mélange d'excitation et d'inquiétude. En étant mauvaise langue, on pourrait même dire que certaines idées inventées par Morgan ne résistent pas à leur hollywoodisation, en témoignent par exemple les Envoy, anciens soldats d'élites pourris qui deviennent ici de gentils rebelles.
 
Dans un monde où la conscience a été digitalisée et que les corps ne sont ni plus ni moins que de simples habits, on vous encourage tout de même à préférer l'original, c'est à dire le roman, à la copie, autrement dit, la série. Si le show de Laeta Kalogridis s'avère joli, plutôt divertissant et fort de quelques choix de casting vraiment inspirés, il ne propose qu'une science-fiction à peine dépoussiérée, là où les écrits de Richard Morgan ont dynamité les codes du genre cyberpunk. Ce qui ne veut pas dire que la série ne mérite pas votre attention, mais simplement, sachez qu'elle ne fait qu'effleurer son sujet et son potentiel. Mais qui sait, les bases artistiques solides de cette première saison pourraient nous mener à de nouveaux épisodes plus abouttis ? C'est tout ce qu'on souhaite à l'équipe. En l'état, c'est le frustrant "peut mieux faire" qui s'impose.