
• Une approche immersive
• Un casting impeccable
• De puissantes images
• Des effets spéciaux ratés
Si l'on apprenait récemment que le scénariste Alex Garland avait démarré sa carrière de réalisateur avec Dredd - de la bouche d'un certain Karl Urban - le bonhomme revient officiellement avec un deuxième film sur nos écrans cette semaine. Après l'excellent Ex Machina en 2015, Garland s'attaque au roman de Jeff VanderMeer, Annihilation. Et le résultat est au moins aussi réussi que l'entrée du scénariste dans la cour des (grands) metteurs en scène.
Contrairement à Ex Machina, Annihilation est donc une adaptation. Mais on aurait tort d'attribuer toutes les réussites du film à son œuvre originelle, tant la démarche d'Alex Garland est particulière. Après une unique lecture du roman de Jeff VanderMeer, et avant la sortie de ses suites, Authority et Acceptance, le scénariste et réalisateur s'est lancé dans une adaptation libre du récit, comme s'il s'agissait d'un rêve qui avait traversé l'une de ses nuits.
Une approche qui paraît tout à fait appropriée, étant donnée l'étrangeté du roman, la bizarrerie de son univers et son atmosphère hallucinée sans même parler de ses thèmes ou de son enveloppe très nihiliste. On laissera donc de côté la fidélité au roman originel, qui n'a que rarement sa place dans une critique de cinéma, et encore moins dans le cas bien particulier d'Annihilation.
Ce petit rappel étant fait, revenons-en au film, qui fut connu en amont de sa sortie pour une autre caractéristique : sa diffusion partagée entre Paramount pour le territoire nord-américain et Netflix pour le reste du monde. Un cas de figure là aussi très particulier, qui témoigne de la frilosité toujours plus importante des studios à l'égard des œuvres originales, même lorsqu'elles s'appuient sur un matériau déjà existant, à savoir, ici : un roman ayant remporté le prestigieux prix Nebula.
Sur ce point, le verdict est sans appel : le film aurait mérité une sortie mondiale dans les salles de cinéma, tant ses images mais aussi le son ou le montage semblent pensés pour une expérience la plus immersive possible - mais nous y reviendrons. Un défaut, on se consolera avec l'idée que de plus nombreux spectateurs puissent croiser la route du nouveau Alex Garland après un Ex Machina très mal distribué dans les salles françaises.
Une consolation bien maigre au regard des puissantes images construites par Alex Garland et son directeur de la photographie Rob Hardy, déjà à l'œuvre sur Ex Machina. Visuellement très réussi, Annihilation mérite le plus grand des écrans, qui rendra sans doute un meilleur hommage au travail du réalisateur et de son équipe, qui ont réussi à créer une ambiance tout simplement surréaliste avec un budget de 40 millions de dollars, qui se fait parfois ressentir via quelques effets spéciaux franchement limites.

Ce genre de heurts mis à part, on en prend plein les mirettes avec des couleurs, des effets de lumière mais aussi une musique composée par Geoff Barrow et Ben Salisbury, qui accompagnent aussi bien ce trip qu'Ex Machina ou Free Fire, deux de leurs derniers travaux. Mais si l'immersion passe assurément par les images et le son, très travaillés, n'oublions pas non plus l'écriture et le montage.
Ce dernier peut ici être considéré comme un deuxième scénariste tant le découpage opéré par Barney Pilling accentue les rebondissements de l'histoire, très bien conçue. A quelques révélations un peu abruptes près, le script d'Alex Garland est en effet très bien ficelé, et nous permet de nous enfoncer dans le récit au fur et à mesure que les personnages s'enfoncent dans la fameuse Area X, une zone grandissante où des phénomènes très étranges apparaissent.
En ajoutant ou en enlevant des informations au film au fil des séquences et des chapitres - qui sont peut-être le rappel le plus évident à l'œuvre d'origine - Annihilation simule ainsi dans l'esprit du spectateur la confusion puis la folie qui s'emparent des nos personnages. Même depuis un canapé, on finira donc par être aussi désorienté que les héroïnes de Garland.
Puisque nous parlons des superbes personnages féminins d'Annihilation, terminons par quelques mots sur le casting. Menée par une Natalie Portman impériale, la distribution s'avère irréprochable et à la hauteur du challenge posé par le récit : rendre crédible des réactions à des phénononènes proprement incroyables. A ce petit jeu-là, Natalie Portman est excellente, mais à qui plus est l'audace d'être d'une justesse folle dans ses scènes plus intimes avec le non moins talentueux Oscar Isaac - l'alchimie entre les deux acteurs ne laissera d'ailleurs aucun fan de Star Wars indifférent, au passage.
Ajoutez à cela une équipe composée d'une Jennifer Jason Leigh énigmatique, une Tessa Thompson à contre-emploi, une Gina Rodriguez badass à souhait et une Tuva Novotny terriblement touchante dans la moindre de ses interventions, et vous obtenez une galerie de personnages féminins renversante, qu'on a bien failli voir amputée de son protagoniste le plus développé : Paramount aurait en effet cherché à modifier la fin du film mais aussi le rôle de Natalie Portman, jugée trop antipathique dans le la peau de Lena. Une nouvelle preuve du sexisme ambiant à Hollywood, qui entend dicter la conduite de toutes les femmes, même fictives.
C'est peut-être la manière la plus saine de se réjouir de l'arrivée du film sur Netflix d'ailleurs : en acceptant de distribuer Annihilation, la plateforme protège visiblement le sens du récit bati par Alex Garland et ses équipes, et à n'en pas douter, un film porté par un personnage plus classique ou terminé sur une fin plus heureuse n'aurait pas eu la même saveur. En l'état, Alex Garland nous offre une superbe exploration du thème de l'auto-destruction, qui comme toute forme de destruction, est également une forme de création. Un adage célèbre, qui s'avère très bien illustré par le film.
Fascinant voyage permis par un scénario bien construit, un montage très intelligent et bien sûr de puissantes images, Annihilation vous emmène en même temps que ses personnages au cœur de la folie pour mieux contempler la vacuité de l'existence. Un film porté par un superbe casting féminin et qui témoigne une nouvelle fois des talents d'Alex Garland pour l'écriture, la mise en scène mais aussi, et peut-être surtout, la direction d'acteurs. A voir de toute urgence.