Critiques

Bright, la critique

Par Corentin
23 décembre 2017
Bright, la critique
On a aimé
• L'idée de métaphore raciale, pourquoi pas
• Quelques plans travaillés
• C'est tout
On n'a pas aimé
• Caricatural, lent, mal écrit
• Une incompréhension générale entre scénario et réalisation
• Qu'est ce que c'est que ces personnages féminins ?
• Un background désolant
• Netflix gaspille 90 millions

Un Suicide Squad trop tard, David Ayer semble loin. Vous l'avez vu dans votre sélection "nouveautés" de Netflix, Bright se présente comme la grosse machine du distributeur pour cette fin d'année. Budget record, promotion calquée sur celle des studios d'envergure, une envie de mélange des genres - le film est en définitive un énorme raté, sans atteindre ce que la presse (dans sa mansuétude habituelle) qualifie déjà de pire film de l'année.

Encore que, on serait en droit de présenter Bright au fandom vociférant contre les errements de Rian Johnson comme un cas d'école de relativisme. Puisque si Netflix aura aussi proposé le film Death Note cette année, en parallèle d'Okja ou de War Machine, on commence à comprendre que comme pour sa branche séries, le distributeur n'est ni le sauveur des planètes, ni la réponse graduée au modèle hollywoodien. Le comparatif de ces deux entités supposément ennemies est éloquent : chacun est capable du meilleur comme du pire. Aujourd'hui, parlons du pire.


Bright est une collaboration de David Ayer et du scénariste Max Landis - ce qui pose déjà quelques questions. D'une part sur la lecture à faire des personnages féminins, ou de celle d'un mauvais timing. Sur cette fin d'année, Landis est comme bien d'autres emporté par l'éveil des consciences d'une société occidentale, qui affronte enfin le problème du harcèlement et du patriarcat. Cela étant dit, le film a bien d'autres problèmes, mais sur la question des deux seuls personnages féminins importants du film, on pourra se poser plus tard la question. Sinon, de quoi ça parle, Bright ?

Le film s'ouvre sur une introduction pas inintéressante, où on met d'entrée de jeu l'accent sur la métaphore raciale qui tient lieu de fil rouge. Une société, semblable à la nôtre, mais où les créatures du genre medieval fantasy existent, ce depuis toujours. Il y a deux mille ans, les espèces se sont alliées pour combattre un genre de dark lord mystérieux, et depuis, la civilisation a évolué vers celle que nous connaissons. Les orcs sont les pauvres, les minorités ethniques et clanniques. Les elfes sont les riches, qui vivent reclus. Mais oublions ce terreau plutôt intéressant pour suivre un flic humain et un flic orc patrouiller gaiement les rues de Los Angeles entre deux hot dogs moutarde.

Puisque, si j'ai eu l'air de vous vendre une introduction façon Thor ou Seigneur des Anneaux, oubliez immédiatement. Le film se fout pas mal de son background qui ne sera développé qu'à X moments T de l'intrigue, quand le besoin de justifier telle ou telle progression scénaristique interviendra. A peine fantasy dans les faits, l'histoire ressemble à un hybride curieux de trois idées - celle du scénariste, qui espérait quelque chose d'original, du réalisateur qui espérait qu'on le laisse enfin refaire un film de flics, et du studio, qui voulait son blockbuster de fin d'année. L'ensemble se mélange mal, ou ne se mélange jamais.


On bazarde tout élément d'explication, le scénario est survolé, décousu. Les implications de l'univers sont sacrifiées à des scènes d'intérieur-voiture où se cherche le dialogue ou un affect absent envers les héros. D'abord lent, le film accélère vite pour passer par des sortes de checkpoints de stéréotypes, pour taper sur ce qu'il a compris de la culture fantasy. On se retrouve vite sur une amorce de n'importe quoi, où on retrouve le granguinol du des années 2000, des heures sombres d'un cinéma de genre "tous publics" façon Underworld, inspiration peu ou prou directe du personnage de Noomi Rapace en elfe péroxydée. 

Son aspect bicéphal rend Bright abrutissant. Ayer se singe, et se rend hommage tout seul puisque personne n'a envie de le faire pour lui. Quitte à réutiliser ses propres scènes de Training Day et en insistant pour un montage centré sur les policiers. Il parvenait autrefois à rendre le LAPD authentique et crasseux, attachant même chez les pires ordures. Ici le bonhomme se contente d'un flic quarantenaire lambda, Will Smith, et un poster boy de policier naïf et bon sous tout rapport, Edgerton. Entre quelques plans de fusillades souvent mous, quelquefois réussis, toujours gâchés par CGI morbide et un gimmick de lens flare ridicule.

Ayer essaye de caser à la truelle son amour des rues violentes et sans lois. Entre deux blagues mal timées, deux passages forcés par le sous-texte magique. Aucun acteur ne se démarque, la plupart peinent à croire en leur script ou en leurs costumes. L'univers est aux abonnés absents, et le personnage de Lucy Fry que les deux héros trimballent comme une définition pesante du concept de "personnage fonction", apparaît comme une matérialisation consciente de la progression du film qui vient leur souffler le scénario au moment où le rythme se sent patiner. 


L'ensemble en ressort comme un film lent, sans convictions, qui se réfugie dans le cliché plutôt que d'essayer de comprendre l'intérêt de sa proposition. Ni un vrai cop-movie, ni un blockbuster ni une aventure fantasy non plus, Bright n'est rien d'autre qu'une coquille vide, où on sent plusieurs styles s'annuler en se rencontrant. Le métrage a probablement été commandé pour de mauvaises raisons, et on sent derrière le même amas de projections tests et de calibrage tout public qui - on va le répéter - ne marche pas dans les faits, puisque personne n'en ressort content.

En définitive, Bright n'est même pas le pire navet de l'année. Cette mention honorifique et sensationnaliste aurait rendu le film au moins intrigant, pour la curiosité malsaine, comme toutes les vraies belles horreurs. Ici, on ne le recommande même pas en plaisir coupable ou à des fins de voyeurisme : pas assez mauvais pour être divertissant, trop mauvais pour être autre chose qu'une erreur. Une rencontre improbable entre deux écoles de cinéma qui ne se comprennent pas et dont le résultat est une triste blague, une parodie. 

Il y a de nombreuses lunes, David Ayer scénarisait Training Day, proposait End of Watch et les chorégraphies de tanks dans Fury. A défaut d'être subtil, le cinéaste s'imprimait comme un nom du polar policier intéressant à suivre. Le système des studios l'aura avalé et recraché, comme Guy Ritchie et son inexplicable King Arthur, pour ne plus accoucher aujourd'hui que de projets de commande formatés. Dans cette brume de médiocrité, le cinéaste tend sa patte en espérant qu'on la remarque, sous des couches d'intentions discutables, de film avec dix ans de retard au compteur, et d'un résultat final qui ne sait pas où se placer. On ne recommande pas. Du tout.