- La personnalité de Rex
On n’avait pas tenu compte de la technologie – du cybercortex qui était censé en faire de bons soldats et des tueurs efficaces. On a tenté de le désactiver lorsque les chiens ont été affranchis, mais c’était oublier la volonté dont ils étaient capables.
Adrian Tchaikovsky a fait parler de lui avec Dans La Toile du Temps, œuvre magistrale où la civilisation humaine se confronte à une civilisation radicalement différente et entre irrémédiablement en conflit avec elle. Avec Chiens de guerre, la confrontation vient de notre propre création : non pas des robots, mais des biomorphes, des animaux augmentés et dotés d’une intelligence supérieure.
Rex est un bon chien. Il pèse 200 kilos, il est doté d’une conscience et d’un cybercortex lui permettant de contrôler un armement lourd greffé à son corps. Et surtout, Rex est le chef d’une meute d’animaux différents comme lui et il prend directement ses ordres de Murray, un « colonel Kurtz » à la solde d’une société paramilitaire qui doit faire le « ménage » dans une région anarchiste du Mexique. Autant dire que Rex, Miel (un ours armé jusqu’au dent), Dragon (un crocodile-caméléon sniper) et Abeilles (une ruche d’abeilles tueuses) commettent de vrais massacres. Et tout cela, Miss Asanto doit le surveiller pour le compte des actionnaires...
Sauf que le codeur en charge des IA de l’escouade de biomorphes a peur de Murray et de sa frénésie sanglante et retire aux animaux augmentés le besoin irrépressible d’obéir à ce dernier. Rex, chien fidèle mais intelligent, commence à douter de sa mission et va donc s’enfuir avec sa bande. C’est là que l’histoire prend une tournure intéressante : ils découvrent le monde des humains et des concepts de plus en plus complexes qui vont les doter d’une « humanité ». Humanité tempérée par leurs instincts animaux. Par exemple, Miel sera plus indépendante que Rex dont la soumission à l’Homme est inscrite quasiment dans les gènes.
Avec Chiens de guerre, Adrian Tchaikovsky pose la question de l’organisme qui reprend ses droits sur son créateur et aussi notre propre responsabilité humaine vis-à-vis des monstres que nous sommes capables de créer. En effet, l’auteur évoque rapidement le procès de ces biomorphes, bons, de prime abord, à seulement tuer. Mais le fait qu’ils ne s’agissent plus simplement de machines en fait des êtres vivants qui pourraient mériter des droits. Or, leur donner des droits pourrai laisser la porte ouverte à d’autres libertés qui pourraient leur être dues. Cette question pourrait se mettre en parallèle de celle que les grandes sociétés d’informatique ont avec les IA : Jusqu’où aller ? Et est-ce vivant ?
Tout au long du récit, on ressent le chemin parcouru par Rex, dont on suit majoritairement le point de vue. D’un bon « chien-chien à son maître » aux pensées très hachées et primaire, le roman accouche d’une syntaxe construite et fluide avec un personnage entreprenant et libre. Quand on y prend garde, ce style est parfaitement en adéquation avec le propos de l’auteur. De plus, on se prend à sourire à la naïveté et à l’innocence du « chien profond » en Rex avec ses pensées qui ne comprennent pas l’action des Humains. En ce sens, il se rapproche de Sherlock de Bues pour Irontown, mais, avec des fusils d’assaut évidemment…
Chiens de guerre apporte un regard rafraîchissant sur la responsabilité humaine vis-à-vis de sa création, qu’elle soit robotique ou semi-organique. Adrian Tchaikovsky se pose comme un défenseur des droits futurs de ces êtres mi-organiques mi-robotiques, qui ne devraient pas tarder à émerger au tournant du 21ème siècle. L’action et le style de l’auteur en font en plus de cela un roman très agréable à lire, tout en nous faisant réfléchir. Je vous le conseille chaudement !