Critiques

Dragon, la critique

Par -- David --
29 janvier 2016
Dragon, la critique
On a aimé
• Le format de la novella qui offre un récit vif
• Une histoire sans concession
• La ville de Bangkok
• Les personnages
• Le désordre chronologique des chapitres
On n'a pas aimé
• Parfois remplir cette case n'a pas de sens lorsque tout est parfait

Une heure-lumière, la nouvelle collection des éditions du Bélial’ s’ouvre sous les meilleurs auspices. Si Le Nexus du docteur Erdmann se révélait une lecture plaisante, Dragon s'avère un livre d'une puissance incroyable qui ne laissera pas indemne le lecteur. Son auteur, Thomas Day est une figure incontournable de la littérature de genre dans le paysage francophone en raison de ses multiples casquettes : auteur, éditeur et scénariste de bande dessinée. Son précédent livre, Sept secondes pour devenir un aigle, avait été couronné par le Grand Prix de l’imaginaire 2014.

Dans cette novella, nous suivons Tann Ruedpokannon qui pourchasse Dragon, un tueur en série de pédophiles et de proxénètes à Bangkok. À travers une écriture acérée et sans concessions, l’auteur nous conduit dans le dédale de sa narration. Avec adresse, il déconstruit la linéarité de son récit, en mélangeant comme les pièces d’un puzzle l’ordre chronologique des chapitres sans que jamais cela ne nuise au sens ou à la cohérence de l’intrigue. Ce procédé conduit le lecteur aux mêmes dispositions intellectuelles que l’enquêteur, qui bribe par bribe, reconstitue le parcours du tueur.

Avantage du format de la novella, tout va très vite, le récit ne souffre d’aucun temps mort. Les scènes se succèdent avec aisance, pour ne laisser respirer le lecteur qu’à la dernière page.

Le récit emprunte à beaucoup de genres, le plus prépondérant est celui du policier, du thriller. Les codes de la science-fiction, de l’anticipation y sont plus légers. Le futur inventé par l’auteur n’est pas outrancier et se joue sur des détails comme la montée des eaux qui ont inondé les rues de la ville et un changement de régime politique évoqué. Bangkok reste Bangkok. Comme l’Inde d’Ian McDonald dans Le Fleuve des Dieux, la Thaïlande respire sous la plume de Thomas Day. Elle y exprime tout son souffle et toute sa noirceur.

Si la ville puis la jungle bénéficie d’un grand soin dans sa création, les personnages jouissent du même traitement. Le parcours de Dragon évoque pour les amateurs de comics la figure du Punisher. Il partage avec lui cette quête faite de meurtre et de torture dans le seul but d’expurger le vice dans la société humaine. En face de lui se dresse un être de papier tout aussi fascinant, un policier, amateur de Ladyboy qui cherche à découvrir la vraie nature du tueur en série.

Comme toujours, avec Thomas Day rien n’est vulgaire ni gratuit et encore moins dans ce livre. Par le prisme d’une science-fiction légère qui se teinte de fantastique vers la fin, il cherche à nous déciller les yeux sur ce qui est inacceptable. Il arme un personnage, seul pouvoir pour un romancier, pour agir comme un anticorps de fiction et expurger cette monstruosité qu’est la pédophilie et le tourisme sexuel. Le format de la novella permet de rester sur le nerf du récit, tout y est sensible et puissant. Le Bélial’ commence fort en ouvrant sa nouvelle collection avec cette œuvre, mais on n’en attendait pas moins de cet éditeur ni de cet auteur. Un grand livre.

Tout au long de la lecture, ce livre m’a évoqué la puissance des films de Na Hong-Ji (The Chaser, The Murderer) qui à mon sens, ferait un réalisateur parfait pour une adaptation.

(Thomas Day, Dragon, Éditions du Bélial’, Collection Une Heure Lumière, janvier 2016, 160 pages, 8,90 €)