
• Des acteurs au sommet
• Des plans d'une beauté saisissante
• Une bataille épique, rythmée, qui alterne avec succès les points de vue
• La prévisibilité des événements
• L'inutilité de la Compagnie dorée
Qui règnera sur le Trône de Fer ? C’est à cette épineuse question, posée depuis la première saison de Game of Thrones, que ce cinquième épisode ambitionne de répondre. La guerre pour le pouvoir a atteint son paroxysme, mais trouve-t-elle une résolution satisfaisante ?
Attention, cette critique est sombre et pleine de spoilers.
Un complot est démasqué dans les couloirs froids et humides de Dragonstone et une ombre noire se lève sur King’s Landing. Mouvement de panique. Les soldats s’alignent, les scorpions sont aux aguets. Chaque seconde voit la tension grimper en flèche. La bataille pour le trône de fer et la domination totale de Westeros va commencer.
Sapochnik enflammé
Pour ce cinquième épisode d’une importance capitale pour la série, les showrunners ont a nouveau confié les rênes à Miguel Sapochnik, dont les talents de réalisateur nous ont livré des épisodes de bataille légendaires (Hardome, Battle of the Bastards, The Long Night). Encore une fois, et peut-être même plus que jamais, Sapochnik fait montre d’un savoir-faire admirable en nous offrant un spectacle au rythme maîtrisé, à l’esthétique superbe et à la réalisation organique.
Ce cinquième épisode propose dans son premier tiers des scènes intimistes constellées de gros plans, lesquels mettent en exergue les jeux d’acteurs brillants que sont Emilia Clarke et Peter Dinklage. Une ambiance de confrontation en demi-teinte qui ne cesse de croître depuis la saison précédente, entre la reine et sa Main, face à la « trahison » de Varys qui complote pour placer Jon Snow sur le trône en lieu et place de Daenerys. Il s’ensuit d’une tension qui se construit en crescendo, puis grimpe en flèche à mesure que les soldats prennent place sur et devant les remparts et que les civils se réfugient en hâte derrière les murs du Donjon Rouge. Dès lors que les ailes noires de Drogon apparaissent dans le ciel, les spectateurs se retrouvent cloués à leur siège, le souffle presque coupé, tandis que devant leurs yeux se livre une bataille dont le déroulement asymétrique est dépeint d’une main de maître par Sapochnik.
Comme à son habitude, le réalisateur s’échine à montrer la guerre pour ce qu’elle a de plus viscérale, de plus cru et de plus terrible. Loin d’être le théâtre de hauts-faits et de bravoure, c’est un événement de mort, d’horreur et de massacre. Une réalité qui se retrouve dans l’esthétique très organique, très humaine, que confère Miguel Sapochnik à cet épisode 5. Tantôt vécue du point de vue aérien et global de Daenerys ou de Cersei, tantôt vécue du point de vue serré, personnel et limité des civils horrifiés, cette bataille brille si fort qu’elle éclipse quasiment celle qui se déroulait deux épisodes plus tôt. Cette esthétique atteint son paroxysme lors des plans-séquence, signature du réalisateur, qui immergent les spectateurs dans les rues enflammées et poussiéreuses de King’s Landing et avec d’autres plans si saisissants qu’ils semblent suspendre le cours du temps lorsqu’ils s’affichent à l’écran. Parmi eux, la vue de pans entiers du Donjon Rouge qui s’écroulent sous le feu de Drogon est à la fois jouissive et effroyable.
Un monde s’effondre
Intitulé « The Bells » (Les Cloches), cet avant-dernier épisode de Game of Thrones sonne le glas du règne de Cersei Lannister, mais aussi de la capitale de Westeros, le centre politique du royaume : King’s Landing. Tandis que les cloches résonnent pour signifier la reddition de la ville, Daenerys, esseulée, dépourvue de l’amour des autres et mue par une haine viscérale saupoudrée de cette tendance à la folie qu’ont les gens de sa famille, décide de ne pas interrompre son attaque. Elle déverse alors un torrent de feu sur toute la ville, réduisant demeures et citadins en cendres dans un chaos de hurlements d’agonie et de suppliques, tandis que Ver Gris, brûlant de venger son aimée injustement tuée, s’en prend à des soldats qui s’étaient pourtant rendus.
Jon Snow se rend compte de la véritable nature profonde de sa reine et assiste, impuissant, au massacre de civils et de soldats par milliers. Il prend la mesure d'une dure réalité : tous n'ont pas le même code moral que lui. Comme lors de l’épisode 3, il se retrouve désemparé dans le tumulte flamboyant de la bataille, mais, contrairement à l’épisode 3, ce désemparement prend tout son sens. En effet, la quête du trône qui l’a conduit si loin dans le sud n’est pas le sienne, tandis que la lutte contre le Night King, deux épisodes plus tôt, était supposée être le paroxysme de son arc narratif.
Sandor Clegane, de son côté, obtient une conclusion satisfaisante et spectaculaire à son histoire. Après avoir convaincu Arya d’abandonner sa quête de vengeance, peu désireux de la voir devenir aigrie comme lui, ou pire, qu’elle meurt tandis que le Donjon Rouge s’écroule, il se retrouve enfin face à face avec son frère. Le duel de colosses commence par un magnifique plan en contre-plongée sur un escalier qui ne va nulle part, métaphore de la vengeance, tandis qu’un torrent de feu déchire le ciel derrière ser Gregor. Le combat qui suit est d’une brutalité sanguinolente similaire à celle qui se déroule dans les rues de la capitale tandis que les Immaculés et les Dothrakis répandent la mort. C’est par le feu, évidemment, que le Limier parviendra à conclure son arc narratif, en emportant avec lui La Montagne dans une chute mortelle.
On ne peut guère en dire autant de Jaime Lannister, dont l’écriture aura été aussi irrégulière que frustrante tout au long de la série. Après avoir été humanisé, nuancé et approfondi dans la saison 3, le Kingslayer n’était redevenu qu’un incestueux décérébré à la botte de sa sœur dans la saison 4. C’est ce qui se reproduit, d’une certaine manière, dans cet épisode. Il semblait avoir trouvé la paix en adoubant Brienne en début de saison 8, puis en concrétisant sa relation avec cette dernière après s’être battue pour la vie. Hélas, après avoir pris la mesure du destin funeste qui guettait sa sœur et ancienne amante, il a soudainement régressé pour courir à nouveau dans ses jupons et tenter de la sauver. Après un combat qui conduit (enfin) à la mort du très caricatural et presque ridicule Euron Greyjoy, Jaime finit donc écrasé avec sa sœur dans les souterrains du Donjon Rouge. Adieu la prophétie du Valonqar qui voulait que Cersei serait tuée par l’un de ses frères.
Pourtant encore détestable dans l’épisode précédent, impossible de haïr Cersei lorsque la bataille tourne au vinaigre. En effet, Lena Headey la campe avec une palette d’émotions rafraichissantes, comme le désarroi et une peur authentique, qui changent des petits rictus satisfaits qu’elle affichait depuis huit saisons et qui étaient devenus lassants. Le personnage de Qyburn brille aussi pour la dernière fois, en affichant une loyauté vraisemblablement animée par une réelle affection pour sa reine.
Enfin, la dernière partie de l’épisode est vécue majoritairement à travers les yeux d’Arya qui lutte pour réchapper vivante des méandres enflammés de la ville. Grâce à cette séquence, la dimension très organique de la bataille permet également au personnage d’Arya, encore assez froid et mécanique, de retrouver un peu de son humanité. L’héroïne de Winterfell est toute aussi désemparée dans le chaos d’une ville qui s’effondre que ne le sont les civils qui fuient. Une succession de scènes qui s'inscrit dans la dimension spectaculaire du conflit tel qu'il est vécu au sol.
Queen of the Ashes
Si la tournure que prennent les événements était prévisible, elle a tout de même son petit effet. Daenerys, enragée et déterminée à saisir ce qu’elle estime lui revenir de droit, balaye les innocents par milliers, comme de vulgaires pions sur un échiquier, pour mettre la reine adverse en échec. On peut toutefois être amené à se demander ce que la destruction d’habitations civiles et la mort de citadins peut bien apporter, militairement parlant, lors d’une bataille, mais nous passerons sous silence cette incohérence comme bien d’autres (nous ne parlerons donc pas du placement de la Compagnie Dorée devant les remparts de la ville, ni de leur inutilité absolue).
L’un des points négatifs de cette épisode, et plus largement des saisons 7 et 8, réside dans l’écriture et le traitement déclinants de personnages pourtant complexes, qui sont l’essence même de l’œuvre originale de George R.R. Martin. C’est le cas pour Jaime, Jon ou encore Tyrion et c’est désormais au tour de Varys. Comploteur aux objectifs obscurs, le maître-espion qui aura servi plus de rois que quiconque et qui aspirait à la paix et à la prospérité du royaume, agit ici avec imprudence et se fait coincer trop facilement pour un expert en secrets. Il faut toutefois saluer la prestation de Conleth Hill qui campe son personnage mieux que jamais avec cette lueur inquiète dans son regard et les ombres qui passent sur son visage à mesure qu’il assiste à la déchéance de celle qu’il pensait être la bonne reine. On déplore donc que Tyrion l’ait dénoncé auprès de Daenerys. Une action qu’il regrettera lorsqu’il verra la capitale brûler.
Dans la saison 3, Varys, en parlant de Littlefinger à Olenna Tyrell, disait : « I rather enjoy him. But he would see this country burn if he could be king of the ashes. » (« En fait, je l'apprécie plutôt. Mais il verrait ce pays brûler s'il pouvait être le roi des cendres »). Ses paroles raisonnent aujourd’hui avec une triste justesse, mais c’est une reine des cendres qui se dresse en lieu et place d’un roi. Aerys II Targaryen, dit le Roi Fou, criait « Burn them all ! » à tue-tête. Plus de vingt ans plus tard, sa fille, Daenerys, aura accompli sa volonté et cette fois-ci, personne n’aura su l’en empêcher. Reste désormais à savoir quelles seront les conséquences de ses actions et si tout ceci n’aura conduit qu’un Tyran à en remplacer un autre. Réponse lors de l'ultime épisode de Game of Thrones, la semaine prochaine.