
• La montée en puissance du récit jusqu'au grand final
• Le regard acerbe de l'auteur sur le milieu de la politique et des médias
Norman Spinrad fait partie des icônes de la science-fiction. Il a fait de sa littérature une arme pour secouer les esprits. Son franc parlé lui a valu de nombreux problèmes dans son pays d’origine, les États-Unis, au point de devoir s’exiler en France, pour continuer à exercer sa prose.
Jack Barron et l’éternité est le quatrième livre de cet auteur. À l’époque de sa sortie, la revue New World, dirigée par une autre figure incontournable, Michael Moorcock, qui le publiait en série, fut interdite par le parlement britannique, à cause de la crudité des propos. Ce roman caractérise le tournant qui se produisit alors dans la science-fiction, Norman Spinrad prouve que le genre peut parler de sexe ou critiquer la société de front.
Les éditions J’ai Lu ont eu la bonne idée de republier ce classique agrémenté d’une postface inédite de son auteur dans leur collection, Nouveaux Millénaires.
Jack Barron est un présentateur du talk-show le plus important du pays. Chaque semaine, il invite un spectateur à lui faire part de ses griefs contre les puissants qu’il interrogera à leur tour dans la même émission afin qu’ils se justifient. Norman Spinrad ne fait pas pour autant de son héros un chevalier blanc, il montre combien l’idéalisme de façade est jeté sur l’autel du spectacle. Le but du show est d’asticoter les puissants, le présentateur sait que son émission peut disparaître de l’antenne s’il frappe trop fort. Pourtant, dans ses jeunes années, Barron était mu par des idéaux que le temps et le confort ont noyés. Son grand amour, Sara, n’a pas supporté l’homme qu’il était devenu. Lors d’une des émissions, il se retrouvera confronté à la Fondation pour la vie éternelle de Benedict Howards. Cette entreprise privée propose de cryogéniser les corps des mourants afin de le réveiller une fois qu’elle aura trouvé le remède contre la mort, moyennant finance, bien évidemment. Cette initiative secoue le pays, des opposants refusent que l’immortalité soit l’affaire d’une entreprise privée. Avec sa fortune accumulée, l’industriel achètera les membres du congrès et financera la campagne d’un candidat à la présidence à sa botte dans le but de s’assurer de l’obéissance des pouvoirs politiques. Pour parfaire son dessein, il tentera de soudoyer le présentateur afin qu’il se serve de son influence auprès des masses. Seulement, Jack Barron se révélera moins corruptible que beaucoup, obligeant Howards à faire une proposition qu’il ne pourra refuser.
Norman Spinrad traite tour à tour du cynisme d’une société qui a oublié ses idéaux, à l’instar de son héros. Il aborde aussi le sujet de la compromission des politiques plus attachés à leur image, drogués au pouvoir comme des junkies qui sont prêts à toutes les bassesses pour arriver à leur fin. Il s’attaque également aux médias, cet organe d’influence capable d’assujettir les masses. Il s’interroge sur le sort de la communauté noire et de leur possibilité de parvenir aux plus hautes distinctions. Si tous ces thèmes sont analysés avec clairvoyance, il n’offre pas la même ouverture d’esprit concernant le rapport entre les hommes et les femmes. Plus que la traduction et l’usage d’expressions désuètes, l’empreinte des années 60 se fait sentir surtout sur le traitement du personnage féminin. Elle considère que le pouvoir n’est pas une affaire de femme, mais une affaire de « couilles ». Toute son ambition consiste donc à s’effacer au profit de celles de son amant et son rôle dans l’histoire se réduit à celui d’une poupée bringuebalée entre les désirs des hommes.
Si l’on passe outre l’élément machiste, Jack Barron et l’éternité reste un classique incontournable de la science-fiction qui dénonce sans vergogne les travers du pouvoir. Son propos a su traverser les époques et n’a pas perdu de son caractère subversif salvateur dans l’époque où l’on vit. Le livre se révèle très prenant, la tension monte crescendo pour offrir un affrontement final à la hauteur des enjeux du récit.