Critiques

Jessie (Gerald's Game), la critique

Par Arno Kikoo
2 octobre 2017
Jessie (Gerald's Game), la critique
On a aimé
• La mise en scène simple mais efficace
• Carla Gugino au meilleur
• Un propos viscéral sous toutes ses formes
• Un dernier tiers éprouvant
On n'a pas aimé
• La réalisation manque un peu de folie
• L'épilogue à l'utilité discutable

L'année 2017 a été généreuse en termes d'adaptations des oeuvres de Stephen King, tous supports confondus. Après un Dark Tower décevant et un Ça plutôt réussi, il est temps de s'attaquer à un récit moins connu de l'auteur américain, qui trouve toute sa force dans un film sans prétention et viscéral à bien des égards.

L'histoire, vous la connaissez peut-être si vous avez lu le livre originel. Jessie Burlingame part en week-end dans une petite maison isolée avec son mari Gerald, afin de rallumer une flamme qui commence à s'éteindre dans leur couple. Au cours d'une séance de galipettes tendance SM qui tourne mal, Gerald succombe à une crise cardiaque. Laissant Jessie seule, attachée au lit avec des menottes, sans espoir apparent de s'en sortir. Commence alors une très longue épreuve pour la pauvre femme - surtout lorsqu'un chien errant s'introduit dans la maison et se met à dévorer le cadavre de son mari. 

Au vu du pitch on pourrait craindre qu'il soit difficile de transposer un tel concept pendant plus d'une heure mais Mike Flanagan (nouveau trublion du film de genre avec Hush ou Ouija : Origin of Evil) s'en sort admirablement. Ainsi, l'histoire met peu de temps à démarrer, et sans trop vous en dévoiler, Jessie (incarnée par  uneCarla Gugino assez exceptionnelle) ne passe pas le film toute seule à converser avec elle-même. Le réalisateur trouve une belle façon, et au final assez simple, de mettre le personnage face à ses pensées et à ses démons personnels. C'est d'ailleurs le véritable propos du film, qui comme beaucoup de récits de Stephen King, se concentre sur ses personnages, l'action et le cadre ne servant au final que de prétexte. Le passé de Jessie est donc abordé et mis en rapport avec les événements présentés au cours du film. Les parallèles entre dialogues intérieurs ou flashbacks sont habilement montés pour faire avancer l"intrigue sans temps mort.


Plus que fantastique, l'horreur présentée dans Jessie est très terre à terre et ne s'autorise qu'à quelques moments à verser dans une sorte d'irréel rampant ; la santé mentale du personnage flanche et le film réussit à en faire remonter ses peurs intérieures, qui sont projetées envers le spectateur, impuissant. Ainsi, les ombres de la chambre de Jessie deviennent le théâtre de cauchemars insidieux, les souvenirs qui remontent mettent en lumière les problèmes de l'héroïne qui l'ont, au final, menée à être coincée, menottée à ce lit. Des problèmes qui, tout en développant la psyché de l'héroïne et servent à la faire avancer, nous parlent aussi de véritables monstres humains, proprement plus affreux que ce pauvre chien errant qui, au final, ne fait que répondre à ses instincts. De nombreux parallèles imagés sont d'ailleurs faits avec l'animal, qui servent un propos que chacun pourra apprécier au vu de sa propre histoire personnelle.

Que les amateurs d'adrénaline se rassurent, si la montée en tension est surtout psychologique, le dernier tiers est proprement éprouvant, pour l'héroïne autant que visuellement pour le spectateur. Les amateurs d'effets sanglants y trouveront leur compte. Le réalisateur se permet également un épilogue qui en revanche divisera, parce que d'un côté il casse en grande partie toute la narration qui s'est installée ; et en même temps, il apporte une touche finale à l'évolution de Jessie, en ramenant une sorte de raccord terre à terre, sous forme de twist qui soulève un autre pan horrifique dans ce qu'elle a vécu. Un pan d'ailleurs bien plus pervers... 


Malgré un budget assez léger (qui se ressent surtout dans la façon de filmer de Flanagan, qui aurait pu être un peu plus folle), Jessie parvient à secouer son spectateur et marque un malaise qui reste ancré bien après le générique de fin. On peut accorder en grande partie cette réussite à une écriture qui est fidèle à l'oeuvre de base, mais surtout au jeu des acteurs, tous impeccables - et encore une fois, Carla Gugino qui réussit admirablement à passer par toute une palette d'émotions malgré le cadre minimaliste ; sans oublier Bruce Greenwood ou Henry Thomas, qui participent à l'ambiance à la fois tendue et malsaine tout du long. Flanagan travaille également sa photographie et la lumière pour proposer quelques plans véritablement marquants, sortes de tableaux figés, tout comme il parvient à jouer sur ce que le spectateur peut voir ou ne pas voir pour le surprendre.

Il n'y a donc que peu de reproches à faire à Jessie, qui prend le pas sur Ca pour être la meilleure adaptation de Stephen King de l'année. Servi par des acteurs on ne peut plus convaincants, une mise en scène simple mais terriblement efficace, et un propos qui permet de brasser différents genres de peurs, Jessie est un film qui dérange et qui imprime sa marque dans les rétines, jusqu'à vous hanter des heures durant. Si on pourra discuter de l'utilité de l'épilogue, Jessie est pour le reste une réussite. On attend maintenant de voir 1922 pour voir si Netflix a trouvé un bon filon.