
• Channing Tatum impeccable
• L'audacieuse seconde lecture
• Le final explosif
• Les fonds verts qui tâchent
• Une construction qui atteint ses limites
Vous le savez sans doute, Hollywood n'a jamais cessé de mettre des bâtons dans les roues des Wachowski, eux qui ont pourtant livré, avec Matrix, l'une des plus grosses claques de l'histoire du cinéma américain. Ce calvaire, qui a débuté au début des années 2000, se poursuit hélas aujourd'hui avec la sortie de Jupiter Ascending, qui fut repoussé de près d'un an, elle qui était prévue l'été dernier, lui qui est étrangement promu et distribué sur le territoire français. Et pourtant, malgré son parcours long et pénible, Jupiter Ascending est bien la bombe que nous étions en droit d'attendre.
Ascenseur émotionnel terrible, le nouveau film des Wachowski, pour faire simple, commence de la plus commune des manières, et se termine en apothéose. Andy et Lana ont encore frappé, avec la structure narrative qui fait leur signature. On a eu peur. Très peur même, que Jupiter Ascending se lève du mauvais pied, car les débuts du film sont assez inquiétants. L'humour y est un peu douteux, les personnages plutôt inintéressants et la réalisation un poil quelconque, surtout pour ceux qui auront vu les trailers, qui se servent largement dans cette introduction. Mais il fallait bien souffrir un peu pour que l'univers de Jupiter Ascending se dévoile à nous, de la plus belle des manières : une narration simple et crescendo, une recette qui a fait le sel des bonnes histoires depuis la nuit des temps. Jupiter Ascending emprunte ainsi énormément au conte, à la mythologie et à la science-fiction classique pour mieux nous attirer dans les filets de son originalité.
On a ainsi comparé, a juste titre d'ailleurs, Jupiter Ascending à Star Wars. Un rapprochement d'autant plus pertinent qu'il est vrai sur plusieurs niveaux. Comme le film de Lucas, Jupiter se base sur la structure d'un conte pour assoir son formidable univers. Les deux films partagent également les mêmes racines, en étant deux représentants du genre Space-Opera, qui n'a que rarement quitté nos écrans, mais dans lequel il est rare de trouver de vrai pépites, particulièrement au cinéma.
De plus, de Star Wars, Jupiter Ascending a la magie : le film des Wachowski est sans aucun doute le futur refuge des passionnés de science-fiction, qui trouveront dans cette histoire la dose d'évasion qu'ils recherchent. Il me coûte de le dire, mais on pourrait même considérer que Jupiter Ascending dépasse les films Star Wars en terme d'imaginaire, tant la direction artistique est riche et exotique. Là où Lucas puisait dans la seconde guerre mondiale, le japon féodal et le futur usé, les Wachowski se nourrissent de décennies de science-fiction mondiale, qu'ils digèrent dans un style unique, à la croisée des chemins entre le Future Punk et la Space Fantasy. Et au-delà des mots et des classifications, cet univers visuel se ressent, avec des plans époustouflants, de véritables tableaux qui font bon usage de la 3D mise à leur disposition.
Malheureusement, Jupiter Ascending trouve aussi dans cette comparaison ses limites. Le défaut le plus évident, plus typique de la prélogie Star Wars, n'est autre que la maladie du fond vert. Si les réalisateurs nous régalent avec des plans spatiaux épiques, ils se contentent parfois de nous servir des gros plans assortis d'un fond vert sans détails ni profondeur, que la 3D ne manque pas de souligner. Outre ces fautes visuelles, on notera des dialogues souvent maladroits : qu'ils soient ruinés par l'humour ou simplement mal écrits, ces derniers ont tendance à enlever au récit la majesté épique qui le revient du droit. Dommage, car on trouvera, au sein du même film, des petites pépites en la forme de répliques justes ou parfaitement condensées, à la portée et à l'impact dingues.
Pour leur défense, les Wachowski sont les premières victimes de leur propre modèle scénaristique. En étant très longtemps dans la retenue, ils laissent certes le spectateur découvrir l'univers par lui-même, mais se privent forcément de temps forts avant la dernière partie de leur métrage. Pendant de longues minutes, le film aura donc la fâcheuse habitude de se montrer avare en action et en épique, les introduisant par petites touches, parfois au mauvais moment, avant d'exploser dans un final épique et frissonnant. A défaut, la constance se trouvera dans l'univers visuel du film, qui ne cesse d'étonner à grands coups de créatures, de nefs, de planètes et de décors absolument captivants.
Captivants, les acteurs choisis par les Wachowki ont parfois du mal à l'être. Non pas qu'ils manquent de talent, mais les faiblesses de l'écriture se font sentir lorsque Mila Kunis tente de s'imposer comme l'héroïne qu'elle devrait être dans ce film. De son côté, Channing Tatum régalera ses fans avec un charisme intact, malgré des oreilles pointues et une coupe de cheveux un peu douteuse. Sean Bean fait le boulot, de même que les différents antagonistes comme Eddy Redmayne, convaincant.
Du reste, comme tout bon Wachoswki, Jupiter Ascending possède une remarquable seconde lecture, qui met un peu de temps à se dessiner, mais qui s'avère particulièrement saisissante une fois visible par tous les spectateurs. Et en tant que scénaristes et réalisateurs, Andy et Lana n'ont donc rien perdu de leur capacité à faire passer des messages et un univers au détour d'un plan, d'un échange ou d'un dialogue. Et pour le coup, cette seconde lecture était totalement absente des différentes bande-annonces, ce qui devrait assurer à Jupiter Ascending un capital surprise(s) important. D'autant plus que la réflexion est, en elle-même, assez corrosive.
Nous parlions de bâtons dans les roues et de chemin pénible. Il se trouve que depuis bien longtemps, au sein du septième art et ailleurs, ils sont certes l'apanage des mauvaises œuvres, mais également la marque des plus grand génies, qui n'ont pas toujours la chance d'être consacrés de leur vivant ou de connaître un succès incontestable. Mais en février 2015, la balle est dans votre camp : allez soutenir ce film imparfait et terriblement attachant qu'est Jupiter Ascending, un nouveau don des Wachowski à un cinéma qui peine à les reconnaître parmi ses meilleurs contributeurs.