
• L'univers
• L'ambiance
Un conteur de contes narre le destin de l’empire le plus vaste qui ait jamais existé de sa naissance à sa chute. D’histoire en histoire, il fait le portrait des hommes et de femmes qui l’ont peuplé, du plus modeste au plus puissant.
La Volte édite pour la toute première fois en français Kalpa Impérial, un magnifique roman d’Angélica Gorodischer. Tout d’abord publié juste après la dictature argentine en 1983 en raison de la censure qui sévissait dans le pays, il fallut attendre la traduction anglaise d’Ursula Le Guin, l’une des autrices les plus importantes dans le domaine de l’Imaginaire, pour que ce livre obtienne la notoriété internationale qu’il mérite. Depuis l’écrivaine a été couronnée de nombreux prix littéraires, dont le World Fantasy Award en 2011, pour l’ensemble de son œuvre.
Kalpa Impérial est construit comme un récit enchâssé sur deux plans narratifs. Le premier tourne autour du conteur de conte qui sert la plupart des fois de point d’ancrage au roman. Il est à une ou deux exceptions près, le narrateur des nouvelles. Tout d’abord décrit en creux dans quasiment tout le livre, il deviendra la figure principale de l’un des meilleurs contes de l’ouvrage. Personnage flamboyant, homme libre qui ne s’incline devant aucun pouvoir, il relate à qui veut l’entendre les histoires sur le monde qui l’entoure. Il est l’âme de cet univers, c’est par lui que vivent les empereurs, impératrices et empire dont il retrace les aventures, dans ce qui est le second plan de l’intrigue. Il se permet au cours de ces récits des ellipses, des omissions et même d’interpeller son auditoire.
Comme une œuvre pointilliste, la succession de contes qu’il narre dresse le tableau d’un empire, à la fois, dans son espace géographique - les villes sont importantes dans le récit, elles tiennent parfois le premier rôle dans certaines nouvelles - mais aussi dans les époques à travers l’histoire des différents empereurs. La notion de temps se retrouve d’ailleurs dans le titre même du roman avec le mot Kalpa qui renvoie à une unité de temps issue de l’hindouisme équivalant à une journée dans la vie de Brahma c’est-à-dire 4 320 000 000 d’années, soit, la durée du monde entre son émanation et sa dissolution. Paradoxalement, si l’on imagine en lisant que le roman se passe sur plusieurs centaines d’années, Angélica Gorodischer donne très peu d’indices sur les époques dans lesquelles se situent les nouvelles, les unes par rapport aux autres. Les sociétés qu’elle met en scène restent très archaïques. Le cadre de l’aventure ne s’éloigne jamais de cette atmosphère de conte merveilleux. L’autrice entretient un flou qui accroît l’impression agréable de se perdre littéralement dans l’univers du livre.
Kalpa Impérial ne s’adonne en aucun cas à la prétention bourgeoise d’une certaine littérature ni à l’imagination anémiée des récits stéréotypés qui pullulent dans les librairies. Angélica Gorodischer atteint, avec son roman, cet universalisme qui est l’apanage des très grands auteurs. Elle représente la vie humaine sous toutes ses formes avec une acuité très fine, dans sa noblesse comme dans son indéfectible bassesse. Elle utilise la fonction de l’imaginaire comme une loupe sur nos sociétés, tout en restant au plus près de la quintessence même de ce qui fait le « sense of wonder ».
Même si le tableau est plus qu’élogieux, il faut avouer que toutes les nouvelles ne sont pas de qualités égales. Je rassure tout de suite, aucun des textes proposés n’est mauvais ou ne dépareille réellement dans ce recueil. Ce constat ne vaut qu’à cause du parallèle que l’on peut faire lorsqu’on enchaîne la lecture des contes les uns après les autres. Certains atteignent de tels sommets que si le suivant est juste bon ou très bon, il souffre de la comparaison.
Il est parfois difficile d’émettre ce type de conclusion, car le jugement peut paraître exagéré, pourtant je l’affirme, Kalpa Impérial est un roman qui possède toutes les qualités pour trôner au panthéon des grands classiques de la littérature tous genres confondus. À travers onze nouvelles, Angélica Gorodischer invite à découvrir un Empire où se nouent amour, trahison, héroïsme, vanité.