Critiques

La Justice de l'Ancillaire, la critique

Par -- David --
3 décembre 2015
La Justice de l'Ancillaire, la critique
On a aimé
• Un univers riche
• L'usage du pronom personnel féminin de manière systématique.

On n'a pas aimé
• Il faut attendre pour connaître la suite.

La Justice de l’Ancillaire, arrive en France forte d’un florilège de prix plus qu’éloquent. Le prix Hugo du meilleur roman en 2014 ; prix Arthur C. Clarke 2014 ; prix Locus du meilleur premier roman ; prix Nebula 2013 ; prix British Science Fiction 2013 ; prix Sydney J. Bounds du meilleur nouvel auteur 2014 ; Kitschies Golden Tentacle du meilleur premier roman 2013. Ce palmarès qui ressemble à un plébiscite avait de quoi intriguer le lecteur avide de bonne science-fiction.

La collection Nouveaux Millénaires des éditions J’ai Lu propose en France ce roman qui voit éclore un nouveau nom dans le paysage de l’imaginaire. Avant la publication de ce premier livre, La Justice de l’Ancillaire,Ann Leckie a vu plusieurs de ces projets refusés par les éditeurs. Cette fan de science-fiction profite du moment où elle élève ses enfants pour lancer le premier jet de ce qui deviendra le premier volume de la trilogie des Chroniques du Radch au cours d’un Nanowrimo. Le Nanowrimo (National Novel Writing Month) est un marathon d’écriture très prisé par les jeunes auteurs où chaque participant se fixe un objectif de mots à réaliser par jour pendant un mois.

Le héros principal de ce roman est Le Justice de Toren, l’intelligence artificielle d’un vaisseau spatial. Il se comporte comme une conscience qui interagit avec les hommes qui vivent à son bord. Il peut aussi intervenir physiquement auprès d’eux en utilisant des corps vidés de leur personnalité qui se nomme ancillaires. Son rôle est de suppléer le lieutenant Awn qui tente de maintenir l’ordre sur une planète colonisée par l’empire radchaaï.

Le Radch est une civilisation expansionniste qui entend apporter la culture par l’annexion des mondes.

Sur un autre axe narratif, on retrouve l’IA Justice de Toren isolé(e) dans un corps, en quête de vengeance. Il veut récupérer la seule arme en mesure de tuer les multiples incarnations de l’empereur Radchaaï. Pour une raison qu’elle ignore elle-même, elle sauve d’une morte certaine l’une de ces anciens officiers issus de l’élite Raadchaï devenue depuis toxicomane.

Les deux époques qui articulent le récit reprennent un procédé assez classique, la première partie raconte les causes de la vengeance et la deuxième partie son déroulement. Au fur et à mesure que la cassure entre ces deux temporalités se résorbe, on découvre la machination politique qui pousse l’IA dans son entreprise.

Les enjeux narratifs s’avèrent donc assez simples et contrastent avec un univers riche. Ici se trouve la véritable force de La Justice de l’Ancillaire. La toute première chose que l’on remarque à la lecture est le vocabulaire et son usage. Dans la culture Radchaï, le genre est indifférencié. L’IA se révèle par exemple incapable de différencier un homme d’une femme, au premier coup d’œil. Pour mettre en exergue cette particularité, l’auteur utilise le « elle » comme pronom personnel par défaut. Nous devons d’ailleurs louer la qualité de Patrick Marcel, le traducteur, qui a reproduit avec brio cette originalité dans son adaptation. Cet emploi de la troisième personne du singulier féminin crée, au moment de lecture, un trouble sur l’identité sexuelle des personnages. Si au début, on s’attarde à questionner le genre, au fil des lignes, cette interrogation s’estompe, on accepte ce flottement de l’identité.

L’originalité ne s’en tient pas qu’à l’usage de la langue, tout l’univers de Radch propose une multitude de concepts qu’il faut assimiler. Bien sûr, les esprits chagrins pourront reprocher à Ann Leckie d’utiliser un patchwork d’idée tiré d’autres auteurs. Si l’originalité qu’on prête à ce livre peut paraître exagérée, l’histoire proposée arrive tout de même à emporter le lecteur au fil de ses révélations, en dépit d’une intrigue un peu mollassonne sur un premier tiers du livre.

Ce premier volume d’une trilogie propose des personnages forts. Même si les concepts sont denses, l’histoire racontée et les sentiments qui animent celle-ci restent universels si ce n’est classique. Ann Leckie propose un bon roman de Space Opera qui sans proposer la révolution espérée, laisse place à une aventure captivante.

(Ann Leckie, La Justice de l’Ancillaire, Les Chroniques du Radch 1, Traduction de Patrick Marcel, Éditions J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, Septembre 2015, 443 pages, 20 €)