Critiques

L'épée de l'ancillaire, la critique

Par -- David --
15 juin 2016
L'épée de l'ancillaire, la critique
On a aimé
• La caractérisation des personnages
• L'univers toujours aussi intéressant
• Le jeu sur la focalisation
On n'a pas aimé
• Une introduction mollassonne
• Un roman à l'intrigue sans enjeux majeurs

Le cycle des Chroniques du Radch s’était ouvert sous les meilleurs auspices avec un premier livre couronné par les plus prestigieux prix anglo-saxons du genre (Hugo, Locus, Nebula...) pour un récit de science-fiction très bien construit même si on pouvait lui reprocher un certain classicisme. Quelques mois après la sortie de ce premier opus, les éditions J’ai Lu proposent de poursuivre les aventures de Breq, l’ancienne IA du vaisseau Le Justice de Toren.

Après la révélation qui clôturait le premier volume, l’empire Radchaaï s’enfonce en pleine guerre civile. Afin de régner sur son territoire qui s’étend sur plusieurs planètes, Anaander Mianaaï, le maître du Radch avait eu recours à une multiplicité de corps dirigés par un même esprit pour conserver la cohésion de son empire. Malheureusement, la pensée mettant du temps à se déplacer dans l’espace, une variation s’est produite entre plusieurs de ses incarnations. Cette dissension est la cause de ce conflit. Breq qui a fait éclater au grand jour cette guerre est mandatée par l’une de ses personnalités afin de se rendre sur la station Athoek pour en assurer la protection.

Premier constat à la lecture, l’introduction est « molle » et les enjeux qui l’animent manquent d’intérêt. L’auteure, Ann Leckie, profite du voyage de Breq vers la station pour relater les évènements du précédent livre et nous présenter aussi la vie au sein de l’équipage du vaisseau de guerre, Le Miséricorde de Kalr, avec la venue de l’intrigante lieutenant Tisarwat. Cette longue mise en place s’étale sur quatre-vingts pages jusqu’à l’arrivée sur Athoek. À partir de là, le récit s’étoffe un peu. L’histoire s’articule alors sur les tensions sociales à l’intérieur de la station. Au-dessus de ces enjeux de proximité auxquels Breq devra faire face plane toujours la menace du conflit entre les différentes personnalités du Maître du Radch.

Ann Leckie résume à merveille la structure de son roman à travers une réplique de son personnage principal : « De l’action frénétique et puis des mois, voire des années à attendre qu’il se passe quelque chose. » Ce livre est l’image de cette assertion, les péripéties qui clôturaient le premier opus à laisser place à une action tendue vers des éléments larvés que le lecteur ne cesse d’attendre. Ce sentiment d’atonie est accru par un récit dont la psychologie des personnages sert de moteur. L’Épée de l’Ancillaire avance principalement à travers les rencontres, la pensée du narrateur, les dialogues, le tout mâtiné de quelques rebondissements.

Heureusement la fin du roman relève l’intérêt lorsque les pièces de l’intrigue se révèlent enfin et que les évènements s’emballent. Pour autant, il est difficile de ne pas notifier que les pistes ouvertes dans le volume précèdent trouvent très peu de réponses dans ce livre.

En dépit de cette trame mollassonne, c’est toujours un plaisir de retrouver la prose d’Ann Leckie traduit de nouveau par Patrick Marcel. Ses personnages sont très bien caractérisés et permettent de retenir l’attention des lecteurs. La singularité de Breq dans cet univers – une ancienne IA de vaisseau qui est coincée dans un seul et unique corps – en fait un véhicule parfait pour le récit. Sa nature fait qu’elle voit cette société et les conflits qui la rongent avec le décalage nécessaire pour révéler les anfractuosités de ce monde.

L’Épée de l’Ancillaire est un « fill-in », un numéro de transition, qui apporte peu d’éléments sur l’intrigue ouverte lors du premier volume. Seul le talent d’Ann Leckie pour élaborer des personnages passionnants permet de maintenir l’intérêt pour l’histoire. Il reste à espérer que le troisième et dernier volume saura redonner des couleurs à cette série.

(Ann Leckie, L’Épée de l’Ancillaire, Les Chroniques du Radch 2, Traduction de Patrick Marcel, Éditions J’ai Lu, Collection Nouveaux Millénaires, Avril 2016, 416 pages, 20 €)