
On a aimé
• L'OASIS
• Les séquences d'action
• La gestion des références
• Les séquences d'action
• La gestion des références
On n'a pas aimé
• Très lourd en exposition
• Un rythme assez douteux
• Un propos rendu cartoony, voire moralisateur
• Un rythme assez douteux
• Un propos rendu cartoony, voire moralisateur
Vous le savez, la nostalgie est la monnaie la plus forte du moment, à Hollywood. Alors quand Warner Bros annonce une adaptation du roman Ready Player One par Steven Spielberg, les esprits sont confus. La réalisation d'un bonhomme de 71 ans peut-elle être considérée comme paresseuse et nostalgique, sachant que Spielberg n'a pas grandi avec les références qu'il met en scène, ou a même participé à leur création ? La question est épineuse, et devient encore plus complexe si on ajoute à l'équation l'amour de tonton Steven à l'égard des jeux-vidéo, un média qu'il a aidé à développer, en créant Medal of Honor, par exemple.
Le débat soulevé par cette drôle d'anomalie aurait pu être l'occasion de nous pencher sur des questions passionnantes, comme l'importance de la culture populaire dans notre système de valeurs, la pertinence des références dans un film ou encore la suprématie écrasante du méta à Hollywood. Mais vous le savez aussi, sur l'internet de 2018, la mesure et le dialogue se cassent la gueule plus vite que les crypto-monnaies. Bien avant la sortie de Ready Player One, on se retrouvait donc déjà dans un no man's land entre les tranchées d'un public lassé d'avance par l'avalanche de références à venir, et celle des amoureux du cinéaste, persuadés que sa distance avec la matériau original allait nous sauver du pire, voire nous offrir un grand film.

Une fois n'est pas coutume, le résultat final se trouve quelque part entre les deux. En plein no man's land donc, là où il est très difficile de survivre et de pointer ses arguments vers l'une des deux tranchées. Mais puisqu'elle nous bombarde d'arguments stupides depuis quelques mois déjà, commençons par mitrailler la tranchée des spectateurs qui ne voient dans Ready Player One qu'un simple dégueulis de références. Certes, elles sont archi-nombreuses dans le film. Mais c'est justement leur nombre qui leur confère une certaine efficacité. Vous allez pouvoir repérer le son distinctif d'un dash de Tracer ou du passage d'un TIE Fighter, mais quand un monde est quasi-exclusivement constitué de références, personne n'a le temps de s'arrêter sur elles. Aussi, si elles étaient pour vous une inquiétude majeure, rassurez-vous : les références ne parasitent pas le récit. On se dit même qu'au regard des habitudes fixées par Hollywood ces dernières années, vous risquez peut-être d'être déçus par l'apparition de vos personnages ou œuvres préférés, qui ne sont que rarement mises en valeur par la réalisation.
Réalisation au sommet
Ce qui ne veut pas dire que celle-ci laisse à désirer. Bien au contraire, du haut de ses sept décennies, Steven Spielberg rappelle à tout le monde qui est le patron le temps de séquences proprement spectaculaires et pleines de plans impossibles à en faire pâlir Tintin, du même Steven Spielberg. Dans le même ordre d'idée, la performance-capture est bluffante et le soin apporté par les animateurs à l'OASIS, le monde virtuel dans lequel l'humanité choisit de se réfugier, sont bluffants. Des interfaces utilisateur aux objets utilisés par les avatars de nos héros en passant par les mondes servant de décor aux combats et aux énigmes de la gigantesque chasse à l'œuf qui déterminera le sort de l'OASIS, tout semble avoir été pensé dans le détail, et nos yeux s'en réjouissent, d'autant que la 3D renforce subtilement l'ambiance vidéo-ludique du film.

A n'en pas douter, Ready Player One est une réussite visuelle absolue, mais c'est dans son écriture que le film commencera à pécher, parfois sévèrement. Tout comme le roman est connu pour être un peu lourdingue, malgré de sincères qualités et une dimension politique assez fascinante (nous y reviendrons) le début du film est assommant. En effet, passé un superbe plan-séquence qui nous en dit beaucoup sur le monde dystopique où vit Wade Watts (Tye Sheridan), le héros de ce film, on prend un maximum d'exposition en voix-off dans les oreilles. Une approche regrettable, et d'autant plus que le scénario de Zack Penn et Ernest Cline, l'auteur du roman, simplifient à l'extrême le monde de l'œuvre originale.
Quotidien vs Spectacle
C'est certain, dans un film plus long, Spielberg aurait pu nous en montrer plus. Si on commence dans "les piles", ces mobile-homes empilées les unes sur les autres, on abandonne très vite la dureté de la vie réelle pour les joies du monde virtuel, qui se résume rapidement à des courses et de la bagarre, là où le roman nous montrait qu'on se connectait aussi à l'OASIS pour aller à l'école ou au travail. C'est tout bête, mais quelques séquences en plus auraient épargné Ready Player One de son expédition auditive et nous auraient permis de vivre un peu plus les quotidiens réels coomme virtuels de Wade.

Hélas, le quotidien laisse très vite sa place au spectacle, et aussi réjouissant soit-il, il a du mal à nous faire saisir les enjeux de l'intrigue et les arcs de nos différents personnages, qui semblent parachutés d'une scène à l'autre comme on se connecte à un serveur à la recherche de la game parfaite. De leur côté, les héros sont à la recherche de quelque chose de beaucoup plus important - le fameux easter-egg - mais toute la saveur du matériau original semble avoir été lissée pour faciliter leur quête.
Un film apolitique ?
Juste après The Post (Pentagon Papers), un film éminement politique, Spielberg met ainsi en scène un OASIS privé de ses réflexions les plus intéressantes, à grands coups d'humour cartoony et de remarques simplifiées à l'extrême. Là où le roman prouvait subtilement et efficacement l'importance de la culture populaire dans un monde toujours plus corporate, le film Ready Player One installe ainsi une morale au forceps. L'exemple du vilain incarné par Ben Mendelsohn le montre bien : il n'est qu'un costard vivant dont on ne cesse de se moquer, quitte à oublier les dangers que représente la corporation qu'il dirige, Innovatice Online Industries (IOI), prête à tuer des gens pour prendre le contrôle de l'OASIS.

Ce traitement est finalement à l'image de ce que disait Steven Spielberg dans la conférence de presse qui précédait la diffusion du film dans les salles Gaumont le 22 mars dernier : "la culture est ce qui nous définit, en termes de valeurs notamment, et la culture populaire est là où on s'échappe de tout ça". La citation n'est pas exacte, mais elle me permet tout de même de manifester mon désacord avec Steven Spielberg. Le propos de Ready Player One est on ne peut plus actuel. On ne peut plus y échapper. Chaque jour, la culture populaire peut prendre l'apparence d'un champ de bataille virtuel, dont les conséquences sont hélas bien réelles pour les internautes. Simplifier Ready Player One ou le fonctionnement de son OASIS, c'est donc réduire la portée de son message, et dans le contexte qui est le nôtre, l'opération flirte avec le malhonnête.
Too old for this shit
D'autant que le film ne corrige pas tous les défauts et les nombreuses maladresse du roman, même si Steven Spielberg a su nous habituer à de très belles adaptations au fil des décennies. Mais s'il évite par exemple le trop plein de débats nerdy, sa mise en scène de la relation Wade - Art3mis (Olivia Cooke) est au moins aussi douteuse que celle du roman. On pourrait mettre ça sur le compte d'une certaine candeur Spielbergienne, mais force est de constater que le réalisateur n'est pas toujours aussi à l'aise qu'il le prétend avec le sujet.

Effectivement, Spielberg est un proche du monde des jeux vidéo, mais ça ne fait pas de lui un jeune homme ayant vécu une idylle ou une amitié numérique pour autant. Et ce manque d'expérience deviendra criant au fil de la pellicule, comme lorsque les termes de hater ou de fanboy sont largués au milieu d'un dialogue entre Wade et Nolan Sorrento. Sans même parler des différences avec le roman original du côté des personnages et de leurs caractéristiques. On ne retiendra pas ces changements contre le film en lui-même, mais l'invisibilisation de la sexualité de Haech ou la transformation physique d'Art3mis témoignent une nouvelle fois d'un Ready Player One terriblement lissé, comme si le film ne voulait surtout pas être comparé à notre réalité.
Parce qu'il fallait plaire à un public plus vaste ? Parce qu'il fallait simplifier le propos ? Ou viser les plus jeunes en particulier ? Difficile de répondre à ces questions, surtout avec un réalisateur aussi inter-générationnel que Spielberg aux commandes. Certes, l'âge du metteur en scène lui évite de célébrer la moindre référence à l'écran dans un ralenti accompagné d'une musique qui tâche. Mais à quel prix ? A notre humble avis, c'est le message de l'œuvre qui trinque, et c'est d'autant plus dommage qu'un Spielberg aurait pu la purger des erreurs de son matériau original, tout en transcendant ses qualités. Au lieu de cela, il faudra se contenter d'un propos au mieux naïf - quoi qu'utile aux plus jeunes, qui sait - et au pire moralisateur, en témoignent les dernières secondes du film, qui se situent quelque part entre le nunuche et le vieux con.
Si Steven Spielberg reste inattaquable d'un point de vue technique et visuel, comme il nous le prouve une nouvelle fois avec un sens du spectacle digne des réalisateurs les plus fougueux du moment, sa distance avec les références mises en scène n'a pas que des qualités. La légèreté gagnée du côté de l'intrigue et de la nostalgie se fait finalement au détriment des messages qu'aurait pu apporter Spielberg au monde de 2018. Résultat des courses : Ready Player One est un film spectaculaire, mais qui appauvrit le propos de l'œuvre qu'il adapte au lieu de le parfaire ou simplement de l'enrichir. Dommage, mais en l'état, ça mérite tout de même le plus grand des écrans.