• Une héroïne manquant de charisme
• Une intrigue qui emprunte tellement de référence qu'il opacifie son originalité propre
L’éditeur de l’Homme sans Nom est une petite maison qui creuse son trou dans le paysage de l’imaginaire, grâce à un catalogue d’auteurs qui commencent à s’imposer comme Feldrik Rivat avec sa trilogie de fantasy, Les Kerns de l’Oubli ou son autre série steampunk La 25e Heure. Cette maison propose avec Rêves d’Utica de découvrir une toute nouvelle autrice avec son premier livre qui se déroule dans un univers qui mêle un contexte post-apocalyptique et cyberpunk dans une aventure aux accents homérique.
La Rêveuse est une jeune fille qui vit dans un bidonville où le seul espoir qui traverse chaque habitant est de se rendre un jour à Utica, une sorte de paradis lointain. Seulement, depuis un petit moment, plus personne n’a jamais été sélectionné pour rejoindre ce lieu idyllique, alors que les conditions de vie dans le ghetto ne cessent de se dégrader. Le père de La Rêveuse las de la misère dans laquelle ils sont obligés de ramper décide de mener la révolte. À la tête d’une cohorte de sympathisants à sa cause, il entraine sa fille avec lui, afin qu’elle soit la témoin du nouveau monde qu’il est sur le point de créer.
Ainsi débute le livre, cent pages, dans cette ambiance de combat sociale dans un monde aux accents cyberpunk. Cette première partie se révèle comme la plus faible du roman. Le personnage d’Alyss, aussi surnommé La Rêveuse, totalement passive, est bringuebalé par les évènements. Victime, tout d’abord du harcèlement incessant de la petite frappe locale, elle se laisse entrainer dans une révolution où elle ne fait que subir les choses sans trop comprendre ce qui lui arrive.
Pour échapper à la répression sanglante provoquée par la révolte, elle n’a d’autre choix que de fuir. Une véritable rupture se crée, à ce moment-là, dans le roman. De manière syncopée, l’intrigue avance alors au fil de la lente pérégrination de l’embarcation d’Alyss où chaque étape, chaque écueil, équivaut à un chapitre. Le personnage avance parce que le récit doit avancer, poussé par une sorte de fatalité, droit vers Utica.
Au fil de la lecture, on se rend vite compte que le paysage qui entoureRêves d’Utica est reconnaissable. Ce livre convoque mille références dans un grand recyclage qui parfois manque de subtilité. Si la quatrième de couverture se pare d’un name-dropping vendeur : « Inspiré des romans de Philip K. Dick et William Gibson, des films comme Matrix, Blade Runner, Mad Max, Divergente, ou encore Ghost in the Shell, Rêves d’Utica est un récit hybride, croisant mythologie, post apocalyptique et cyberpunk. » Malheureusement, elle ne notifie pas sa principale influence, L’Odyssée d’Homère. Les chapitres qui composent ce roman lui empruntent des éclats d’intrigue par moment ou le citent de manière évidente à d’autres. Au fil des pages, la protagoniste va se faire capturer par un cyclope, tomber sous le charme d’une sirène et être tiraillée entre Charybde et Scylla que l’auteur aura renommé en Charbd et Scyal.
D’autres influences plus ou moins marquées émaillent encore ce roman. Le biobot qui sert de compagnon à l’héroïne officie aussi comme une conscience externalisée à l’instar de Jimini Cricket dans le Pinocchio de Disney. Dès que le robot s’évanouit (au sens propre comme au sens figuré) pour les besoins de l’intrigue, la protagoniste ne peut s’empêcher de céder à sa curiosité en dépit des risques qu’elle sait prendre. Elle agit comme un personnage de conte comme Blanche Neige ou l’épouse de La Barbe Bleue.
En substance, le livre pourrait se résumer de la sorte : Alyss possède le comportement d’une Alice au Pays des Merveilles qui évolue dans un monde dont les ressorts de l’intrigue sont issus de L’Odyssée d’Ulysse, le tout teinté d’une ambiance post apocalyptique aux forts accents cyberpunk.
La seule originalité de Rêves d’Utica tient dans la capacité de l’autrice à faire de ces reprises un univers cohérent. Elle les utilise afin de traiter de thèmes puissants qui charpentent son roman dont elle use avec une certaine justesse. Elle y aborde tour à tour la révolte, l’adolescence, la folie des hommes, l’espoir, etc. À travers son livre, elle cherche à mettre en scène la lueur dans le chaos. Elle est aidée en cela par un style plutôt agréable à lire.
Roznarho, l’autrice, coud des lambeaux de récits empruntés à Homère, Lewis Carroll, au cinéma de genre pour réaliser une créature romanesque un peu bancale tant elle n’arrive pas à se défaire de ces références pour lui donner son âme propre. Le récit souffre d’autant plus qu’il est très mal équilibré, même si la conclusion est satisfaisante, la première partie qui s’étale sur plus de cent pages plombe l’intérêt général de ce roman, peu aidé par une héroïne qui pâtit d’un charisme vaporeux. Rêves d’Utica souffre de tous les maux d’un premier roman, mais en dépit de ces défauts on devine pourtant une autrice qui développe une réflexion intéressante sur la nature humaine.