• La multiplicité de thèmes abordés
• La lecture comme une errance dans l'esprit de l'auteur
En dépit d’un prix Nobel en 2007, tout un pan de la littérature de Doris Lessing reste encore méconnu. L’auteur du Livre d’Or a vu ses romans de science-fiction boudés par le public français lors de sa première parution. Seuls les deux premiers romans du cycle avaient eu droit à une publication par le Seuil. Avec la ressortie du sublime Shikasta, les éditions de La Volte ont décidé de proposer enfin la totalité des cinq livres qui composent Canopus sur Argo.
Shikasta est une planète tiraillée entre plusieurs empires extraterrestres qui influencent la population autochtone de manière distante comme des dieux. Les émissaires de Canopée cherchent à contrecarrer l’influence néfaste que les Shamastiens font peser sur cette population. Ce livre est construit comme un recueil de témoignages et d’archives qui retracent le destin de cette planète. Il s’ouvre sur le retour de Johor sur Shikasta. Il recherche l’un de ses semblables, Taufiq. Cette mission permet au personnage de se remémorer ses précédentes visites lorsque cette terre était encore florissante, avant que l’influence de Shamat ne vienne corrompre sa nature.
Pour apprécier pleinement Shikasta, il faut que le lecteur accepte de lâcher-prise afin de mieux se perdre dans les méandres de ce récit, de cette pensée que nous livre Doris Lessing. Le livre n’est pas à proprement parler un récit de science-fiction formel, même si l’on retrouve des extraterrestres, des empires galactiques ou des vaisseaux spatiaux. Ces tropes sont avant tout cosmétiques. Le genre sert de cadre et de prétexte à l’autrice pour traiter de la multitude de thèmes qui hantent ces pages. Doris Lessing, comme un peintre pointilliste, va par touche peindre le destin de Shikasta qui se révèle très vite comme une réflexion sur notre société. Elle traite entre ces pages de sujets comme le colonialisme, le rapport entre les individus, la folie, pour en citer quelques-uns. Mais en dépit d’une structure narrative solide, l’autrice délaye son propos ce qui donne une impression de longueur. Heureusement, pour le récit, le style permet de ne pas abandonner le livre en cours de route. Car ce roman recèle entre ses lignes des passages où se trouvent plus de vérité, de sens, de puissance que dans les trois quarts des livres qui encombrent les bibliothèques.
Shikastaest une critique totale de la dérive de notre monde, du point de vue d’une écrivaine à la fin des années soixante-dix, dont l’écho résonne avec la même clarté aujourd’hui. Le livre est une lecture exigeante par ses longueurs, mais elles n’altèrent jamais la puissance de ses propos. Un grand livre d’une écrivaine incontournable. Cet ouvrage s’érige au rang de classique qui dépasse toutes les frontières des genres. Shikasta illustre avant tout une réflexion profonde d’une femme sur le monde qui l’entoure.