
• Un casting parfait
• La réalisation de Bong Joon Ho
« Bête de Festival » (n.f) : Se
dit d’un film excellent, qui va connaître une vie mouvementée en festivals,
souvent étalée sur de longs mois, à la distribution poussive en salles pour le
grand public, qui connaîtra une vie bien meilleure sur le marché de la vidéo.
Par ex : Snowpiercer. Cloud Atlas. (2013)
S’il est trop tôt pour présager de la réussite de Snowpiercer, librement adapté
de l’excellente trilogie du Transperceneige parue chez Casterman, il est
difficile d’imaginer un avenir fabuleux pour le film du génial Bong Joon Ho,
qui débarque dans quelques salles de France et de Navarre Mercredi prochain,
pendant que l’éclair de Thor – The Dark World frappera notre chère France. Peu
importe, à l’instar de ses précédents essais (Memories Of Murder, The Host,
Mother), Snowpiercer est un film immanquable, un petit bijou de cinéma, que
nous nous devons de défendre corps et âme.
Premièrement, malgré son caractère plutôt simpliste, il est de bon ton de replacer le scénario de cette nouvelle production OPUS Pictures : 2031, cela fait 17 ans qu’un train, le Transperceneige, roule à toute allure à travers le monde sur les rails de la société Wilford, magnat vu comme un fou par le monde alors que celui-ci tournait encore relativement rond. 17 ans que les plus grands états du globe ont fait face au réchauffement climatique de la plus dramatique des manières, en vaporisant un gaz on-ne-peut-plus dangereux, faisant entrer le monde dans une nouvelle ère glacière, où seuls survivent les passagers de cette Arche de Noé 2.0.
C’est ce même véhicule incroyable qui sera le
seul et presque unique terrain de jeu de l’histoire narrée par le réalisateur
Coréen, qui s’est retrouvé confronté depuis 2010 au problème d’un cadre aussi
longiligne qu’étouffant. C’est en cela que ce dernier va laisser de côté
l’aspect « train-corail » du premier volume du Transperceneige,
voulu à l’époque par le regretté visionnaire Jean-Marc Lob, pour se concentrer
sur un train beaucoup plus futuriste, aux ambiances bien marquées.
Très tôt, le contact avec le film est rugueux. Le budget raisonnable du film
n’offre pas de plans extérieurs à la hauteur des ambitions d’un long-métrage
gourmand, mais peu importe : nous sommes ici face à une œuvre
d’anticipation dans ce qu’elle a de plus intéressant : la réflexion. Et
ici, la froide lutte des classes de la Bande Dessinée originale laisse la place
à une ambiance moins dépouillée, mais tout aussi ironique, jusqu’à en devenir
cynique. Les pauvres se trouvent en bout de train, les classes moyennes se
partagent les wagons centraux et l’élite se déprave près du cockpit où réside
leur divinité : Wilford. Le décor est
planté, il faudra avancer au sens propre comme au figuré afin de lutter pour
les droits du petit peuple. Et c’est là le génie du metteur en scène, qui va
évoluer sur cette base simplissime pendant une première heure ponctuée
par un premier passage du 4ème mur (à trois niveaux de lecture) de Chris Evans himself :
« nous ne sommes qu’à la moitié du chemin. »
C’est en effet un autre thème qui s’offre alors à un spectateur tout acquis à
la cause de « ceux du fond » : faire face à la nature humaine,
ainsi qu’à ses aspects les plus vicieux et (auto-)destructeurs. Là où Robert
Kirkman et ses Zombies réussissent à merveilles à se servir d’un décor pour
justifier un propos peu ou proue semblable dans les grandes lignes, Bong Joon
Ho va beaucoup plus loin dans la mise en exergue des travers de l’homme. Il va
alors le prouver dans une scène d’anthologie, présentée sans le moindre artifice
Hollywoodien, où vont s’affronter le
peuple, épris de liberté à raison, et les bêtes assoiffées de chaos (au design
renvoyant aux pires souvenirs de notre histoire contemporaine), à la solde d’une
caste depuis bien longtemps dépassée par son inaction.
Représentée par une Tilda Swinton (Constantine) impeccable, cette même caste
deviendra alors un sujet de réflexion passionnant pour un spectateur qui
découvre qu’il lui est impossible de véritablement
choisir un camp, aussi bien qu’il est impossible de lutter face au droit de
naissance ou au verdict qu’offre une société basée sur la consommation et les
luttes de classe au quotidien.
C’est en cela que Snowpiercer est une réussite : son pragmatisme tragique incite à réfléchir sur notre vie de tous les jours, tant la métaphore du train peut se retrouver presque à chaque coin de rue, dès lors que chacun fait l’effort de lever la tête et de vivre en étant la personne qu’il souhaiterait rencontrer au coin de cette même allée.
Leitmotiv de sa carrière, le réalisateur ne dénonce pas, il constate.
Mais revenons quelques instants à l’aventure de notre groupe de
révolutionnaires, menés par un Chris Evans à l’aura de Che Guevara, et à
l’interprétation parfaite, une fois de plus. À mesure que ceux-ci avancent, et
qu’ils quittent leur triste ghetto, s’offre à nous une palette de décors tous
plus impressionnants les uns que les autres, symbole de la démesure du projet
de Wilford, mais également et surtout de notre société. Et pour mieux
accompagner le spectateur dans cette lente descente aux enfers de l’élite
« qui s’ennuie », les images
vont devenir de plus en plus décadrées, les plans resserrés à l’extrême et le
sound design plus lourd. Une bonne note d’ailleurs pour la bande son de Marco
Beltrami (Wolverine, World War Z), qui livre une partition solide à partir d’un
piano qui joue parfaitement son rôle d’accompagnateur.
Les bas-fonds dystopiques de la première
moitié vont alors laisser la place à plusieurs wagons fabuleux, où de
véritables écosystèmes, porteurs d’espoirs, vont se développer et animer la
triste vie d’une frange de la société qui préfère ignorer les bannis, même
lorsque ceux-ci frappent (violemment) à leur porte. Mention spéciale à la salle
de classe, pièce clé du film et révélatrice de tout le propos que souhaite
faire passer Bong Joon Ho, à travers la
très belle performance d’Alison Pill. Entre incompréhension et absurdité, le
réalisateur parvient pourtant toujours à garder son film bien en main, aidé par
un Jamie Bell de retour au premier plan, par un Song Kangho cinégénique à
souhait (et qui détient probablement la meilleure scène du film grâce à la
géométrie du train), par un John Hurt décidément très ancré dans l’actualité
ou, évidemment, par un Ed Harris toujours aussi impeccable.
Je vous épargnerai l’évocation de la fin du film, chef d’œuvre de finesse
malgré ses ressorts aussi épais que les injections du Transperceneige, où se
mêle bravoure, espoir et fatalité morbide, alors que le spectateur est encore
et toujours abasourdi par un dialogue ô combien passionnant entre Chris Evans
et Ed Harris, sublimé par le travail d’Ondrej Nekvasil, directeur artistique en
charge de l’ensemble de la production.
Snowpiercer est un film aussi dur que malin.
Véritable métaphore d’une société actuelle menacée par ses citoyens eux-mêmes,
le film offre un regard cru et froid sur la nature humaine et sur les
différentes vies menées par des hommes et des femmes nés « libres et égaux »
en droit. Cerise sur le gâteau, le film ne se contente pas de nous faire
réfléchir et se permet d’être une belle réussite technique, où la photographie
et la réalisation font mouche, en s’appuyant sur un casting concerné et trié
sur le volet, en témoigne les présences des trop rares Tilda Swinton et Ed
Harris. Et pendant ce temps-là, Chris Evans est toujours le secret le mieux
gardé d’Hollywood.
* Cette critique a été rédigée dans un train.