
• Foisonne d'idées
Pourquoi parler de bande dessinée sur SyFantasy.fr alors que nous avons 9emeArt.fr qui semble plus à même d'accueillir cette critique ? Parce que la science-fiction a connu quelques unes de ces plus belles heures grâce à l'art séquentiel avec par exemple Métal Hurlant qui a redéfini le genre dans les années 70. Parce que certaines œuvres sont directement inscrites dans une littérature dont les codes se sont propagés depuis le début du XXème siècle (même si certains livres fondamentaux remontent encore plus loin) et des auteurs comme Jules Verne.
"Votre premier orage... Vous allez vous régaler !"
Quand on veut louer la littérature de science-fiction, ce sont souvent les mêmes œuvres qui ressortent, les mêmes auteurs. De Ray Bradbury à Isaac Asimov en passant par Philip K. Dick ou Arthur C. Clarke, nous avons notre lot de référents bien classieux. Comme si ces auteurs étaient mis en avant pour cacher le reste moins reluisant. Pourtant, ceux qui ont saigné la collection Anticipation de Fleuve Noir par exemple savent que le genre recueille bien plus de subtilité et n'est pas un iceberg où la partie émergée serait une exception cachant un sous-genre littéraire. Quand les héros littéraires de notre enfance sont Stefan Wul, Louis Thirion ou Doris et Jean-Louis Le May, nous avons découvert des centaines de mondes, de cultures et de personnages hauts en couleurs. Cette science-fiction qui voyageait à travers l'Espace sans prétention et qui allait à la rencontre de coutumes étranges mais qui mettaient en lumière les nôtres, nous découvrions des univers étranges pour mieux comprendre celui sur lequel nous étions désespérément vissés. Un miroir déformant qui permettait de remettre en question notre mode de vie, nos croyances et tous ces préjugés que nous accumulons sans jamais les remettre en cause. Cette "littérature au rabais" ouvrait des yeux encore collés par une acceptation sans faille d'un discours ambiant qui établissait une norme que l'on pourrait croire immuable.
Depuis, le monde est devenu beaucoup plus cynique, voire sarcastique. Toute cette frange littéraire est devenue galvaudée, taxée de naïveté et d'un certain manque de réalisme. Nous pourrions débattre de ce jugement, mais quoiqu'il en soit, cette littérature a petit à petit disparu des étals des circuits généralistes, s'est enfermée dans une niche et même la fameuse collection Anticipation a fermé ses portes en 1997. Régulièrement, nous retrouvons des œuvres qui font directement référence à ce genre, comme quand nous avons découvert la nouvelle bande-annonce de Guardians of the Galaxy. Nous comme des abrutis, nous allons sortir ce genre de phrases de critiques toutes faites comme "on sent une inspiration pulp". Moi le premier. Pourtant, le pulp n'est que le côté américain et coloré de ce genre. C'est donc un sacré pied de nez de David Hine de sortir ce Storm Dogs chez un éditeur américain, Image Comics, alors qu'il est un doigt tendu à cette science-fiction rutilante qui a fini par s'imposer sans réellement se battre. Car ce comics qui arrive en France grâce à Delcourt est une ode à ces auteurs qui croyaient fermement que l'exploration de planètes lointaines nous renseignait sur nous-même.
"Alors nous allons tirer un enseignement de cette visite."
Tout dans ce premier tome nous rappelle ces œuvres devenues désuètes. Comme le fait que l'emphase n'est jamais mis sur les particularités de ce monde futuriste, tout ces éléments qui sont pour nous de la pure imagination (encore) sont intégrés de façon organique dans l'histoire où les personnages ne sont pas surpris par des prothèses cybernétiques ou par cette Trame (un internet constamment branché au cerveau), tout simplement parce que pour eux, il ne s'agit que du quotidien. En fait, les éléments futuristes sont un décorum pour une histoire allégorique. Et comme David Hine est un scénariste avec plus d'une once de talent, il se permet de remplir son œuvre de plusieurs thèmes, de multiples interrogations qui viennent questionner notre quotidien. Certes, il reste très sage dans l'imagination, et les thèmes abordés sont connus, mais certains messages méritent d'être répétés. Ainsi, nous retrouvons un groupe d'enquêteurs (qui sont d'ailleurs tous très travaillés, en témoignent les bonus de la très bonne édition de Delcourt) dépêché sur cette planète aux confins de l'univers connu et où la "civilisation" n'a pas encore laissé ses marques (ring a bell ?). L'enquête n'a rien de révolutionnaire, nous ne sommes clairement pas dans une logique de polar, la focalisation du scénariste ne se trouve pas sur le prétexte narratif mais sur ce qu'il a à transmettre.
Surtout que l'auteur de The Bulletproof Coffin a des choses à dire, il analyse les comportements humains avec un œil compréhensif. Il n'est pas dans la critique, mais dans l'explication. Ainsi, si au début, l'on peut croire à cette bonne vieille histoire du méchant colon qui vient ravager la culture et l'écosystème d'une civilisation ancestrale, et même s'il y a aussi de ça, il nous révèle que les enjeux de chacun ne sont jamais aussi clairs que cela. L'indigène veut certes se protéger, mais à quel prix ? Le corporation capitaliste est une véritable enflure, mais elle est aussi la cible d'une organisation impérialiste. Nous passons notre temps à explorer des trames de gris dans un dessin qui est lui haut en couleur. Doug Braithwaite est un dessinateur qui a passé pas mal de temps dans les comics mainstream, mais sans arriver à imposer son trait si personnel bien loin des standards actuels. Cette ligne très organique, presque brouillonne, ressemble plus à du dessin académique. Ce qui lui permet de dévoiler ce monde nouveau avec un œil de naturaliste, comme si Jean-Jacques Audubon s'était retrouvé sur une nouvelle planète. Magnifié par les couleurs de Ulises Arreola, nous avons pris un billet pour l'exploration de ce monde hostile dont les pluies font fondre les chairs. Une invitation au voyage et à la réflexion.
Pas de révolution du genre dans cette bande dessinée, mais quelque chose d'essentiel pourtant : une sincérité absolue par rapport à son sujet. Pas de cynisme ici, c'est de la pure S-F classique qui s'assume. Pour mieux pouvoir nous emmener dans un nouveau monde, découvrir de nouvelles coutumes, et finalement nous poser des questions sur notre monde actuel. Storm Dogs n'est pas une œuvre pulp, c'est une œuvre moderne qui n'oublie pas d'où elle vient.