Critiques

The Martian (Seul sur Mars), la critique

Par Republ33k
20 octobre 2015
The Martian (Seul sur Mars), la critique
On a aimé
• Ridley Scott au service du scénario
• De superbes images
• Une écriture très solide
• Un casting dantesque
• Un ton surprenant
On n'a pas aimé
• Quelques lourdeurs
• Scott ne peut s'empêcher de faire du Scott
• Trop d'humour tue l'humour ?

Depuis quelques années déjà, le nom de Ridley Scott est plus souvent synonyme de polémiques en tous genres que de qualité. Avec Prometheus, The Cartel et Exodus, le légendaire réalisateur en a fait couiner plus d'un, qui comme moi, devaient attendre ce The Martian avec autant d'impatience que de méfiance. Et si vous avez déjà pu jeter un œil aux critiques de nos confrères américains sur le sujet, vous savez que ce nouveau métrage vient redorer le blason de Ridley Scott. On ne pourrait penser différemment, et on vous explique pourquoi.

Tout d'abord, parce que le film n'est pas écrit ou supervisé par Ridley Scott et ses idées. Adapté du roman et bestseller éponyme d'Andy Weir, The Martian est également scénarisé par un certain Drew Goddard, qu'on connaît pour la réalisation de The Cabin in the Woods, l'écriture de Cloverfield et l'élaboration de la série Daredevil de Netflix. Et c'est à ces deux messieurs, et peut-être encore plus au second, que Scott doit ce (léger) retour en grâce, car The Martian est un film formidablement écrit. Une qualité qui, on vous l'accorde, est loin d'être facilement identifiable, mais dont l'effet se fait sentir tout au long du film. En causant survie sur une planète isolée et équipe de secours traversant des millions de kilomètres, The Martian s'attaque en effet à un récit à la temporalité particulièrement lourde : des tonnes et des tonnes de détails et de péripéties, qui n'ont aucun mal à se souder en un roman, mais qui sont bien plus périlleuses à adapter sur grand écran.

Or, Drew Goddard offre au film un formidable scénario, très soigneux de son propre rythme, et qui se permet même d'imiter une structure très littéraire, en continuant, par exemple, d'introduire de nouveaux personnages tout au long de l'intrigue. Le château de cartes bâti par Goddard aurait facilement pu s'écrouler, mais comme l'astronaute Mark Watney (Matt Damon), il tient bon, et nous offre une expérience de visionnage très plaisante. Malgré ses allers-retours entre la Terre et Mars - accompagnés de leurs nombreux décalages temporels  - et de multiples protagonistes, The Martian est mené à bon rythme. Mieux encore, son scénario, découpé dans un montage certes très incisif, tire avantage de toutes les unités de temps présentées par le film. Ce découpage très vif permet ainsi à The Martian de traiter des années d'intrigues sans assommer le spectateur tout en maintenant la barre des enjeux et celle du suspense très élevées. 

Venu du montage et du scénario - même si la réalisation de Ridley Scott se permet quelques effets, nous y reviendrons - l'humour permet également à The Martian de tirer son épingle du jeu. L'histoire n'aura d'ailleurs cesse de se dérouler sur un ton léger, ce qui aurait pu désamorcer les enjeux, mais au contraire, rend leurs rappels plus irritants encore. Tout comme les rares moments plus contemplatifs, qui gagnent en intensité. A n'en pas douter, le ton de ce The Martian en a surpris plus d'un, mais c'est peut-être la grande réussite du film, puisqu'il permet aux spectateurs de tenir bon, et à Mark Watney de combattre sa solitude. Une démarche miroir qui bonifie le film de Ridley Scott, qui baigne dans un humour aussi noir que réussi. Bien sûr, quelques lourdeurs sont à déplorer, le métrage se permettant même de briser le quatrième mur, mais dans l'ensemble, cette atmosphère légère, qui n'avait rien d'acquise au regard de la dure scène d'ouverture, donne toute sa saveur à The Martian.

Finalement, et vous l'aurez compris puisque nous commençons seulement à parler de lui, Ridley Scott a été capable de s'effacer pour les besoins de son nouveau métrage. Qui est autant le projet de Goddard d'ailleurs, puisque le scénariste devait réaliser le film avant d'être rappelé contractuellement à Sony et son Sinister Six, un projet dorénavant avorté. Au regard des récentes déclarations de Scott, ce retrait a quelque chose de tout bonnement surréaliste. Il faut croire qu'en ne s'appropriant pas totalement ce projet, Ridley Scott le fait briller plus qu'il n'aurait pu le faire entièrement seul. Ici, il met son style au service du récit, et non l'inverse, et nous offre assurément de superbes images, qui font un usage assez inspiré des multiples caméras à leur disposition : celles du tournage, certes, mais aussi celles de la base martienne ou des tenues des astronautes, pour plus d'immersion comme de variété. Une réalisation, qui très bizarrement, nous évoque le Neill Blomkamp qu'il chapeautera pour Alien 5. En attendant, du haut de ses 77 ans, le réalisateur continue de nous fournir des plans travaillés, bien qu'ils soient dans la plus pure lignée de son style, et rien d'autre. Toute ressemblance avec Prometheus, Alien ou Exodus est donc parfaitement normale. 

Certains attendaient assurément plus du réalisateur, connu pour ses tours de force visuels, mais au regard de sa filmographie la plus récente, il est au moins aussi intéressant de le voir en retrait que de le regarder faire preuve d'une grandiloquence trop importante. Quelque part, cet effacement est pour Scott une forme de renouveau, et en tous cas, il ne s'oppose pas à la bonne conduite du film. Bien au contraire, la réalisation de Ridley Scott offre aux paysages martiens une apparence plus vraie que nature, et donne aux passages les plus forts le souffle épique dont ils avaient besoin pour nous faire frissonner au milieu d'un film par ailleurs très léger. Bref, une utilisation assez calibrée du style Scott, qui est au service du film, et non l'inverse, répétons-le. A quelques exceptions près, tout de même, puisque le réalisateur semble incapable de se débarrasser de cet imagerie christique - les plus doux diront religieuse - qu'il trimbale partout avec lui. Une signature un peu déplorable, mais qui n'empêche pas l'ensemble de bien fonctionner. Surtout quand on sait que le réalisateur n'a rien perdu de sa superbe quand il s'agit de filmer l'espace.

Surtout, le réalisateur, malgré quelques tentatives d'explications religieuses, laisse le message du film s'exprimer librement. Au final, l'humour n'est jamais que le reflet du propos de The Martian, qui se veut résolument optimiste. Insistons là-dessus, ce n'est pas parce que le film n'est pas l'introspection spatiale d'un être humain que certains attendaient qu'il est mauvais. Au contraire, en jouant la carte de la légèreté - sans, encore une fois, entacher ses enjeux - le film se démarque de ses pairs, et nous laisse le choix de réfléchir ou non à son message. Ceux qui rêvent d'aventures en découvriront une nouvelle, et surtout très bien racontée. Ceux qui préfèrent réfléchir à sons sens profiteront des quelques pauses offertes par The Martian pour méditer sur son optimisme. Voilà la marque d'un film plutôt bien pensé.

Enfin, il nous faut revenir sur l'épatant casting assemblé par Ridley Scott et ses équipes pour les besoins de cette mission martienne. Pour le coup, Matt Damon sublime sa condition d'every day guy pas comme les autres en incarnant un biologiste très débrouillard et plutôt crédible. A ses côtés, Jessica Chastain, Kate Mara, Michael Pena, Sean Bean et Sebastian Stan font office de seconds couteaux de luxe, et donnent au film un aspect all-star des plus appréciables. Parmi tous ces noms ronflants, c'est pourtant Donald Glover et la canadienne Mackenzie Davis qui tirent réellement leur épingle du jeu avec des rôles à la cool qui s'intègrent parfaitement à l'intrigue.


Fable optimiste qui se débrouille très bien avec une temporalité pourtant aussi dangereuse que le vide spatial, The Martian est une survival story qui profite habilement d'un Ridley Scott sur la retenue. Le réalisateur vétéran signe un retour réussi, doublé d'un film certes classique mais terriblement élégant et très souvent efficace. Si on notera une persistance des thématiques chères à Scott et des tartines de blagues parfois un peu chargées, l'ensemble est suffisamment rythmé et bien interprété pour être l'un des must see de cette automne.