
On a aimé
• Alicia Vikander, généralement efficace
• Un premier tiers qui prend de bonnes libertés
• Relativement meilleur que d'autres dans sa catégorie
• Un premier tiers qui prend de bonnes libertés
• Relativement meilleur que d'autres dans sa catégorie
On n'a pas aimé
• Ca ne suffit pas
• Un film d'aventure prévisible et sans âme
• Esthétiquement raté
• Le rythme est catastrophique
• Qu'est ce qu'une adaptation de jeu vidéo ?
• Un film d'aventure prévisible et sans âme
• Esthétiquement raté
• Le rythme est catastrophique
• Qu'est ce qu'une adaptation de jeu vidéo ?
Jeu vidéo et cinéma, deux termes qui résonnent comme autant de partenaires que d'antagonistes naturels. Si l'un a énormément puisé de sa grammaire visuelle ou narrative chez l'autre, il est difficile de voir comment le septième art a profité de son pendant ludique. En dehors de quelques codes, quelques tics, quelques idées visuelles, le mariage n'aura jamais fait pencher la balance du bon côté et on attendrait aujourd'hui de chaque nouvelle adaptation qu'elle contredise ce constat. Est-ce que Tomb Raider est, enfin, le premier bon film adapté de jeu vidéo ? Non. Loin de là.
Et pourtant tout n'est pas si catastrophique à l'horizon. Si devait s'établir une échelle de comparaison dans le temps, effectivement, les choses vont mieux. Ce Tomb Raider va plus loin que certains de ses prédécesseurs, arrive même à faire oublier pendant de longues minutes son origine ludique (un problème qui traverse de nombreuses adaptations de jeu), avec un premier tiers pas désagréable. Mais là où la presse va s'emballer différemment, selon le bord ou l'attente des rédacteurs ciblés, on ne peut pas malheureusement pas comparer Tomb Raider à d'autres, ou alors on ne doit pas.
Puisque, le film pose une question en solitaire sur la pertinence d'adapter un jeu vidéo, ou de l'adapter ainsi, et surtout pourquoi on aurait tort de se contenter de si peu après l'effort fait par Crystal Dynamics. A l'époque, le jeu s'était grandement inspiré d'un modèle posé par Christopher Nolan pour les reboots en général : quelque chose de plus réaliste, de plus sombre, de plus violent aussi. En définitive, si les développeurs n'ont évidemment pas proposé un film à l'arrivée, leur Lara était dans l'ère du temps et d'une envie d'épouser une grammaire et une symbolique posée par le cinéma. Un meilleur film (à jouer) que cette nouvelle itération.
Sa place n'est pas dans un musée

La balance se renverse : on revient à un esprit de divertissement, souvent léger, plus passéiste. Un hommage à une école de film d'aventures avec les codes et les routines de rigueur, tout en ne réussissant jamais à se départir de cette impression forcée de rappeler l'origine ludique de Lara. Dans un plagiat flagrant des visuels et d'une partie du scénario de Crystal Dynamics, le film choisit par un nombre restreint de scènes clés de copier le développement et l'esthétique d'un jeu vidéo, jusque dans certains mouvements de caméra. C'est un problème récurrent que le cinéma n'arrive pas à résoudre, l'idée qu'un film adapté de jeu vidéo doit ressembler à un jeu vidéo par quelques astuces visuelles (généralement laides, et l'exemple du jour ne fait pas exception). Pourtant tout n'est pas qu'un simple calque, l'introduction prend même quelques libertés rafraîchissantes.
L'histoire s'ouvre en effet sur une Lara différente de l'aristocrate anglaise que vous aurez appris à connaître ou à aimer. Le personnage est ici un modèle de jeune femme intelligente, débrouillarde, mais qui vient d'en bas (ou qui part d'en bas). Après que son père ait été laissé pour mort dans une expédition au large du Japon, Lara choisit de ne pas reconnaître juridiquement le décès de son paternel, et donc de renoncer à l'héritage. Elle aura ainsi quitté le manoir familial, trouvé un job de livreuse, de quoi payer ses cours de kickboxing et apprendre à se débrouiller à la dure, loin de ce que présentent les jeux habituellement.
A noter dès l'introduction - puisque vos sourcils se haussent avec stupeur - que l'héroïne n'est pas ici une archéologue. Loin de là à vrai dire, le film choisit de la vendre davantage comme un personnage fort (et c'est à peu près tout) et de faire de sa longue quête de Raider une vengeance familiale étalée sur plusieurs films. On est très loin de l'aspect fouilles, tombeaux et découvertes, le scénario veut une Lara héroïque, plus versé dans le combat que la recherche et les cultures anciennes. A vous d'apprécier ce choix selon votre envie.
Cela étant, ce début pose déjà des problèmes de cohérence dans le scénario (qui reviendront souvent, la faute à un montage qui présente très mal le contexte). Là où on apprécie cette sorte de début à la Kingsman, avec une héroïne différente de sa contrepartie ludique, se déploie assez vite une sorte de rail, d'écriture dirigiste où tout devient incroyablement prévisible. Héritage, famille et enquête mystérieuse, si Vikander fait le job pendant une bonne partie de l'histoire (malheureusement rattrapée par les limites de ce qu'on lui demande de jouer), il est à la fois difficile de croire aux enjeux et de rester accroché par cette histoire déjà vue, qui avance toute seule et tombe dans tous les pièges à éviter. La structure commence déjà à faire défaut, on repère des sortes de points de passage forcés comme un hommage au tutoriel de l'école jeu vidéo, ou une relation à son père pleine de plotholes jamais remplis.

Plus Benjamin Gates qu'Indiana Jones, cette version de Tomb Raider avance moins comme une quête archéologique que comme un film d'action standardisé. Le scénario accélère arbitrairement par endroits - on voit les trucages, les fautes, les soubresauts. Des routines faciles se mettent en marche à chaque moments de creux, et le montage général est affreusement mal rythmé. L'arrivée sur l'île est le départ d'une longue fuite en avant où rien ne semble réellement accompli. La construction de l'héroïne (qui devrait être le leitmotiv du film, en définitive) manque de scènes et se retrouve dépourvue de sens quant on retire la lenteur et la progression de plusieurs dizaines d'heures du jeu.
Ceux qui avaient à l'époque pesté contre le modèle Mary Sue seront probablement outrés de voir la jeune Croft passer de son premier meutre (une scène forte, douloureuse, difficile) à un statut de tueuse qui ne se retient plus et dézingue les méchants sans hésitations. Chez Crystal Dynamics, le passage du temps étant mieux ménagé par la capacité de l'art ludique à prendre son temps, cette critique paraîssait donc absurde à plus forte raison dans l'implication que met le joueur dans le personnage qu'il dirige, et donc dans sa propre capacité à gommer les interstices.
Ici, l'écriture est plus problématique. Lara semble grandir à un rythme fou, tuer à un rythme fou et avoir déjà été entraînée au terrain. Deux scènes seulement sous-tendent cette évolution, un problème de cohérence pour un personnage qui cesse d'être écrit une fois l'aventure commencée et avance, comme l'intrigue, au détriment de règles de base. Le pire personnage du film étant son père, qu'on ne comprend pas ou que l'on a pas réellement envie de connaître, quand au vilain il n'a réellement droit qu'à une seule scène avant le grand ride final du tombeau.
Les aventuriers de Lara perdue

D'une manière générale, les vidéastes ou spectateurs accros à la crédibilité narrative risquent d'être sortis plusieurs fois du film devant la scénographie et la manière dont l'intrigue s'assemble, déstructurée. On se perd dans l'enchaînement de scènes qui manquent d'idées ou de surprises. L'aspect aventure est aussi un problème, d'une part parce que la promesse du "trésor" mystérieux est traitée au second plan, d'autre part parce que le jeu de piste de l'héroïne pour retrouver l'île se résoud assez vite. On perd le côté enquête, la carte où un X marque l'emplacement, la diversité de lieux et le sentiment de mystère. De même, les scénaristes manquent d'idées pour les énigmes . Il y en a deux (dans tout le film), l'une facile et l'autre anormalement compliquée.
D'autres codes sont bâclés : le fameux scepticisme des héros face au surnaturel, un classique de ce genre de films, ou le père obsédé par un mystère en particulier, façon Dernière Croisade. Tomb Raider n'arrive pas à choisir entre son envie de réel ou de fantastique, le scénario opte pour un entre-deux maladroit, et ouvre sur une fin qui ferait dire que Square Enix cherche davantage à faire un James Bond qu'un Indiana Jones avec Lara.
Si ont été évoqués plus haut les écarts que le film prend vis a vis des jeux, la dernière ligne droite est explicite quant à l'envie de bâtir une franchise (d'action) sur tout, sauf l'archéologie. A ce titre, la fin risque de déplaire à énormément de gens, dans son imitation d'un modèle qu'on aura trop vu dans le cinéma récent. Ainsi qu'un générique qui rappelle que personne au sein du studio ne prend vraiment l'idée au sérieux.

Difficile de lister tout ce qui va et ne va pas dans ce film, en vérité, assez inoffensif. Personne n'attendait réellement de Tomb Raider qu'il sauve la perception des adaptations de jeu vidéo au cinéma, et surtout pas les studios qui lui ont donné vie. On sent que personne n'a réellement voulu choisir sur la cible à atteindre. Par moments très violent et sale comme le jeu, puis monstrueusement classique et léger dans son déroulement de blockbuster lambda. Les choix musicaux sentent l'appel du pied à un public jeune qui ne connaît pas les jeux, les plans d'action ou de course poursuite (généralement désagréables à l'oeil, assumant leur aspect synthétique parce "c'est du jeu vidéo") sentent le clin d'oeil appuyé aux joueurs, dans une caméra qui imite les mouvements d'un stick droit.
Assez mal écrit, vraiment mal rythmé, ses qualités principales sont les vingt à trente minutes de début où, sans être réellement emporté ou séduit, le spectateur a l'impression de regarder un film et pas une bête adaptation. C'est au moment où le film choisit de singer son origine qu'il perd son public, en ne se foulant pas sur un scénario qui ne prend aucun risque et agglomère celui de Crystal Dynamics et d'un film d'aventure next door sans relief.
Avec en prime, les codes d'autres titres. Un vilain fou sur une île paumée à la Far Cry ou l'organisation fascinée par le surnaturel et les reliques façon Templiers. Artistiquement pas extraordinaire, on sent que ce Tomb Raider n'aurait pas cette tête s'il n'avait justement pas été "une adaptation de jeu vidéo". Manière de rappeler, comme Assassin's Creed (qui avait au passage le même problème sur les musiques), que ce genre n'a pas encore été digéré par l'industrie.

On en revient donc à ce problème : comment adapter un jeu vidéo ? Le bon sens voudrait qu'on ne doit justement pas se poser ces questions, et traiter comme l'oeuvre de base comme sont traités les romans, mangas, comics et compagnie. Mais, encore une fois, se déploie un étrange collage d'éléments pris à droite et à gauche, secoués avec vigueur dans un le moule des films à gros budget en espérant que ce qui sortira sera quelque part réussi. On aboutit au final à un énorme gâchis, d'abord pour le talent d'interprètes comme Alicia Vikander et Walton Goggins mal écrits ou sous-utilisés, et parce que le cinéma rêve depuis des années d'un nouvel Indiana Jones hors jeu vidéo.
En définitive tout ça ne fait qu'appuyer l'impression que les deux pratiques ne se répondent pas, que ceux qui mettent ces projets en route le font par l'intérêt de la licence, de la franchise, sans comprendre ce qu'on peut changer, transformer ou améliorer d'un medium à l'autre. Personne à Hollywood n'a réellement d'intérêt pour le jeu vidéo sorti de quelques réalisateurs passionnés qui récupèrent des codes à implémenter en sous-couche d'une grammaire plus typée septième art. Côté producteurs, la pratique est probablement envisagée comme une cash machine de secours pour le jour où les super-héros arrêteront de produire. Problème, il y a de bons films de super-héros. Côté jeu vidéo, même les meilleurs sont loin d'un Watchmen, The Dark Knight ou Logan.
Tomb Raider est donc une chute de plus à l'étage supérieur d'un registre qui peine à faire recette - "jeu vidéo et cinéma, l'impossible mariage", "game over pour les adaptations", "le nouveau cool du ludique au cinéma", autant de titres de presse qui gravitent autour d'annonces de projets et de sorties décevantes depuis près de dix, voire quinze ou vingt ans. La philosophie générale de ceux qui mettent en chantier ces adaptations est le véritable facteur bloquant, ce pourquoi on ne peut pas attendre plus de ces films que de bêtes blockbusters avec l'originalité de récupérer quelques trouvailles visuelles issues du monde ludique. Cela ne suffit pas, et en 2018 le mouvement général de nivellement pas le bas que l'industrie aura choisi sur ses grosses productions entraîne aussi ce Tomb Raider, pas pire qu'un autre et qu'on aurait envie de trouver sympathique pour son premier tiers, vite rattrapé par la réalité de l'Hollywood moderne. Paresseux, imitateur, la commande sous blister fade et sans efforts, en soi, rien de surprenant ou de plus mauvais que les grosses productions de l'an dernier. A vrai dire vous risquez même d'être agréablement surpris devant le niveau d'attente suscité en général par ce type de projets (au demeurant nulles voires négatives sur la balance).