
• Des plans Imax parfois agréables
• Le soin habituel porté aux visuels
• Le montage, catastrophique
• Un entertainment qui se permet trop de choses
• Des plagiats en série
"Les gens adorent détester" - c'est en ces termes que l'amateur d'explosions en série au palmarès presque légendaire explique l'insuccès critique ou populaire de la saga Transformers auprès d'un certain public. Vu par certains comme un génie du second degré, par d'autres comme un marchand de pop-corn conscient de ce qu'il vend, Michael Bay livrera mercredi prochaindans les salles de cinéma son dernier (et possiblement ultime) passage dans les salles obscures, armé d'Autobots, de Mark Whalberg et de placements de produits - une virée de plus dans une franchise en forme de cas d'école dans l'absurdité Hollywoodienne, où cette fois-ci, il ne suffit plus d'accepter de poser son cerveau.
En amont de Transformers : The Last Knight, on avait déjà l'appréhension du soft reboot de la saga un opus plus tôt. Vendu comme un plaisir coupable de Dinobots en série, l'avant-dernier film de Bay était pour beaucoup une goutte de trop dans le laisser-aller d'un style qui devient lourd, épisode après épisode. Promesse d'aller encore plus loin ce coup ci, avec les chevaliers de la table ronde d'un côté, les nazis de l'autre, un besoin de poser la base d'une arborescence de spin-offs qui seront utiles à Paramount quand le faiseur de licence sera parti, autant de challenges à relever pour un film qui, définitivement, étouffe sous ses propres codes et le poids de son cynisme. Explications.
The Last Knight s'ouvre sur une introduction médiévale, qui va repomper des codes de mise en scène déjà vus et apposer une batterie de retcons (qui vont à l'encontre des films précédents mais ça à la rigueur, on n'en est plus à chercher une cohérence non plus) que le film ne cessera par la suite de justifier. Déjà à ce moment là, les règles sont posées assez vite : la déconne sera grasse et pesante, l'action sera comme à son habitude au rendez-vous et le respect du spectateur aux abonnés absents. Parce que les Transformers sont désormais présents dans le mythe Arthurien, et que tout l'enjeu du film sera de croiser maladroitement la promesse habituelle avec cet esprit de Benjamin Gates pataud, avec confréries, descendance et robots rigolos.
Le montage enchaîne très rapidement pour poser un concept de film à mi-chemin entre le post-apo' et la suite directe du dernier - une introduction qui repose maladroitement un concept très différent de la fin du précédent, pour aller vite. Les Transformers tombent du ciel par centaines, une menace pour l'Homme qui doit se prémunir contre ce qui a tout l'air d'être une invasion dans les règles. tandis que l'improbable Cade Yager campé par Marky Mark (Wahlberg) oeuvre de son côté pour protéger les robots de ce massacre massif d'arrivants à l'aveugle. Le film prend dès lors une tournure saccadée, enchaînant deus ex de situation et de personnages pour ne jamais réussir à se poser plus de trente secondes sur un plan ou un moment, avec une rafale d'entrées et de sorties dans un foutoir assez indigeste qui deviendra la marque de tout le montage final. L'exposition déborde pour laisser une place aux nouveaux visages, au placement de l'intrigue et aux faibles enjeux posés çà et là, et ce qui devrait être la première partie dure pendant une bonne moitié du film. Entre course poursuites et explosions communes à la formule.
Le tout rend un aspect affreusement désordonné et neuneu - un cas d'école de montage foireux commis par six chirurgiens au générique, qui finit par lasser sur la durée, où l'ennui prend rapidement le pas sur les deux trois montées d'adrénaline que cherche à proposer Bay, dans un rythme qui en dit extrêmement peu avec beaucoup trop de longueurs. La menace principale sort littéralement de nulle part, en plus d'expédier l'une des seules zones d'ombres potentiellement intéressantes du concept (l'origine des Autobots), et le montage s'amuse à essayer de caler un cahier des charges colossal qui déborde de partout : humour, comic reliefs en masse, développement à la truelle des héros, objectivation de la femme (le classique), une histoire d'amour désolante et des plans de coupes de voiture et d'effets pyrotechniques.
C'est là que survient la limite à laquelle la série ne faisait que se préparer depuis le second épisode : appliquer un rendu pop-corn en présageant du goût du public. Faire tout ce qui marche, et le faire en même temps et n'importe comment. L'écriture ne fait à ce titre aucun effort, tout est pré-mâché, rushé, le scénariste lui même semble prendre conscience de la bêtise de certains enjeux jusqu'à perdre de vue la différence entre assumer un cliché, et le saccager en n'essayant même pas de faire semblant. Sur la relation amoureuse en particulier, ou l'affect que le film tente artificiellement de créer avec ses personnages, rien ne fonctionne parce qu'à trop montrer les ficelles, le spectateur ne s'amuse plus à les remarquer. Un cynisme qui conduit Bay à aller carrément voler des designs ou des concept-arts à d'autres créateurs, le plus évident étant George Lucas (et pour la forme, on ne va pas tous les citer mais vous remarquerez aussi un peu de Hideo Kojima).
Ce qui est finalement assez dommage, puisque The Last Knight est peut-être le premier Transformers depuis longtemps à donner une telle place aux personnages humains. En cherchant un côté character driven, la série aurait pu se sauver en osant un retour au point de vue terre à terre de protagonistes paumés entre invasions aliens et fin du monde, là où en définitive l’œil ne reste attiré que par les deux trois plans Imax qui font leur effet, parmi une bouillie de pixels si mal montée que la cohérence graphique des combats est souvent aux fraises, ou redondante quand l'impact des enjeux est à ce point cousu de fil blanc. Les acteurs évoluent tous dans un rendu assez plat, quoi que les dialogues n'appellent pas de performances hors du commun de toutes façons.
En somme, un dernier épisode qui repose une dernière fois la question du génie de Michael Bay, à moins que lui-même ne signe ici le désespoir qu'on l'ait laissé à ce point faire n'importe quoi, comme si le réalisateur avait fini par en vouloir à son public d'être si peu exigeant. A recycler ses plans surexposés sur fond de soleil couchant, ses gimmicks d'inserts humoristiques et son obsession à désacraliser ses héros et les codes d'un genre dont il abuse volontairement, son produit ressemble en définitive à une parodie de lui-même : il est usé et boursouflé. Sans aucun recul, on en vient à se demander à quel degré d'auto-critique le réalisateur assumera ce dernier boulot, surtout quand on regarde les derniers bons films du bonhomme et qu'on les transpose au résultat : en 2017, même Michael Bay n'arrive plus à faire du bon Michael Bay.
Au fil des épisodes, la saga Transformers est devenu une tare d'Hollywood. Un concept de films dont on accepte l'intégralité des défauts en échange d'une bouchée de pop-corn et d'un compteur d'explosions qui n'aura jamais cessé de grimper - le contrat est clair, et pourtant il a ses limites. Si The Last Knight ne marquera pas cette année comme le pire des blockbusters en salles, il porte avec lui la courbature d'une formule qui finit par lasser quand elle se montre à ce point je-m’en-foutiste et permissive dans le débile et la faute de goût technique. Ce qui pourrait presque être un film d'auteur en soi dans sa qualité de métrage unique en son genre n'arrive plus désormais à égaler d'authentiques plaisirs coupables proposés à droite et à gauche - en définitive, la fin d'un règne à Hollywood, qui laissera derrière lui un legs presque fascinant.