
On a aimé
• Disney poursuit un beau travail de représentations
• Le message général est plutôt bienvenu
• Le message général est plutôt bienvenu
On n'a pas aimé
• Artistiquement pauvre
• Le film n'implique pas en allant trop vite
• Disney fait du Disney
• Un univers survolé
• Le film n'implique pas en allant trop vite
• Disney fait du Disney
• Un univers survolé
Débarqué cette semaine, Un Raccourci dans le Temps vient s'installer dans une suite continue d'ouvertures proposée par Disney. Le film s'attire une bonne presse outre-Atlantique pour les symboles déployés depuis quelques années par la société : des oeuvres moins blanches, moins masculines. Après avoir commencé son tour du monde en animation avec Vaiana et Coco, Ava DuVernay passe après Ryan Coogler dans la sphère des cinéaste Afro-Américains à hériter de projets à gros budget. Bilan ? La tentative était belle, mais tout le monde a le droit de se planter.
Et ce constat ne semble pas prendre auprès de tous les observateurs spécialisés aux Etats-Unis. Réalisatrice de Selma, DuVernay avait frappé fort sur ce métrage centré sur Martin Luther King, et à l'image de Coogler, la politisation des oeuvres de simple divertissement usuellement produites chez Disney avait forcément de la valeur. A plus forte raison quand on regarde la distribution de ce Raccourci dans le Temps, diversifiée. Il serait intéressant de se pencher sur la conception et le scénario initial de cet étrange création, pleine d'intentions louables mais qui échoue à son devoir le plus primordial : proposer un récit complet et cohérent.
Résumé des faits : adapté d'un livre à succès de l'autrice Madeleine L'Engle, A Wrinkle in Time dans sa version originale raconte comment deux enfants partent secourir leur père, retenu captif dans une sorte de cerveau-monde démoniaque, le "IT" (qui n'est pas un clown fana' de ballons rouges). L'ensemble repose sur une idée de téléportation vers la lointaine planète de Camazotz où repose cette curieuse entité. Assistés dans leur voyage par trois êtres de lumière, Meg et Charles Wallace (avec Calvin, un camarade de classe qui passait par là) vont voyager par-delà les étoiles pour retrouver le papa Chris Pine, et accomplir le voyage initiatique classique de ce type de récits.

Un problème saute aux yeux dès le premier tiers dans la narration : tout va trop vite. A peine a-t-on eu le temps de faire connaissance avec les personnages (tous très mal introduits) que l'aventure a déjà commencé. Vers où ? Pourquoi ? Le film tente de recoller les morceaux en cours de route mais reste constellé de fautes et de questions qui ne trouvent pas de réponse. L'univers général est survolé de très haut, on ne comprend pas les réels enjeux, la menace, le vilain ou la personnalité des héros.
Un creux général qui s'explique par certaines scènes très précises : l'idée est plus de véhiculer un message (positif) que de raconter l'histoire de ce monde. Pour ça, on passe par une sorte de manège brusque qui démarre sans prévenir et s'arrête sèchement, sans se laisser respirer. Pour justifier son impressionnant budget, le film présente quelques checkpoints contemplatifs où les personnages s'émerveillent de grandes plaines vides, de fleurs et de ciels bleus. La "magie" de ce type de mondes imaginaires, là-encore très creux. Le film ne se sauve pas sur la partie artistique, à l'exception de quelques costumes : tout est plutôt pauvre et dans le domaine du déjà vu.
Le problème devient alors une question d'implication personnelle : on ne connaît pas les héros, donc, tout ce qui leur arrive nous apparaît de très loin. Leur quête avance comme une marche forcée, dirigiste à tous les niveaux et en véritable ligne droite : le montage ne se permet aucune ellipse, aucun hors champ qui permettrait de se reposer ou de laisser l'imaginaire voguer. Tout est écrit d'une traite, l'aventure se vit en fil continu et ne dure physiquement pour les personnages que le temps entier du film, soit une petite heure de parcours pour grandir, se découvrir et retrouver leur père. C'est peu, et forcément excluant pour le spectateur à qui on retire le voyage, l'implication et le temps de comprendre où se cache le merveilleux dans cette longue fuite en avant.
Sur des exemples précis, on a même parfois l'impression qu'il manque des bouts de films. Le petit frère Charles Wallace est par exemple présenté très vite comme un enfant surdoué, l'un des rares à connaître les règles et le fonctionnement de tout l'univers. On ne trouve qu'à peine une ou deux répliques allant dans ce sens, balancées au hasard entre deux moments accélérés. Il en va de même pour l'héroïne, Meg, la mythologie générale et le voisin Calvin - une sorte de running gag qui n'explique jamais sa présence ou son rôle dans l'aventure. Au point d'en devenir involontairement drôle quand on se demande, presque timidement, qui est ce personnage et en quoi tout ça le concerne au final.

Et tout le problème est là, dans le désintérêt que DuVernay met dans le récit au profit d'un message, de son côté, bien trop explicite. L'idée est d'expliquer aux enfants pourquoi ou comment s'accepter soi même, avec ses défauts. Ou bien que l'amour triomphe du mal, qu'à coeur vaillant rien d'impossible, etc, etc. Sans le moindre effort de subtilité, la réalisatrice, la scénariste et tout Disney avec la farandole lumineuse de rigueur hurle dans l'oreille du spectateur cet afflux de valeurs positives, articulé autour d'un film qui semble juste être un prétexte à amener un peu de joie et de bonheur sur Terre.
Comme l'ensemble est très pauvre sur son histoire ou ses personnages, toutes les ficelles se voient. Elles rayonnent, en surbrillance de jolies intentions. C'est une habitude commune, et on ne pourrait pas reprocher à Disney cette philosophie de l'espoir et du sourire qui a fait toute l'histoire du studio depuis ses débuts. Problème, Un Raccourci dans le Temps n'avait pas vocation à devenir un spot éducatif pour les écoles ou une thèse narrative sur l'accomplissement et l'acceptation de soi. Sur la ligne d'arrivée, on devine une sorte de grand marionnettiste sous prozac qui commanderait une armée de personnages fonction, chacun étant plus une angle sur le message général qu'un réel être animé. Une pétition pour les rushes s'impose, internet.

Artistiquement, l'habit général flotte dans ce même ensemble de trop ou de pas assez. La musique ne lâche jamais les images, assez rarement laissées au silence. Les costumes sont souvent exagérément recherchés (pour créer un décalage), les paysages pauvres ou vides et le bestiaire inexistant. Du côté du vilain, le IT fait un effort au début et offre même une ou deux jolies scènes, mais qui paraissent là-encore assez gratuites ou trop tardives pour réintéresser un public perdu depuis une bonne heure. La créature s'offre ensuite une sorte de deuxième forme d'une rare paresse en terme d'esthétique, comme si on avait demandé à un enfant en bas âge de dessiner ce qu'il imagine de l'enfer ou d'un grand méchant cosmique censé incarner le mal.
DuVernay aime cadrer de près ses héros, intéressée par l'émotionnel de leur parcours et la représentation physique de leurs découvertes. La réalisation vient appuyer l'idée d'un film très porté sur son message, l'humanité et la lumière de manière générale, tout en ne permettant pas d'apprécier l'univers ou de se laisser respirer. A les coller de près dans un montage sec, on se sent piégé avec ces héros vides, dans des couleurs trop fortes et une direction d'acteur avec d'énormes failles.
Plus généralement, on se demande si certains pans n'ont pas simplement échappé au contrôle de la réalisatrice. On retrouve certains gimmicks de l'école Disney en vastes porte-étendards d'une philosophie que le studio ne cherche plus à truquer, les fameux plans contemplatifs en étant un exemple, le rôle des personnages comiques et leur manière d'interagir en étant un autre. Là où ce mélange fonctionne en général pour qui accepte la recette, on se retrouve ici devant le même problème qui sous-tend l'intrigue : c'est bien une recette qui nous est proposée, et celle-ci aboutit en un plat fade que l'on connaît par coeur. Un mauvais Disney pour un mauvais film, aussi triste que ce constat puisse paraître - puisque contre toutes les qualités qu'on peut voir dans la production ou le symbolisme, Un Raccourci dans le Temps est un énorme raté.
Déstructuré, mal écrit, plutôt pauvre artistiquement, l'adaptation d'A Wrinkle in Time est une déception d'ampleur pour qui attendait d'Ava DuVernay un nouveau milestone dans la diversité du cinéma américain. Rien ne sort de ce métrage sinon la représentativité de sa distribution et une paresse générale à proposer autre chose qu'un film à message - et pas forcément le plus original. Tout cynisme mis à part, si on peut accrocher ou non à la couche de bonheur et d'espoir qu'impose généralement la méthode "empire de la joie", on l'apprécie d'autant plus quand elle est véhiculée par une bonne histoire, une morale, des personnages forts et un univers alléchant. Un Raccourci dans le Temps n'a rien de cette liste, et ne fait que ramener sur la table la sempiternelle question : pourquoi de très bons réalisateur semblent systématiquement moins bons une fois débarqués sur des budgets à neuf chiffres. A votre avis ?