
• Un message positif
• Un côté shakespearien assez appréciable
• La réalisation trop sage
• Des effets visuels maladroits
• Un rythme et une exposition lourdingues
Avec une post-production record de deux années, Warcraft nous faisait miroiter une technologie et une direction artistique encore inédites pour le milieu du cinéma Hollywoodien, ce qu'une promotion pour le moins secrète n'a fait qu'encourager. Mais à bien y regarder, Warcraft - sous titré "le commencement" dans nos contrées - n'est jamais que l'héritier onéreux et dopé par une licence mondialement connue des premiers films presque entièrement tournés sur fonds-verts, parmi lesquels on retrouve des titres devenus cultes comme le Sin City de Robert Rodriguez ou le 300 de Zack Snyder, mais aussi des ovnis comme le Captain Sky de Kerry Conroan ou le Spirit de Frank Miller. Un double héritage maudit pour un film qui adapte ce qui est peut-être la plus grande licence de l'histoire du jeu-vidéo.
Commençons par le commencement, donc : la technologie employée. Comme on pouvait s'y attendre au regard de trailers peu inspirés qui ont vraiment tardé à apparaître sur le web, le film de Duncan Jones, à qui on doit l'excellent Moon et le chouette Source Code, ne transcendera jamais sa condition de "film sur fond vert" et ce, malgré l'utilisation d'acteurs ou de décors réels. C'est le premier gros problème de Warcraft, d'ailleurs, puisque le film choisit de couper la poire en deux : avec d'un côté, un monde qui est celui des Orcs, entièrement traité en numérique, et de l'autre, celui des humains, tout juste incarné par des acteurs et des décors qui peinent à convaincre.
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Le spectateur est ainsi baladé d'une ambiance à l'autre pendant deux heures, avec des passages qui rappellent, au choix, le meilleur des cinématiques des jeux Blizzard, ou le pire des productions hollywoodiennes. Le pari artistique du film de Jones ne paie donc pas. Tiraillé entre un monde "réel" bien léger et un monde "numérique" encore trop sage pour sortir du cadre de l'animation, le spectateur s'ennuie jusqu'à une rencontre entre les deux factions, et de facto, une rencontre entre les deux univers visuels du film. Et lorsque cette réunion arrive enfin, il devient impossible de dépasser la vallée de l'étrange générée par les équipes d'ILM et la réalisation de Duncan Jones.
Si seulement le problème n'était que visuel. Warcraft souffre d'un mal plus grand encore. Car si on peut rapidement pardonner les incrustations étranges et les effets spéciaux maladroits, difficile de s'habituer au rythme et à la narration de ce métrage, qui semble calquée sur les canons de Game of Thrones. Quelque part, on comprend pourquoi : la série télévisée de HBO représente aujourd'hui la Fantasy dans la tête des producteurs, et mener Warcraft dans les salles devait forcément passer par une forme d'adaptation, quelle qu'elle soit. Et logiquement, Duncan Jones, son co-scénariste Charles Leavitt (Le Septième Fils, Blood Diamond) et le producteur Charles Roven ont ainsi choisi la segmentation d'un épisode de Game of Thrones pour donner vie à l'univers d'Azeroth. Et ce découpage, s'il a la qualité évidente d'offrir à toutes les factions et leurs personnages des temps d'écrans égaux, ne convient guère au rythme cinématographique. Résultat, le film est assurément les deux heures cinématographiques les plus fragmentées de cette année - pour le moment - et peine ainsi à nous offrir l'espace nécessaire à l'empathie et aux enjeux.
Les scènes s'enchaînent ainsi dans des dialogues et des situations qui sont essentiellement pratiques. Du côté des humains, en tous cas, puisque la narration, plus calme, des Orcs, semblent leur offrir quelques passages plus philosophiques. À ces rares exception près, les personnages ne s'expriment jamais dans des phrases qui dépassent leur fonction : le roi ne parle que de politique, le capitaine de guerre, et ainsi de suite. Il en va de même pour l'action, dans laquelle les protagonistes semble limités par leur rang et leur équipement : les plus nerd d'entre-nous y verront une jolie référence aux jeux-vidéo de Blizzard, les autres se demanderont si Duncan Jones avait réellement l'intention de faire évoluer ses personnages. Un constat qui ne sera pas tendre avec l'auteur-réalisateur, qui avait justement repris en main le scénario - le récupérant des mains de Sam Raimi, jadis attaché au projet - pour lui enlever son manichéisme, et offrir aux Orcs un temps d'écran conséquent. Tentative louable, qui, une nouvelle fois, tente d'utiliser le rythme Game of Thrones pour se concrétiser à l'écran, mais qui échoue assez lamentablement.
Il faudra toutefois dédouaner le réalisateur d'une partie de ses responsabilités, sur ce point. Le character development est tout simplement rendu impossible par la grande majorité du casting, complètement perdue au milieu de tous ces fonds-verts et ce namedropping intense, qui n'aide pas le spectateur néophyte à lier une somme colossale d'informations induites. A l'exception notable de Paula Patton, qui s'offre le rôle de Garona, l'un des mieux écrits, le casting est en roue-libre totale. A côté de la plaque en permanence, Travis Fimmel mérite une critique à lui seul et se contente d'adresser son regard de braise à tout homme, femme et objet qui oserait croiser son chemin, façon Lucas Barrès d'Azeroth. Dominic Cooper et Ruth Negga, couple royal issu de Preacher, livre une performance caricaturale, tandis que Ben Schnetzer et Ben Foster, les deux mages de cette histoire, pourraient faire beaucoup mieux avec une mise en place plus soutenue. Resterons sans doute Robert Kazinsky et Toby Kebbell, qui, transformés en Orcs, s'avèrent plutôt convaincants, bien qu'il soit difficile de juger leur performance au regard de la technologie employée sur leur visage et leur voix.
Terminons sur la réalisation de l'ami Duncan Jones, qui semble inspiré par la mise en scène de l'industrie vidéo-ludique depuis quelques temps déjà, lui qui piquait les caméras typiques de Grand Theft Auto pour les replacer dans son Source Code. Dans Warcraft, il nous offre quelques essais similaires, à commencer par des vues aériennes très Real Time Strategy, qui font leur petit effet sur les fans que nous sommes. Quelques figures du style, visant à appuyer la barrière de la langue, par exemple, viennent compléter le tout sans jamais pleinement nous convaincre. Le réalisateur nous avait habitué à mieux, et se contente d'appliquer une réalisation aussi mécanique que son scénario dans la plupart des scènes, y compris les plus importantes ou les plus iconisées. Il faut dire qu'il a à peine le temps de mettre en place un effet de réalisation qu'on passe déjà à la scène suivante.
Le rythme très saccadé du film finit tout simplement par l'empêcher de réaliser quelques moments de bravoure - quelques duels sont peut-être à sauver - ou ne serait-ce que des scènes fortes. Vous l'aurez compris, le "nerd porn" ne viendra pas de la mise en scène, hélas trop sage, mais des références permanentes du réalisateur à un univers qu'il chérit depuis des années. Les noms, lieux et objets qui feront sourire les fans sont légion, mais rarement intégrés à la narration du film, ce qui risque d'achever les spectateurs non-initiés aux secrets d'Azeroth. Si quelques détails sont plus naturellement mêlés dans l'action ou les dialogues, Duncan Jones tombe progressivement dans un éboulement de références, qui sera, forcément, clivant.
On pourrait résumer le paradoxe Warcraft ainsi : le film fait tout pour s'ouvrir à un plus large public, mais ne pourra sans doute que plaire aux fans. En ayant fait le choix de garder des acteurs "au naturel" pour les humains, en limitant la créativité derrière la caméra et en s'alignant sur un rythme télévisuel, la production entend séduire un maximum de spectateurs. Mais elle semble avoir oublié que ces derniers décrocheront dès les premières minutes face à une exposition beaucoup trop lourde et des personnages trop nombreux. De leurs côté, les fans, qui se sentiront vite chez eux, n'auront au contraire aucun mal à passer d'une scène à l'autre. Mais reste à savoir s'ils pardonneront au film un casting globalement aux fraises, un scénario aussi enfantin que terriblement morcelé et des scènes d'action loin d'être aussi folles qu'on les attendait. Resteront des messages sur des sujets très actuels - comme la migration de masse ou le racisme - assez bien traités dans un style très théâtral voire shakespearien, qui rendent le film finalement inoffensif pour le grand public, et peut-être même utile pour les plus jeunes.