1.
| L'Horreur expressive
L'horreur espagnole va connaitre un précurseur, un maître en la matière qui va influencer toute une génération de cinéastes derrière lui. Cet homme n'est autre que Jesus Franco, que l'on connait pour ses films érotiques qui doivent beaucoup au Marquis de Sade mais aussi pour ses films d'horreur dont il sera l'un des plus fiers représentant dans les années 60 et 70.
Tout va véritablement commencer en 1962 pour lui, avec la sortie de L'Horrible Dr. Orloff où déjà il associe un érotisme dérangeant et une épouvante graphique, encore très inspiré de l'expressionnisme d'un Fritz Lang. Cette histoire d'un chirurgien qui enlève des jeunes femmes pour pouvoir leur prendre des bouts de peau afin de rendre son visage à sa fille défigurée va le mettre sur le devant de la scène.
Cela va lui permettre d'attirer l'intention de studios anglais qui vont lui confier des films de la saga de Fu Manchu où il dirigera Christopher Lee. Il retrouvera ce dernier en 1970 pour réaliser l'un des films les plus importants de l'époque : Le Comte Dracula. Il va découvrir après cela l'actrice Soledad Miranda qui va l'inspirer pour de nombreux films qui associent érotisme et horreur, comme L'Héritage de Dracula.

C'est aussi à cette période que vont apparaître les Templiers morts-vivants, dans La Révolte des Morts-Vivants d'Amando de Ossorio. Celui-ci va développer toute une franchise autour de ces personnages, faisant de lui une sorte de George Romero espagnol. Il n'en aura pas le talent mais va avoir la bonne idée de développer tout un pan du cinéma de genre en Espagne qui restera influencée par cette saga. Les années 70 vont alors voir les films de morts-vivants se multiplier.
Notons aussi un film superbe, L'Esprit de la Ruche, qui servira notamment d'inspiration à Guillermo del Toro. Sorti en 1973, ce film de Victor Erice montre deux sœurs traumatisées par la vision du film Frankenstein. L'une d'elles va se rejouer Frankenstein dans son esprit, l'autre va être persuadée que la créature existe et va partir à sa recherche. L'imagination pour fuir la réalité encore plus horrible, on comprend que le réalisateur du Labyrinthe de Pan ait été affecté !
2.
| Après la Movida
La mort de Franco va déclencher un mouvement culturel sans précédent en Espagne: la Movida. Engoncés dans des décennies de conservatisme et de censure, les Espagnols vont tout lâcher d'un coup et se jeter dans un mouvement hédoniste où tous les tabous du régime franquiste deviendront la nouvelle norme : drogue, sexe libre et arts progressifs exultent, tandis que Pedro Almodóvar pose sa caméra dans un coin.
Le cinéma d'horreur sera un peu oublié durant cette période de liesse. L'époque est à la couleur et à la joie, pas vraiment le meilleur des terreau pour le genre. Pourtant, la réalité va vite rattraper les Ibères, l'afflux de drogues, le SIDA et une réalité économique moins fleurissante que ce qu'ils avaient espéré à la mort du dictateur vont vite ramené sur le devant de la scène un portrait de l'Espagne plus morose.
C'est dans cette ambiance plombée que sortira Angoisse en 1987. Ce film de Bigas Luna est un hommage appuyé au Giallo et ses thématiques malsaines, où l'être humain se révèle souvent être le pire des monstres, tout en étant allié à une narration virtuose qui s'amuse à créer une mise en abyme entre le film que l'on regarde et celui que les héroïnes vont voir. Les événements entre les deux réalités s'interpénètrent pour mieux perdre un spectateur qui déboussolé ne peut rien faire contre le malaise qui monte.

Les années 90 vont voir l'émergence de plusieurs cinéastes de grand talent qui vont jouer avec le genre sans pourtant y être cantonnés ad vitam aeternam, une exception culturelle encore (demandez à Alexandre Aja comment ça se passe en France). Ainsi en 1995, Alex de la Iglesia va réaliser Le Jour de la Bête, brûlot punk qui s'en prend autant aux religieux, qu'aux médias et à la politique, tout ça sur fond d'Antéchrist. Le cinéma d'horreur espagnol renait de ses cendres de la plus belle des manières.
En 1999, un autre réalisateur de renom va se faire connaitre du public. Jaume Balagueró sort La Secte sans Nom, un premier film marquant par sa mise en scène virtuose et angoissante, où une secte néo-nazi est ici la source de toute nos peurs. L'année suivante, Alex de la Iglesia revient pour enfoncer le clou de l'horreur avec Mes Chers Voisins, où encore une fois il se sert de l'épouvante pour glisser une petite critique sociale acerbe. Surtout, il confirme que les années 2000 devront aussi compter sur le cinéma d'horreur espagnol.
3.
| Un nouveau millénaire au sommet de l'angoisse
Si dans les années 2000, nous allons voir Alex de la Iglesia se diriger vers la satire sociale avec Le Crime Farpait (et il travaille actuellement à un biopic consacré à Messi), le réalisateur Jaume Balagueró va lui continuer de creuser le sillon sanglant de l'horreur. Avec Darkness puis Fragile, il développe un cinéma d'horreur visuel et intimiste, profitant de fonds américains pour proposer des films esthétiquement comparables à ceux qui sortent d'Hollywood.
Surtout, il va avec Paco Plaza, qui avait sorti L'Enfer des Loups en 2004, imaginer une licence de films d'horreurs qui sera peut-être la seule à avoir une portée équivalente aux franchises anglo-saxonnes. Cette licence sera bien sûr [REC], qui va mettre un véritable coup de projecteur à une scène qui se développe depuis déjà longtemps. Commencée en 2007, la saga a vu un quatrième opus sortir l'année dernière, alors qu'elle ne trahit pas la tradition "foutrarque/gore" du cinéma d'horreur espagnol.
Cette performance ne doit pas cacher le reste d'une production qui ne cesse de s'amplifier et de gagner en qualité ces dernières années. Dès 2001, Alejandro Amenábar frappait un grand coup avec Les Autres, où il déployait un voile opaque et angoissant autour d'une Nicole Kidman percutante. Mais si lui est allé chercher des financements à l'étranger, on peut aussi noter le mouvement inverse, des réalisateurs étrangers qui produisent leurs films en Espagne.

C'est le cas d'un réalisateur mexicain du petit nom de Guillermo del Toro. Venu profiter des fonds et des décors espagnols, celui qui créera plus tard Pacific Rim va réaliser en 2001 L'Échine du Diable, où il se servira même de l'Histoire de sa terre d'accueil puisque l'action se déroule durant la Guerre Civile qui vit Franco l'emporter. Suivra en 2006, Le Labyrinthe de Pan, film où les visions cauchemardesques servent un message sur la perte de l'enfance.
Si à partir de là, il retournera définitivement à Hollywood, il produira tout de même un jeune réalisateur du cru qu'il avait rencontré sur place. C'est ainsi que Juan Antonio Bayona put réalisé L'Orphelinat, un film d'horreur à l'ambiance terriblement malsaine et avec un esthétisme consommé.
On peut aussi citer plus récemment, preuve que la filière espagnole survit à leur crise économique, le cas de Andrés Muschietti, réalisateur argentin venu mettre en boîte son Mamá dans ce pays qui cultive le film d'horreur pour que son cinéma continue de sourire.