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Les Maîtres de la Science-Fiction #7 : Richard Matheson

Par Alfro
6 avril 2016
Les Maîtres de la Science-Fiction #7 : Richard Matheson

Au moment de décider dans quel genre officiait Richard Matheson, un choix compliqué s'est présenté à nous, prouvant une nouvelle fois que les catégorisations et autres classements sont trop limités pour contenir l'ensemble des nuances de notre réalité. L'écrivain se considérait d'abord comme un auteur de fantastique, et pourtant ce sont bien ses œuvres de Science Fiction qui ont eut le plus d'impact dans l'esprit collectif, Je Suis une Légende en tête. Cette dernière œuvre, remise au goût du jour par l'un des derniers films de Will Smith à n'être pas tout moisi, est pourtant le sommet du sempiternel iceberg (cette métaphore marchera beaucoup moins quand ils auront tous fondu) qui cache des bibliographie et filmographie riches, variées et passionnantes.

Richard Matheson nait en 1926 à Allendale, New Jersey, de parents émigrés norvégiens. Pas de rêve américain pour eux cependant, puisque le père alcoolique peut se montrer parfois violent et se désintéresse peu à peu de son fils, jusqu'à abandonner la famille alors que le futur écrivain n'a alors que huit ans. Il va donc être presque exclusivement élevé par sa mère qui s'installe avec lui à Brooklyn, une femme qui parlant très mal l'anglais et étant paranoïaque va réduire son monde à son fils, provoquant chez ce dernier un sentiment d'étouffement que l'on retrouvera souvent dans son œuvre à venir. Mais nous n'y sommes pas encore, même si le jeune homme montre des prédispositions à l'écriture puisqu'il va voir une de ses nouvelles paraitre dans le journal local alors qu'il n'a pas dix ans. Passionné par les magazines de pulps qu'il dévore, mais aussi par les romans fantastiques et historiques, il a toujours eu la certitude qu'il devait écrire.

Il va devoir attendre un peu pour se mettre à son ambition de devenir écrivain puisque la Seconde Guerre Mondiale a éclaté et qu'il est envoyé au front en Europe quand il sort du lycée. Une période dont il ne parlera jamais frontalement mais qui va transparaitre dans des éléments autobiographiques de son roman The Beardless Warriors, paru en 1960 et qui raconte l'histoire de ces hommes à peine sortis de l'adolescence qui se retrouvent en Allemagne, un livre sur la prise de conscience de la valeur de la vie. Démobilisé, Richard Matheson décide de reprendre ses études et s'inscrit dans la fac de journalisme du Missouri. Son diplôme en poche en 1949, il va s'installer en Californie où il sent, à raison, qu'un nouvel élan artistique émerge.

Il arrive à un moment crucial de la littérature fantastique et SF américaine. En effet, à cette période, les magazines de pulps ferment leurs portes les uns après les autres. Ce qui peut apparaitre comme une grosse perte pour la culture va se révéler au final salvateur pour une tout un pan de la littérature en devenir. Toute cette industrie qui avait du mal à se détacher de la figure tutélaire de H.P. Lovecraft et ses continuateurs disparait pour laisser la place à de nouvelles publications qui vont dessiner un nouveau paysage littéraire. Ainsi, c'est quand il arrive en Californie que démarre The Magazine of Fantasy and Science-Fiction qui nous fera notamment découvrir Philip K. Dick. Richard Matheson aussi va commencer sa carrière dans les pages de cette revue. Après avoir vu un premier roman refusé par tous les éditeurs auxquels il l'a proposé, l'auteur publie une première nouvelle, Born of Man and Woman, qui raconte comment un enfant monstrueux est enfermé et battu par ses parents. Cette obsession pour l'enfance maltraitée et la paranoïa surgiront souvent dans son œuvre, comme dans Lazare 2 (1953) où une mère oblige son scientifique de mari à ressusciter leur enfant mort pour finalement haïr cet affront de la nature.

Cette première nouvelle, parue en 1950, ne sera que la première d'une très longue liste, l'écrivain étant plus que prolifique puisqu'on compte près de 200 nouvelles à son compteur. Beaucoup d'entre elles sont des nouvelles fantastiques ou de science-fiction (ce passionné de fresques historiques fera aussi de nombreux récits de western) où les plus banals éléments du quotidien deviennent monstrueux, oppressants voire meurtriers. C'est en ce sens que l'on peut considérer que Matheson a grandement contribué à passer outre l'héritage de Lovecraft sur la littérature américaine, délaissant les grands plans cosmiques sur une humanité condamnée pour un fantastique plus proche de l'intime. S'il n'est pas le plus optimiste des auteurs, obsédé qu'il est par la question de la guerre atomique et de l'ostracisation que produit notre société, il abhorre le cynisme et le nihilisme du reclus de Providence. Surtout, il y a chez l'auteur un sens de l'humour indéniable, certes ironique mais qui montre aussi un détachement par rapport au ton grave et sentencieux de ses prédécesseurs. Son œuvre va avoir un impact profond sur la littérature fantastique américaine et va profondément marquer un jeune homme qui va en devenir l'un des plus fiers représentants, Stephen King, l'auteur à succès citant Matheson comme son maître à penser. Rien que ça.

Pour l'heure, sa première nouvelle marque fortement le public et la critique, si bien que les portes des éditeurs vont enfin s'ouvrir. Ainsi, Richard Matheson publie en 1953 Someone is Bleeding chez Lion Books. Il ne va cependant pas avoir le succès escompté avec ce roman. Qu'importe, l'année suivante sort Je Suis une Légende qui sera lui un véritable game-changer. Cette histoire post-apocalyptique peuplée de vampire va marquer toute une génération, pour sa capacité à jouer avec les peurs de l'époque (avant tout le monde) comme le nucléaire, la manipulation scientifique et la solitude humaine. Son approche "scientifique" du mythe vampirique est très novatrice et va influencer en profondeur un genre émergent, le genre zombiesque. D'ailleurs, George A. Romero citera ce roman comme sa principale influence au moment de tourner The Night of the Living Dead.

Sur sa lancée, en 1956, Richard Matheson publie son autre grand succès, L'Homme qui Rétrécit. Dans celui-ci, l'écrivain raconte l'histoire d'un homme qui s'aperçoit qu'il perd progressivement du poids, que les choses paraissent de plus en plus éloignées, avant de réaliser — trop tard — qu'il rétrécit bel et bien. Il s'agit d'une allégorie de la condition de l'homme moderne (ou du moins, de l'Américain moyen) qui se voit peu à peu réduit dans sa puissance d'être humain par son environnement et sa soumission aux conventions de la société, c'est aussi une interrogation sur ce que cette même société entend par être "normal". Ce roman va aussi avoir un succès immense dès sa sortie. Si bien qu'il sera adapté au cinéma dès l'année suivante, avec un scénario écrit par Matheson lui-même.

L'écrivain va prendre goût à l'écriture de scénario, et va profiter de l'explosion des studios californiens pour écrire de nombreux épisodes de shows qui émergent ici et là. C'est aussi à cette période qu'il va rentrer dans une société magique californienne, où l'on retrouve de nombreux auteurs dont un certain Ray Bradbury. L'auteur de Fahrenheit 451 et Richard Matheson vont alors rapidement devenir amis. Le premier découvrant le goût du jeune auteur pour la télévision va l'inviter alors à écrire pour The Twilight Zone (en VF : La Quatrième Dimension). Il écrira plus d'une douzaine d'épisode de la série, parmi les plus fameux, et va définitivement prendre goût à l'exercice. Il va ainsi continuer en écrivant notamment un épisode de Star Trek et des scénarios fantastiques pour la Hammer. Les années 60 seront ainsi pour lui surtout l'occasion de travailler pour la télévision, même s'il continue régulièrement de publier des nouvelles.

Richard Matheson va adapter l'une de ces nouvelles pour le cinéma en 1971 à la demande d'un jeune réalisateur qui souhaite ainsi démarrer sa carrière. Il s'agit évidemment de Duel, le premier film de Steven Spielberg. Cette histoire sous haute tension narre comment un homme est poursuivit sans raison apparente sur les routes par un semi-remorque noir dont on ne voit jamais le conducteur. Ce long-métrage lancera la carrière d'un réalisateur dont on connait désormais bien la fantastique filmographie et confirmera l'inclination de Matheson pour le scénario. Il va de moins en moins écrire de romans, surtout des polars ou des western d'ailleurs, et se consacrera de plus en plus aux écrans. Pourtant, on peut noter qu'il va peu à peu embrasser des thèmes communs avec Philip K. Dick, comme la relativité de la réalité (Je suis là à attendre) ou les phénomènes psychiques (The Path). C'est en auteur reconnu et admiré qu'il s'éteindra chez lui, à Los Angeles, en 2013.

"A présent, c’est moi, le monstre... Le concept de "normalité" n’avait jamais de sens qu’aux yeux d’une majorité, après tout..."

Les Maîtres de la Science-Fiction #7 : Richard Matheson