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Muse : entre culture SF, politique et religion
Par Woulfo
26 janvier 2015
Fer de lance de la nouvelle
génération anglaise au début du siècle, Muse s’est imposé année après année,
album après album comme un des groupes les plus « importants » de la
scène internationale rock de nos jours.
Emmené par la voix de Matthew
Bellamy, les bras de Dominic Howard et le célèbre headbang de Chris Wolstenholme, Muse a
bâti sa réputation de mastodonte à l’aide de ses seules mains, avec des
chansons calibrées pour la fougue de la scène rock dans un premier temps pour
ensuite embrayer sur quelque chose de plus « expérimental » et moins « organique ».
Cependant, Muse n’a jamais été un
groupe underground et reflète certainement le symbole exemplaire du « rock
pop », avec toute la signification de cette notion. En dehors des récurrents
commentaires sur le groupe, il est intéressant de noter toute la culture SF qui
baigne dans l’univers du groupe. A partir du deuxième album Origin of
Symmetry jusqu’à The 2nd Law, en passant par
leurs paroles, leurs performances scéniques ou leurs clips, le groupe a
toujours montré son attrait pour la dystopie future avec des thèmes souvent
récurrents qui tournent autour de fin du monde, religion et politique.
Cet article a donc pour but de
voir où Matthew Bellamy (à l’origine de toutes les paroles, à quelques exceptions près) essaye de nous emmener à travers sa musique,
quelles sont ses inspirations et rendre hommage aux paroles du groupe.
1
- Bienvenue dans le showbiz de la science
2
- La religion, thème récurrent très important chez Muse : ère de l’absolution
3
- Tous en résistance
4
- Le soulèvement avant la destruction
1.
| Bienvenue dans le showbiz de la science
Même si Showbiz n’est
certainement pas l’album qui reflète le mieux l’amour du groupe pour la
science-fiction, il serait vain de ne pas prendre quelques instants pour parler
du premier album du groupe qui possède des textes ficelés d’une écriture assez
mature (on pense notamment à Muscle Museum et ses reflets de chanson
Freudienne), certaines interprétations peuvent déjà faire penser à des maîtres
du fantastiques : Falling Down, chanson qui parle du fait de
grandir à Teignmouth (ville portuaire d’Angleterre où Muse a grandi) et qu'on peut rapprocher de cette image bien classique et connue de la ville
portuaire morbide, mystérieuse et brumeuse :
« I’m falling down
And fifteen thousand people
scream
They were all begging for your
dream
I’m falling down
Five thousand houses burning
down
No-one is gonna save this town
Too late ».
Les paroles de Cave, inspirées du livre Les Hommes viennent de Mars, les Femmes viennent de Vénus n’ont aucun rapport avec la science-fiction
mais le titre du livre fait presque figure de prémisse pour le futur du groupe…
Les autres chansons de l’album alternent des textes très personnels (quelque
chose qu’on ne retrouvera majoritairement que dans… The 2nd
Law !).
Ce n’est donc vraiment qu’avec Origin of Symmetry sorti en 2001 que Muse commence à mettre sur le devant de la scène
son amour pour la science-fiction (et la musique classique, mais c’est une
autre histoire). A partir de cet album,
Muse saute les deux pieds en avant dans le rock théâtral :
fini les histoires d’adolescent, place à quelque chose de plus abstrait,
grandiloquent; pompeux diront certains.
Un livre a énormément influencé l’album : Hyperspace du physicien Michio Kaku : on y parle faille temporelle,
univers parallèles et… origine de la symétrie ! Voilà ce qu’en dit le
leader du groupe anglais : « Le nom de l’album Origin of Symmetry est
tiré d’un livre qui parle de la géométrie de l’univers, comment tout est dans
un bel équilibre, une sorte de « chose » parfaite en dix dimensions. Il
explique toutes les forces mystérieuses que nous avons inventées, religion
inclue.Tout le monde a écrit au sujet de l’origine de la vie alors maintenant
ils [les scientifiques] commencent à regarder l’origine de la symétrie. Il y a
une certaine stabilité dans l’univers et pour savoir d’où cela provient, il
faudrait savoir si Dieu existe ».
Un autre texte a influencé
l’écriture de l’album et complète Hyperspace : L’Univers Elégant de Brian
Greene (spécialiste mondial de la théorie des cordes). L’auteur présente des
points dimensionnels qui pourraient contenir… notre espace-temps. Rien de
moins, rien de plus. Si on prend en compte le fait que Matthew Bellamy a déclaré avoir
pris des hallucinogènes durant la conception de l’album « idéal pour
explorer de nouveaux territoires » dixit
himself, on se demande vraiment comment pense et travaille l’esprit de
Bellamy pour assimiler les notions abstraites des textes qu’il lit… Cet amour
pour la science se retrouvera dix ans plus tard, avec The 2nd
Law, sixième album du groupe qui possède comme titre un terme
scientifique : la deuxième loi thermodynamique, état d’entropie assimilé à
la notion de désordre qui ne peut que croître au cours d’une transformation
réelle.
Origin of Symmetry s’ouvre sur
une des chansons phares de Muse : New Born, une chanson qui reflète les
peurs de Bellamy et plus particulièrement celle de l’évolution de la
technologie qui amènerait vers la destruction de l’humanité. Voilà ce qu’en dit
le concerné : « Un sentiment de ne pas être connecté à l’autre, même
si nous le sommes tous. Ma peur est qu’on ne peut contrôler la technologie
parce qu’elle évolue plus vite que ce que nous sommes. Les chansons me mettent
dans un endroit dans le futur où le corps n’est plus important et où tout le
monde est connecté à un réseau. La première phrase est : « Link it to
the world », donc cela vous connecte à l’échelle mondiale et vous fait
naître dans une autre réalité, un peu comme dans le film Matrix. Mais nous n’avons
pas l’intention de copier leurs idées sur la technologie et comment elle a
évolué ». Plug In Baby répond en écho à New Born : « Encore une
fois, c’est à propos du chemin que nous prenons, comme New Born : il y a
le bon côté et le mauvais côté. Abandonner toute individualité, devenir un tout
collectif via des câbles et la perte de l’individualisme ». Voici ce qu’en
dit Dominic Howard, batteur du groupe : « C’est une chanson qui parle
de mettre de l’émotion dans quelque chose qui n’a pas d’âme, comme un
ordinateur ou un ours en peluche. Et aussi ce qui se passerait si nous pouvions
génétiquement créer des chiots qui ne
vieilliraient jamais ».
Au-delà de son amour pour la
science-fiction, c’est aussi l’amour pour la musique classique qui transpire
dans cet album et dans l’œuvre de Muse, notamment avec Space Dementia, petit
bijou du groupe qui rend hommage au second concerto de Rachmaninov. Le « Space
Dementia » est un état mental hypothétique que certains astronautes
connaitraient dans l’espace. Sentiments d’insignifiance, insécurité, manque de
contacts sociaux et isolation à la race humaine. Pour l’anecdote, on peut entendre le « zip » de la braguette de
Bellamy dans « Space Dementia ». Oui, ça rigole bien chez Muse.
Le paroxysme est atteint avec la
chanson Hyper Music. En dehors de la référence évidente au livre
de Kaku, certains voient dans Hyper Music, une chanson de nature
anti-religieuse (qu’on pourrait associer aux divers passages qui traitent de la
religion dans Hyper Space). Les paroles pourraient être un récit raconté par une
figure messianique, la chanson prend alors un tout autre sens : « Golden
Lies » ferait référence directement aux paroles des rabbins et prêtres.
Les mensonges n’étant pas que Dieu existe puisque deux phrases plus loin, on
retrouve : « Who’s returned from the dead ? Who
remains ? ». Le mensonge serait plutôt celui de lui donner une figure
de sauveur : « I don’t love you and I never did ». Le deuxième couplet approfondit sa
pensée : «You wanted more than I was worth » (sauver l’humanité donc).
Vient ensuite une référence directe à un passage de la bible : « And
you think I was scared » fait référence à la crainte de Jésus d’être
crucifié, où il pria dans le Jardin de Gethsémani avec ses apôtres. « And
you needed proof » remet en
contexte, au XXIème siècle ère du progrès, de la science qui remet en
cause les textes sacrés pour s’en émanciper. « Who really cares any
more ? » : c’est terminé, Dieu ne nous aime plus et nous laisse
souffrir. Cette notion religieuse est très importante car elle jalonne un
nombre important de chansons du groupe, surtout dans Origin of Symmetry et Absolution. Des références religieuses sont aussi perceptibles dans Megalomania :
« Que serait Dieu ? Pourquoi devrions-nous aller de l’avant et nous
multiplier ? Quel est le but ? » et dans diverses Faces B du
début du siècle : Shrinking Universe est une chanson où Bellamy s’exprime
à Dieu en lui expliquant, avec un pessimisme non dissimulé, que le monde court
à sa perte. Futurism (ou Tesseract, autre petit nom de la chanson – nom donné à
la forme de la Quatrième Dimension – analogue à un cube) : la chanson parle d’un
monde futur où les réseaux sociaux nous éloignent les uns des autres et où l’utilisation
de la technologie nous fait être des Dieux Silencieux.
Je ne pouvais terminer cette
partie sans parler de Nature_1, magnifique chanson qui possède une ribambelle
d’interprétations : on peut y voir une affection pour quelqu’un qui a
dépassé les limites, une chanson sur Dieu qui exprime qu’il n’est pas/plus à
notre écoute, un dirigeant qui détruit petit à petit notre monde (comme dans Take A Bow), la non-reconnaissance qui peut amener à la colère et donner envie
de détruire le monde (?!), le fait de parler à soi-même à travers un
miroir pour faire un bilan de notre existence, un rejet de l’écologie où
Bellamy personnifie la Terre comme étant un être insensible et froid :
« sick of trying to please you » : le monde a si mal tourné, la
nature elle-même est une catastrophe.
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2.
| La religion, thème récurrent très important chez Muse : ère de l’absolution
Comme précisé dans la partie
précédente, Matthew Bellamy joue énormément avec les figures religieuses en
écrivant très souvent des paroles antireligieuses, d’un pessimisme non dissimulé
devant tous les malheurs présents sur Terre.
C’est donc en toute "logique"
que le titre du troisième album porte un thème religieux : Absolution. Matthew Bellamy précise cependant : « Je
pense que l’Absolution n’est pas nécessairement un mot religieux. Il a des
significations de pureté, je pense que faire de la musique est une façon de
comprendre les choses ». La
jaquette de l’album a été conçue par Stom Thorgerson (le monsieur derrière la
jaquette de nombreuses jaquettes de Pink Floyd, notamment Dark Side of the
Moon), Dominic Howard la décrit : « la jaquette peut être considérée
comme des gens qui quittent ou arrivent sur Terre, elle est ouverte à
l’interprétation. » Ombre de personnes qui volent répartis comme un
escadron prêt au combat, stupéfaction d’un spectateur qui est témoin d’un
évènement mystique et éprouve une sorte d’absolution devant un tel spectacle.
Une sorte de symétrie qu’on pourrait rattacher à l’album précédent est à
remarquer, Thorgerson avoue qu’il imaginait ces étranges créatures comme dans
une histoire de Maurice Sendak (Max et les Maximonstres). L’anglais s’occupera
aussi de la pochette de Black Holes and Revelations pour l'album suivant et met en
scène les quatre Cavaliers de l’Apocalypse : les chevaux sont sur la
table : le blanc représente l’Anti-Christ, le rouge la Guerre, le noir la
Famine et le pâle la Mort. Les chevaux sont de toute petite taille pour
signifier les maux des Cavaliers qui dépassent ceux des chevaux. La planète
rouge fait irrémédiablement penser à Mars.
L’album s’ouvre sur… un chant nazi, « Sieg Heil » comme
si Bellamy voulait faire un pied de nez à l’existence possible d’un Dieu devant
toute l’horreur de l’Homme. L’intro amène directement à Apocalypse Please, chanson
de fin du monde qui fait évidemment la part belle à la religion :
« la chanson est du point de vue d’une personne qui attend son Dieu pour
venir l’aider et tout régler, les fanatiques religieux et leurs souhaits que
leurs prophéties se réalisent afin qu’ils puissent confirmer les dires de la
religion. »
« And it’s time we saw a miracle
Come on it’s time for
something biblical
[...]
This is the end of the
world »
La voix lyrique de Bellamy appuyée par une instru' grandiloquente
fait d'Apocalypse Please une petite pépite de chanson de fin du monde.
Cependant, il est intéressant de noter que Bellamy essaye le
moins possible de positionner ses chansons dans des cases pour laisser
l’auditeur interpréter de sa propre oreille : concernant Time is Running
Out, il avoue dans le magazine français Rock Mag : « cette chanson
est une sorte de généralité que vous pouvez appliquer à n’importe quoi, comme
une relation qui peut être envers une personne, la société ou la religion,
j’essaie d’écrire des chansons qui peuvent s’appliquer à de nombreuses
situations. » En effet, il est
difficile de trouver énormément de joie et de bonheur dans les textes de
Bellamy (chose surprenante au final quand on écoute ses interviews ou regarde
ses prestations lives) mais Time is Running Out est certainement un petit bijou
de désespérance, morbide et pessimiste. La chanson décrit l’effet d’être acculé
par quelque chose/quelqu’un et d’essayer de s’en dissocier avec véhémence :
« I wanna break this spell that you’ve created You ‘ll suck the life out
of me », comme si Bellamy racontait l’histoire d’une personne en fin de
vie qui essaye d’être enfin libre. Le clip de Time is Running Out rend hommage au Doctor Folamour de Stanley
Kubrick. Kubrick qu’on retrouve… dans le clip de Sing of
Absolution avec un plan qui rappelle forcément la fin de 2001 :
L’Odyssée de L’Espace du même réalisateur. « Faire de la musique ou chanter est
pour moi un acte d’Absolution, c’est ma façon personnelle de trouver une manière
de me comprendre, les éléments confus qui m’habitent et qui me font peur. »
Cette figure d’une personne sur
son lit de mort qui essaye de se racheter, de faire un bilan sur sa vie est récurrente chez Muse. Elle est présente aussi dans Blackout en racontant les bons moments de son existence, Falling
Away with you une chanson qui parle de la mémoire qui sélectionne les bons et
mauvais moments de notre vie et en oublie certains ou encore Thoughts
of a Dying Atheist qui parle de religion mais met cette fois-ci en
relief le caractère athée de Bellamy. Comme le titre l’indique, Bellamy parle
des pensées d’un athée sur son lit de mort (troisième fois dans l’album, quel
optimisme !) : maintenant qu’il est sur le point de mourir et vu
qu’il ne croit ni au paradis, ni à l’enfer, il se voit confronter à
l’après-mort.
« Eerie whispers trapped beneath my pillow
Won't let me sleep, your memories
I know you're in this room, I'm sure I heard you sigh
Floating in between where our worlds collide »
Stockholm Syndrome possède de nombreuses interprétations. On
peut la voir comme une simple chanson qui parle… du syndrome de Stockholm (tout
simplement) ou bien, on peut lire la chanson de façon anti-religieuse comme
d’accoutumée avec Origin of Symmetry et Absolution : comme si le
persécuteur était Dieu, l’otage l’Homme et que malgré tout le mal qu’il a
engendré, des personnes l’aiment. « And she’ll scream and she’ll shout and
she’ll pray » ou l’effet inverse : la chanson reflèterait les paroles
de Dieu envers quelqu’un : « I won’t hold you
back, This is the last time I’ll abandon you » et le « I wish I
could » qui vient appuyer les liens et la marque d’emprisonnement.
La figure du Diable vient s’introduire dans The Small Print
qui fait allusion à Faust de Goethe et notamment à un contrat malhonnête entre
le diable et une figure Faustienne. Chantée du point de vue du Diable « I’m
a priest God never paid » et décrit une personne qui vient vendre son âme
et devient « slave to the grave » en perdant tous ses souvenirs « the
good days ».
Le scepticisme de Bellamy s’exprime
aussi dans Fury, chanson « exclusive » au sol japonais qui pourrait
être vue comme une déclaration de scepticisme vis-à-vis de la religion et de sa
capacité à nous écouter ou encore comme une déclaration de désespoir
existentiel, ironiquement appuyé par l’absence de Dieu.
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3.
| Tous en résistance
A partir de Black Holes and
Revelations, Matthew Bellamy s’éloigne d’une composée religieuse pour se consacrer à la politique. Les thèmes
sont cette fois-ci ceux de la kleptocratie (système politique où des personnes
à la tête du pays pratiquent la corruption) et de la dystopie : « Il
y a un thème sur l’album : nous sommes en fin de cycle, il existe une
sorte de connexion aux cycles de l’histoire où la tension monte puis est
libérée. Cela peut être une catastrophe
comme une guerre nucléaire ou quelque chose de génial comme l’arrivée des
aliens [copyright Bellamy's humor]. Mais j’ai le sentiment que quelque
chose de grand est sur le point d’arriver. »
La corruption de nos classes
dirigeantes et de certains groupes qui contrôleraient le monde se reflète dès
la première chanson de l’album : Take A Bow. Bellamy appelle les
dirigeants des divers pays à prendre la responsabilité de leurs actes et ne les
épargne guerre :
« Corrupt You corrupt
And bring corruption to all that you touch
And Beholden for all that you’ve
done ».
Cette montée crescendo du texte
est renforcée par l’instru' qui ne cesse de monter jusqu’à arriver à un certain
point de non-retour et qui pourrait être interprété comme la tension libérée
décrite par Bellamy dans certaines interviews. Un sentiment de vengeance
imprègne fortement le texte. Assassin
(chanson qui est née après que le groupe ait écouté une radio islamiste) et City of Delusion font appel à la fibre révolutionnaire qui sera le
thème principal de The Resistance et notamment « Uprising » :
Bellamy veut un monde où le Peuple se libérerait de la domination des
gouvernements et serait à même de prendre les armes « The time has come
for you to shoot your leaders down join forces underground »
« Destroy this city of Delusion ».
L’humour « so british »
de Muse en vient même à penser que nos dirigeants seraient des aliens déguisés
et un complot d’envergure intergalactique serait présent « it’s
just our leaders in disguise » : Exo-Politics est une chanson à propos
d’une possible invasion alien orchestrée par le nouvel ordre mondial
« When the Zetas fill the skies », dans une interview allemande,
Matthew Bellamy précise qu’il « s’agirait d’un accord commercial entre le
gouvernement et les extraterrestres à propos de l’utilisation des nouvelles
technologies ». La chanson parle aussi de guerre psychologique, le
contrôle de la pensée et le projet Star Wars. Les idées des gouvernements pour combattre les aliens excite le petit
gars du Devon qui affirme prendre la chose très au sérieux (tout en
affirmant cela, il n’a bien entendu pas pu s’empêcher d’avoir un rire
hystérique).
Petit à petit, l’humour du groupe qu’on ressent en concert et en interview commence donc à
transpirer mais le petit chef d’œuvre apparaît en fin d’album : Knights of
Cydonia possède certainement le clip le plus délirant du groupe et certainement
une de ses plus belles réussites entre western spaghetti, lasers pulp et
héroïsme. Dans la chanson, Matthew Bellamy veut que les gens se
réveillent, qu’ils se battent pour essayer de changer les choses tout en
rejetant le gouvernement et toutes les forces obscures : « No one is
going to take me alive ». Beaucoup d’optimisme aussi dans cette chanson
qu’on peut classer dans la catégorie guerrière. Knights of Cydonia peut donc
être perçue comme une ode à l’humanité, ce qui répond à la zone de Cydonia sur
Mars qui est un relief qui peut être associé à un visage humain. Des théories
du complot sont alimentées là-dessus : la NASA aurait recouvert cet
endroit qui abriterait un village martien. Bellamy : « Une grande
guerre a eu lieu autre fois dans notre système solaire et a détruit Mars, les
habitants ont dû s’installer ailleurs… sur Terre. » Cependant, n’ayez
crainte : cette théorie a été démentie : les images les plus
récentes de Cydonia ne ressemblent en rien à un visage humain et les
précédentes images sont le résultat des ombres à travers les collines.
Ce thème du complot alimente les
textes du groupe : des projets comme HAARP ont une place importante dans
leur discographie. HAARP est le nom d’un programme scientifique et militaire
américain sur l’ionosphère basé en Alaska. Bien entendu, le projet est à l’origine d’un nombre
important de théories du complot : ce projet servirait à modifier le
climat, interrompre toute forme de communication hertzienne et influencer les
comportements humains. Le site est parsemé de diverses antennes permettant
d’étudier l’impact des communications longues distances. Muse a repris cette
esthétique pour le HAARP Tour (tournée des stades lors de Black Holes and
Revelations).
Qui dit science-fiction et
politique, dit forcément 1984, livre énormément présent dans les paroles de Muse. Dès 2001, Citizen Erased, vient directement mettre en relief le travail
d’Orwell (Citoyen Supprimé), Matthew Bellamy s’exprime : « C’est une
expression de ce que ça fait de s’interroger. Je passe énormément de temps à
m’interroger sur le but, c’est un sentiment étrange car je n’ai pas vraiment
les réponses et je dois y répondre avec les connaissances que j’ai accumulées.
Cependant, cette connaissance peut rentrer en contradiction avec des
connaissances futures et donc être totalement en désaccord avec ce qu’on
disait ». Dans la chanson, on y parle mensonge et le fait de ne pas
exprimer ses sentiments : « Teach us to cheat, And to lie, and cover
up, what shouldn’t be shared ». On peut lire dans les paroles de Bellamy
un parallèle avec 1984, dans lequel les citoyens sont effacés et où les
mensonges sont monnaie-courante. Comme dans la chanson Resistance
qui suivra dix ans plus tard, certains passages font irrémédiablement penser au
livre : « Clean your body of me, Erase all the memories, they’ll only
bring us pain, And I’ve seen all I’ll ever need » qui nous rappelle la fin de
1984, quand Smith va perdre tout amour envers Julia.
Bien entendu, la référence
évidente vient avec le cinquième album du groupe The Resistance qui puise allègrement dans le livre. Matthew Bellamy y fait donc directement
référence dans Resistance « you’ll wake the thought
police », chanson d’amour qui rappelle évidement fortement l’histoire
entre Winston et Julia « is this our last embrace » « it could
be wrong, could be wrong, to let our hearts ignite ». Bellamy aime cette
idée d’acte politique qui s’exprime à travers l’amour, le « seul endroit
offrant une liberté vis-à-vis de Big Brother ». Comme 1984, The Resistance
contient une part importante à l’amour : Undisclosed Desires, Guiding
Light et I Belong to You complètent le tableau de l’histoire d’amour vécue par
Julia et Winston. L’amour est une forme de résistance pacifique. United States
of Eurasia voit aussi sa part de référence à 1984 où les guerres entre Eurasia
& cie ne cessent d’être manipulées de façon complètement insensée mais
tient plus du livre Le Grand Echiquer de Zbigniew Brzezinski qui
met en avant l’idée que les Etats-Unis doivent contrôler l’Eurasie pour
sécuriser l’approvisionnement en pétrole « United States United States of…
EURA –SIA – SIA –SIA ».
Lors de la tournée des salles
sobrement intitulée The Resistance Tour, Muse a commencé à
proposer un véritable spectacle avec un véritable travail sur la vidéo et la
mise en scène qui s’inspire encore une fois fortement de 1984 : trois tours
sont en place sur la scène et chaque membre du trio débute sur une des tours
pour ensuite s’en extirper et revenir à quelque chose de plus conventionnel.
Dominic Howard s’explique : « On pourrait voir la scène et le show
comme quelque chose de narratif : nous sommes piégés dans une sorte
d’institution et nous essayons de sortir de celle-là : nous sommes en
Resistance ». La tournée des stades a aussi eu son design « Orwellien » :
la scène prend le design d’une pyramide et possède sur le dessus une boule qui
rappelle le « All Seing Eye » de 1984.
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4.
| Le soulèvement avant la destruction
Bellamy en appelle donc à la révolution,
au soulèvement de la masse : que ce soit devant l’injustice de la vie (à
propos d’ Unnatural Selection, Matt Bellamy a déclaré : « C’est à
propos de la chance et comment beaucoup de chance a un très grand impact sur la
vie des gens, selon l’endroit où ils sont nés, dans quelle famille… Cette
chanson a été influencée par le livre Black Swan» qui raconte comment nous vivons :
comment des « gagnants » prennent tout et ne cessent de s’enrichir
alors que les perdants se contentent des restes ») et les classes
dirigeantes : on pense notamment à Uprising, chanson de protestation :
il faut se méfier des gens au pouvoir, du gouvernement et des banquiers qui
contrôlent nos esprits. Un contrôle d’esprit qui s’exprime aussi avec MK Ultra :
« cette chanson est à propos du lavage de cerveau et la manipulation
psychologique qui se passe dans le monde, notamment via les médias ». Le
projet MK Ultra est le nom de code d’un projet de la CIA qui cherchait à
utiliser des médicaments pour contrôler les esprits lors d’interrogatoires.
Il est donc impératif de se réveiller avant d’être confronté
à la destruction du monde à petit feux : le terme
« Exogenesis » désigne l’hypothèse que la vie vient de diverses
sources à travers l’univers et qu’elle serait arrivée via des comètes par
exemple, d’où le terme de « pollinisation croisée ». Bellamy décrit Exogenesis Part I comme une acceptation blasée de la fin évidente de la
civilisation et cherche des réponses à un nombre important de questions
existentielles : « Who are we ? Where are we ? When are
we ? Why are ? ». La deuxième partie Cross
Polination est un signe de désespoir d’envoyer des astronautes à travers
l’espace pour trouver et coloniser d’autres planètes « We know you can
never return ». Désespoir qui rentre en conflit avec l’espoir de toute
l’humanité : « Rise above the crowds/We Are Counting On
You/You must rescue us all ». Le triptyque se termine avec Redemption : il est l’heure d’amorcer un nouveau
cycle : « let’s start over again ».
Enfin, avec The 2nd
Law il est intéressant de noter que l’album pourrait être remanié et proposer
une histoire qui raconterait un monde sur le déclin (Unsustainable, Supremacy,
Panic Station, Animals/Survival) et la recherche d’un autre monde (Follow
Me/Explorers). Unsustainable décrit à travers les paroles d’une journaliste
(point de vue de l’information) la fin imminente et inéluctable du monde, Supremacy est une chanson parfaite en suivant : « Policies have risen
up and overcome the brave » « The time it has come to destroy your
supremacy ». Muse déchaine une hystérie collective et orchestrale en les
invitant à se soulever (à l’instar de Panic Station, Survival et Animals –
cette dernière étant plus portée sur les traders).
Malgré tout ce qu’on pourrait lire dans les paroles de Muse d’un
pessimisme profond, il serait vain de ne pas penser que le groupe britannique croit en l’Homme. Muse se positionne en reflet d’une société et de diverses peurs. Toute l’étrangeté de Muse se trouve là : malgré des paroles
sombres et complexes, leurs performances scéniques et leurs interviews
publiques ne reflètent pas cette noirceur. Muse arrive à prendre du recul par
rapport aux évènements, en témoigne magistralement Panic Station qui possède
des paroles pessimistes mais un clip et des prestations lives enjouées et
survoltées. Comme le dit très bien Matthew Bellamy dans une interview accordée
à Taratata il y a trois ans : « Oui, bien sûr que j’ai une idée [à
propos de tout ce que j’écris] mais mieux vaut que ça passe par l’album et la
musique. Le fait d’en parler prive la musique de sa force. »
Sources :
NME 11/2001, 09/2012
Hall or Nothin 09/2003
Rock Sound 07/01
Muse : The Making of Origin
of Symmetry
Muse Wiki
Absolution EPK
Muse, le nouveau souffle pop-rock
Couleur 3 07/2007
Uncut Interview
Taratata Oct/2012
Muse-France.fr
Merci à Eve, la plus belle des
traductrices pour son aide précieuse.