À l'heure où les rumeurs absurdes et infondées envoient les Wachowski à la réalisation d'une nouvelle trilogie Matrix, alors que ceux-ci sont déjà bien occupés à développer leur nouvelle pépite Jupiter Ascending, il est grand temps de se pencher le temps d'un édito' sur l'une des œuvres les plus importantes de tous les temps à mes yeux et de lui redonner les lettres de noblesse qu'elle mérite, malgré un fandom qui n'a de cesse de cracher sur ses deuxième et troisième épisodes.
Fondatrice, la cosmologie Matrix (qui englobe 3 films, plusieurs courts-métrages, plusieurs Jeux Vidéos et même quelques Bandes Dessinées) fait partie de ces actes artistiques qui ouvrent l'esprit, qui posent les bonnes questions et qui, sous couvert d'une action débridée et de slow-motion impeccable, interrogent directement le spectateur sur sa condition d'être humain, ainsi que sur son libre arbitre.
Et si Aldous Huxley semblait plus visionnaire encore qu'Andy & Lana Wachowski dans un texte qu'on lui attribue(rait à tort), les deux natifs de Chicago possèdent quelques longueurs d'avance sur leurs contemporains à Hollywood et dans la Pop-Culture, et seule une exégèse en bonne et due forme peut faire ressortir l'essence de Matrix, cet influx fabuleux d'une philosophie crue et désillusionnée au sein d'un film et d'une "licence" (un mot que rejettent avec virulence ses géniteurs) à grand spectacle.
Évidemment, un édito ne serait pas assez long pour offrir une étude complète sur ce chef-d'oeuvre qui a accompagné l'essor d'Internet et qui a participé à ses premiers émois de forumeurs, et plutôt que de vous narrer tout le génie de mise en scène qui se trouve dans la totalité de la saga, nous allons nous pencher le temps de quelques lignes sur la dichotomie de thèmes abordés et particulièrement sur l'un d'entre eux : l'aspect transhumaniste de l'œuvre.
Et puisqu'il constitue le segment primordial de Matrix à mes yeux, il faut revenir dans un premier temps sur le diptyque fondateur Seconde Renaissance, second court-métrage d'Animatrix, qui suit l'excellent Final Flight of the Osiris :
Dans ce petit bijou d'animation signé Mahiro Meada (Studio 4°C), un interprète des archives de Zion (le bien-nommé Instructeur) nous conte l'histoire de la guerre des machines, qui opposa les humains à leur création le temps d'une guerre dramatique et semblable à ce que pourrait être la fantasmée (sic) 3ème Guerre Mondiale, où les Bombes A pleuvent comme des caisses de ration.
Et plus que les affrontements dantesques qui vont opposer les hommes à leurs erreurs dans un décorum dramatique, difficile et désespéré, c'est bien l'origine de cette guerre qui pose question.
Animatrix a été développé au début des années 2000, à l'époque où Google ne faisait pas encore rouler de voitures autonomes en Californie, où la compagnie d'Eric Schmidt ne possédait pas l'ADN des gens contre rémunération et où ses ambitions d'Intelligence Artificielle omnisciente semblaient bien moins criantes. Pourtant, à l'image de l'action du moteur de recherche devenu plus puissant qu'un état aujourd'hui, toutes les évolutions (parfois troublantes de ressemblance) apparues dans l'univers de Matrix ont été conçues pour le bien commun. "And for a time it was good."
Ce que veulent dire les Wachowski au travers de cette représentation post-apocalyptique et violente d'un scénario pourtant pas si éloigné de nous (et qui prendrait une forme bien plus pernicieuse et inoffensive s'il venait à se répandre d'avantage dans notre société), c'est que "jouer à dieu" en créant une IA "parfaite" et "à notre image" est on-ne-peut-plus antinomique. Que c'est à force de gommer les imperfections inhérentes à la nature humaine que l'homme court à sa perte. L'humanocentrisme est l'anomalie d'une société qui ne vit plus que pour elle, en vase clos, et c'est ce culte de l'homme au centre de tout qui se transforme empiriquement en tapis roulant vers la catastrophe, dans un monde qui ne sait plus lever les yeux et raisonner, trop contraint par les artifices qui l'entoure.
Et c'est précisément de cette façon que les Wachowski réussissent un tour de force presque inégalé (à l'exception du très accusateur Fight Club de David Fincher, sorti 6 mois plus tard presque jour pour jour), en réalisant un film à gros budget, à grand spectacle et financé par une industrie responsable en partie de cette accumulation d'artifices. Parce que ce que rappelle Matrix, comme un hommage aux grands auteurs de Science-Fiction du 20ème dont il est l'héritier, c'est que l'art est vecteur de messages, de grandes réflexions et parfois de sonnette d'alarme.
Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire autour de Matrix, que je n'ai fait qu'effleurer aujourd'hui, et je vous invite à venir m'en parler sur un festival, ou sur Twitter, pour prolonger le débat transhumaniste quelques temps encore et sûrement, au détour d'une phrase, évoquer le génie d'Alain Damasio face à cette question.