Quand nous avons créé SyFantasy.fr, nous avons dû réfléchir aux différents médias que nous allions aborder, quels arts seraient susceptibles de diffuser les cultures de l'imaginaire. Forcément, il a fallu faire quelques coupes sèches, certaines qui brisent le cœur. La musique, par exemple. Pourtant, elle n'est pas en reste pour diffuser des idées de mondes incroyables sortis de l'imagination débordante d'artistes qui travaillent le son plus que l'image. Ce n'est pas nouveau pourtant, les symphonies d'Antonin Dvorák sont des œuvres de fantasy avant l'heure, de grandes sagas épiques et un tantinet pompières.
Ce n'est pas pour rien d'ailleurs que j'utilise cet exemple, puisqu'il est aussi l'un des premiers a avoir composé ce que l'on pourrait anachroniquement appeler de la musique pop. Il a en effet, comme Béla Bartók ou Maurice Ravel, allégrement puisé dans le folklore, soit la musique populaire, pour composer des œuvres très éloignées des symphonies de cours qui tombaient alors en désuétude. Sa célèbre Symphonie du Nouveau Monde est par exemple une réinterprétation des musiques folkloriques américaines. Ainsi, une musique plus populaire permet d'aborder des thèmes profanes, loin des codes établis jusque là.
Vient alors le XXème siècle où tout va s'accélérer à une vitesse exponentielle. En 1954, la musique pop prend le pouvoir quand Elvis Presley fait ses premiers déhanchés sur scène. Le rock est né et forcément les Anglais vont trouver ce nouveau moyen d'expression parfaitement adapté pour raconter tout ce qui passe par leur tête. Bien sûr, dans le lot, on compte de nombreuses amourettes déçues, des rages adolescentes et des histoires de sous-marins jaunes. Mais au tournant des années 70, des musiciens inspirés (ce qu'ils inspirent est alors une autre histoire) se trouvent un terrain de jeu adéquat avec leurs lectures. J.R.R. Tolkien est alors en train d'exploser après la publication du Seigneur des Anneaux en livre de poche dans les années 60 et inspire de très nombreux groupes.
Ainsi, pendant que Syd Barrett emmène Pink Floyd sur le chemin halluciné de sa folie jusqu'aux Portes de l'Aube, Jimmy Page, gratteux qui a déjà collaboré avec tout le gratin du rock londonien (le mec a quand même pris la suite d'Eric Clapton et Jeff Beck dans le groupe Yardbirds) de l'époque découvre un chanteur, Robert Plant, qui sera à même de déclamer avec vigueur des textes qui pour le moment seront assez conformes au reste de la production de cette British Invasion. Parce que bon, Baby I'm Gonna Leave You, aussi stellaire qu'elle soit n'est finalement qu'une énième déclinaison de l'histoire d'amour. Il faudra attendre Led Zeppelin III pour découvrir nettement les influences des livres de chevets des deux paroliers du Zepp'.
Entre fantasy et recherche sur l'occultisme dont la figure de proue Aleister Crowley influence alors toute cette scène (Sympathy for the Devil des Rolling Stones est par exemple complétement inspirée par cette figure ambigüe). L'ouverture de leur troisième album donne le ton, Immigrant Song est la chanson viking par excellence et ouvre les hostilités et s'ensuit alors une exploration d'un folklore qu'a ravivé Tolkien. À l'écoute du morceau Bron-Y-Aur Stomp, difficile de ne pas imaginer des Hobbits gambadants tout autour du groupe qui s'essaie à l'acoustique le temps d'une pause éthérée.
Dès l'album suivant, sans doute le plus connu grâce à Stairway to Heaven, la fantasy s'est clairement affranchie de son support littéraire et s'invite du côté d'un art de l'éphémère. Battle of Evermore fait carrément référence aux événements du Retour du Roi avec des clins d'œils à Frodon et Galadriel. Encore plus évidente, la référence de Misty Mountain Hop, qui rappelle les Monts Brumeux où se trouve la Moria. Partis de là, les quatre joyeux lurons qui ne lésinent plus sur les références occultes et mystiques, en témoigne les symboles qui se sont choisis, vont créer une œuvre qui n'a rien à envier aux séries de bouquins de Tolkien et consorts. De Houses of the Holy à Coda, sans négliger l'imposant Physical Graffiti, ils vont émailler leurs albums de morceaux qui empruntent à l'imaginaire de la fantasy développant leurs propres concepts à mesure qu'ils vont s'éloigner de ceux de leur illustre inspirateur.
Ils ne seront pas les seuls à emprunter un univers parsemé d'Elfes et de dragons, et certainement pas les derniers. Certains vont même en faire leur beurre et nombreux seront les groupes de métal à s'approprier plus ou moins avec talent ce genre particulier. D'ailleurs, la fantasy va sauter les genres musicaux en s'hybridant au contact de nouvelles cultures. Ainsi, le Staten Island recréé par le Wu-Tang Clan emprunte tout autant aux films de kung-fu (qui n'est ni plus ni moins que de la fantasy asiatique) qu'au système de clans tribaux. Retour encore dans les seventies, rappelons aussi le cas de Hawkwind, premier groupe où Lemmy Kilmister a officié à la basse, qui n'hésitait pas à faire du space opera en musique et était bourré de références aux œuvres de fantasy. Bon, après Lemmy s'est barré parce qu'ils ont un désaccord sur les drogues à utiliser (Motörhead est un mot d'argot qui désigne un accroc aux amphét'). Quand le quotidien rattrape l'imaginaire.
Bonus-Track : On vous laisse avec nos copains de 2 Guys 1 TV, qui vous parlent très bien des liens entre Metal et Fantasy, ci-dessous (dans la seconde partie de l'émission) :