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Celui qui écrivait dans les ténèbres : Howard P. Lovecraft illustré autrement

Par Arno Kikoo
25 février 2018
Celui qui écrivait dans les ténèbres : Howard P. Lovecraft illustré autrement

Figure incroyable du fantastique dont l'imaginaire transpire désormais dans de nombreuses œuvres de pop culture, l'écrivain Howard P. Lovecraft est un personnage aussi mythique dans ses écrits que par sa figure, à moitié fantasmée par beaucoup. On décrit, comme dans l'essai de Michel Houellebecq, un être froid, replié sur lui-même, misanthrope, raciste, et dans le refus de la modernité. Des traits de caractère que l'on peut percevoir dans ses œuvres, bien que personnellement, c'est sa plongée dans nos peurs les plus primaires et leur illustration qui m'a toujours fascinée. Mais les écrits reflètent toujours la personnalité de celui qui les couche.

Fasciné par l'oeuvre, mais sans connaître tant de choses de l'écrivain, m'est venu la question de ce que je connaissais vraiment de Lovecraft. Que connaissons-nous de lui en dehors de ce qui a été communément rapporté ? C'est une question à laquelle Alex Nikolavitch, scénariste, traducteur et essayiste spécialisé dans la bande-dessinée américaine, essaye de répondre, dans une bande-dessinée tout à fait intrigante. H.P. Lovecraft : celui qui écrivait dans les ténèbres. Un essai illustré qui présente l'auteur sous un jour plus humain qu'à l'habitude. N'en déplaise aux adorateurs de Cthulhu.

Un auteur bien moins esseulé que le veut le mythe

Celui qui écrivait dans les Ténèbres (en référence à Celui qui Hantait les Ténèbres, les initiés l'auront reconnu), cette biographie partielle se concentre sur les années pendant lesquelles Lovecraft s'est évertué à devenir l'écrivain que nous connaissons aujourd'hui. La période va de 1925 à sa mort, en 1937. Et l'on abordera le point le plus frappant en premier lieu : bien loin d'une image de solitude, l'ouvrage d'Alex Nikolavitch nous montre un auteur au contact de l'humain tout du long durant.


Qu'il se lie d'amitié avec le magicien Harry Houdini, ou par des multiples correspondances écrites qu'il entretient, par exemple avec Robert E. Howard (le créateur de Conan le Barbare), ou avec d'illustres inconnus, Lovecraft passe énormément de temps à écrire à d'autres, en dehors de ses travaux de fiction. Point intéressant, pour en avoir discuté avec l'auteur, c'est qu'Alex Nikolavitch a pu avoir accès a ces fameuses lettres, et se porte donc témoin de ces correspondances qui ne sont pas fabulées. On imagine à peine le travail de lecture accompli, et les choix à garder dans l'ouvrage.

Dans Celui qui écrivait dans les Ténèbres, on découvre donc Lovecraft sous un jour méconnu, l'auteur disséminant quelques anecdotes au détour d'une page, comme l'amour de l'écrivain pour les glaces. Un détail, certes, mais d'importance pour donner une certaine humanité au personnage. A côté, des facettes plus excentriques, voire plus sombres sont également mentionnées, dressant le portrait d'un homme fascinant. Son dégoût de la modernité, son racisme sont aussi illustrés. Et d'ailleurs mis en contradiction avec les fréquentations de l'écrivain. L'ouvrage ne s'y attarde pas trop, parce que le sujet est déjà beaucoup abordé. Et qu'il y a d'autres aspects à présenter. 

Dans les racines du mythe de Cthulhu

Si l'on a vu le rapport de Lovecraft à ses contemporains, quid du rapport à ses écrits ? Les références à l'oeuvre de l'écrivain sont nombreuses. On apprend par exemple d'où lui est venue l'idée du nom d'Abdul Al-Hazred, célèbre écrivain du maudit Necronomicon. Et comment les inspirations de ses plus fameux écrits sont nés, parfois, de moments anodins. D'une rencontre, d'un séjour chez l'habitant, l'auteur mêle son réel à l'imaginaire qu'il couche sur papier, et qui s'illustre sous nos yeux par le dessin réalisé à six mains, celles de Gervasio, Carlos Aonet Lara Lee.


Aux côtés de scènes d'un quotidien qui fut celui de Lovecraft, viennent s'immiscer des visions de folie, des créatures qui peuplent l'imaginaire de l'écrivain, entre créatures tentaculaires et cités maudites et oubliées. Une dimension fantastique rendue sur les pages d'un style qui, à défaut d'être le plus détaillé, reste dans les cordes des représentations que l'on peut se faire dans l'imagerie du mythe de Cthulhu. On resterait sur notre faim si le but était d'adapter sensu stricto les écrits de Lovecraft. Ce n'est pas le cas, et l'ensemble est donc satisfaisant, d'autant plus que du côté humain, les personnes dépeintes sont expressives et vont de façon assez juste avec les mots que Nikolavitch leur fait prononcer.

Douce-amère, la lecture nous emmène donc auprès d'une personne que l'on pense connaître, qu'on découvre sous un jour assez nouveau (de ma propre expérience, du moins), et qu'on quitte dans les ténèbres, celles-là même dans lesquelles il écrivait. Un rapport à l'humain derrière le mythe, que vous pourrez retrouver pour une vingtaine d'euros si l'expérience vous tente.

Celui qui écrivait dans les ténèbres : Howard P. Lovecraft illustré autrement