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Édito #45 : Guillermo Del Toro ou l'art de (se) réaliser

Par Republ33k
11 mai 2015
Édito #45 : Guillermo Del Toro ou l'art de (se) réaliser

Maquilleur et concepteur d'effets spéciaux, Guillermo Del Toro passe pour la première fois derrière la caméra en 1985, alors qu'il n'a que 21 ans. En ayant fait ses premiers pas dans le cinéma horrifique avec Cronos et Mimic, respectivement sortis en 1993 et 1997, le réalisateur a déjà acquis une solide réputation lorsqu'il s'attaque, en 2001, à un projet très personnel, The Devil's Backbone, film d'horreur sur fond de guerre civile espagnole : une recette qui le couronnera de succès pour Pan's Labyrinth, cinq ans plus tard. Dorénavant considéré comme l'un des rois de la culture geek, poste qu'il peut défendre grâce au récent Pacific Rim mais aussi aux deux Hellboy, Guillermo Del Toro est assurément l'un des réalisateurs les plus passionnants de sa génération. Mais il a déjà le regard posé sur les générations suivantes, comme il l'a expliqué il y a quelques années de cela pour accompagner la sortie de son livre, Cabinet of Curiosities.

Des propos qu'il fait bon rapporter en 2015, à l'heure où beaucoup s'interrogent sur l'avenir de la culture populaire sur grand écran. Voici donc les cinq commandements de l'ami Guillermo.

L'histoire doit vraiment vous ressembler

C'est un peu l'évidence même. Mais de nos jours, et surtout à Hollywood, un réalisateur ou un scénariste, voire un réalisateur/scénariste, aura bien du mal à imposer sa vision des choses. A défaut, il peut écrire ou diriger un projet qui lui ressemble. Pour compenser, en somme, mais pas seulement. Il s'agit aussi de donner naissance à une histoire unique, même au sein d'une licence ou d'un matériau original déjà existant.

Guillermo Del Toro explique par exemple que les films Hellboy sont hautement autobiographiques pour lui. Une réflexion personnelle peut donc subsister dans une adaptation comme dans une création originale. Il s'agit de ne pas oublier d'où l'on vient, dans l'espoir de toucher les gens, de leur parler. Pensez en chèques et en gloire, et votre histoire sera sans doute moins intéressante.

Apprendre du passé, et y ajouter une patte

Il n'est pas le premier réalisateur à le dire - un certain George Lucas expliquait par exemple que l'art n'est pas de créer mais de recréer - Guillermo Del Toro nous met en garde contre l'envie d'écrire ou de réaliser quelque chose d'unique. Tout a déjà été fait. Encore une fois, le conseil est assez évident, mais on peut lui trouver au moins deux significations différentes. Certes, la première est à destination des artistes : il s'agit de réinventer, pas de créer ex-nihilo. Mais la seconde pourrait être utilisée à l'encontre d'une génération de détracteurs cinéphiles. L'originalité est une denrée rare qu'il convient de jauger.

En revanche, on peut plus facilement juger un film à sa patte, son twist, comme le dit en anglais le réalisateur. Il prend d'ailleurs l'exemple du Seigneur des Anneaux et de Peter Jackson pour expliquer comment ces films furent influencés par la passion du néo-zélandais pour les drames historiques. C'est la sauce à laquelle il cuisine son adaptation des écrits de Tolkien. Et il nous faut apprendre, en tant que spectateurs, à repérer et à étudier ce fameux twist, cette patte, surtout à l'heure où de nombreux studios, via la nouvelle dynamique à la mode - l'univers partagé - risquent de niveler les singularités par le bas.
 

Vous êtes meilleurs en étant vous-même

Troisième commandement, et troisième phrase semblant sortir d'un magazine pour combattre la dépression. Mais mine de rien, le conseil est plutôt excellent. Guillermo Del Toro explique, en guise d'exemple, qu'il est un spécialiste d'Hitchcock. Il l'a étudié, il a donné des conférences sur l'homme, il connaît les moindres détails de sa filmographie, et pourtant, il est incapable de reproduire ce qui fait l'essence de son œuvre. Et ceux d'entre-vous qui réalisent des fan fics, des dessins, des scénarios et toutes autres créations le savent très bien : nous avons tous nos influences, nos artistes favoris, mais nous sommes meilleurs, plus talentueux, lorsque nous choisissons d'être nous-mêmes.

 

Personnellement, je trouve ce conseil très sage, surtout si on le rapporte au cinéma de divertissement, qui ne cesse de rendre hommage ou de référencer. Non pas que l'idée soit mauvaise, mais simplement, elle bride le talent des créatifs impliqués et offre aux sceptiques la parfaite occasion de comparer l'original aux copies. Et dans un Hollywood bourré de licences, je préférerai encore détester la vision d'un artiste sur l'un de mes univers favoris que de le voir se plier au style de ses prédécesseurs. 

Travailler, beaucoup

Conseil simple au milieu d'évidences, le travail est le point d'orgue de la réalisation, selon Guillermo Del Toro. Mais il ne suffit pas de travailler, il faut travailler régulièrement, d'après le créateur de Pacific Rim. Lui explique qu'il écrivait deux heures par jour avant de partir au travail, à l'époque où il rêvait de réaliser son premier film. A n'en pas douter, ce commandement est le plus limpide mais aussi le plus important parmi les conseils donnés par Guillermo Del Toro. Comme je le disais précédemment, si vous êtes un créatif, vous connaissez ce phénomène : travailler sur un projet de temps à autre, quand on dispose de la sacro-sainte inspiration.

 

Finalement, cette méthode ne semble pas payer. C'est en tous cas mon avis, mais également celui du metteur en scène mexicain, qui voit dans la régularité les vrais bienfaits du travail. Je ne pouvais être plus d'accord : quitte à ce qu'il y ait des projets ratés ou avortés sur la route - et Del Toro en a plein - votre course créative sera toujours plus riche en étant soutenue. Et pour ramener ce conseil à ce qui nous intéresse, le cinéma de divertissement, on a récemment pu voir que même les travaux les plus fous peuvent donner lieu à un projet. C'est ce que nous a appris Neil Blomkamp en bossant seul de son coin sur un prétendu Alien 5... Qui est désormais réalité.

Ne craignez pas la vente, craignez qu'on vous achète

Enfin, un conseil qui nécessite de vraies explications. Ici, et c'est encore plus vrai quelques années plus tard, Guillermo del Toro fait référence à l'industrie du cinéma, mais aussi à nos sociétés en général : il s'agit de communiquer, de vendre. Mais pour le réalisateur, le danger n'est pas là. Il se trouve dans l'achat, ou plutôt, dans le fait d'être acheté. Del Toro se prend lui-même en exemple, expliquant que s'il a refusé plusieurs projets avec Marvel Studios c'est parce qu'il est persuadé que ceux-ci pourraient l'abattre. Non pas physiquement, mais créativement. Il avait peur d'être happé par le confort offert par de tels travaux - qu'on appelle vulgairement des projets de commandes - au point où il n'aurait plus jamais lutté pour créer quelque chose comme Pan's Labyrinth.

Il va d'ailleurs plus loin dans l'explication en affirmant qu'un Oscar ou toute autre distinction puissante peut vous acheter, vous menez dans une spirale qui vous transforme, jusqu'à ce que vous ne puissiez plus, ou ne sachiez plus, créer. Or c'est bien cet acte, d'après Guillermo Del Toro, qui rend heureux. On ne peut que confirmer, mais sur ce point précisément, on remarquera tout de même que quelques exceptions subsistent. Je pense notamment à un exemple loin des univers de l'imaginaire, Sam Mendes sur la licence James Bond. Le réalisateur crée-t-il moins en s'attaquant à l'espion, ou au contraire, crée-t-il plus en dépoussiérant une licence avec le savoir et la talent d'un cinéaste indépendant ? Mystère.

Une chose est sûre, les réalisateurs aussi doués que Guillermo Del Toro sont aussi passionnants à regarder, via leurs films, qu'à écouter, dans leurs interviews. Il y a beaucoup à apprendre des mots du metteur en scène mexicain, qu'on soit cinéphile, membre de l'industrie du cinéma, critique ou simple curieux. A n'en pas douter, comme tous les grands courants de philosophie permettent de répondre aux sujets qui nous entourent, les grands réalisateurs nous permettent de comprendre le Septième Art et ses enjeux.