Pour clore le chapitre et témoigner une dernière fois de notre amour pour Mad Max : Fury Road, nous vous proposons de revenir sur l'impressionnant tournage conduit par George Miller et ses équipes, qui en plus d'avoir battu bien des records, deviendra sans doute un cas d'école, ou du moins, une source inépuisable d'anecdotes pour tous les cinéphiles.
A noter : cet édito repose sur une conférence de l'Australian Cinematographers Society, conduite par les directeurs de la photographie John Seale (équipe principale) et David Burr (équipe secondaire).
La vision, les théories
Vous le savez, comme tout bon film, Mad Max : Fury Road naît d'une vision. En l'occurrence, et comme on le rappelait dans notre dernier podcast, George Miller a dans la tête un quatrième Mad Max depuis la fin des années 90. Autant vous dire qu'il a eu le temps de réfléchir au projet et à sa mise en scène. Et comme le révèle le directeur de la photographie, John Seale, l'idée de George Miller, au-delà du story-board en guise d'unique support pour le tournage, était de filmer Fury Road d'une seule et unique caméra : autant pour économiser du temps et de la place sur un tournage en plein désert que pour donner une orientation créative au métrage. Mais comme vous pouvez l'imaginer, une telle vision se confronte très vite à la viabilité du projet, et empêche de capturer, pour ne citer qu'un exemple, une scène sous plusieurs angles.
Heureusement pour nous, John Seale finit par convaincre George Miller d'opter pour un tournage multi-caméras, jusqu'à ce que, d'ailleurs, le métrage soit tourné avec des dizaines d'appareils différents, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Mais le directeur de la photographie explique que Miller était, en plein tournage, parfois enfermé dans sa vision, en dirigeant notamment plusieurs caméras sur des angles très similaires, ce qui n'a, techniquement, aucune utilité. Finalement, Fury Road, sous l'impulsion de son directeur de la photographie, opta progressivement pour l'utilisation simultanée de caméras très différentes, pointant la scène sous des angles variés, ce qui facilita grandement le travail des monteurs, qui purent mettre en images les ambitions de George Miller.
Car si le réalisateur eut du mal à quitter son idée d'un tournage mono-caméra, il eu très vite l'envie de mettre en scène le mouvement de ses personnages, qu'ils soient faits de chair ou de fer, d'une manière unique. Partant d'une anecdote - le changement rapide de la luminosité dans le désert - John Seale explique ainsi que le réalisateur avait déjà une idée très précise du rendu final. En cas de conflit sur la lumière, par exemple, George Miller tranchait en expliquant que si le spectateur avait le temps de faire attention à ces détails, les plans n'étaient pas bons : le réalisateur ne voulait donner au spectateur qu'une unique information, celle qui permet de comprendre l'action, et rien de plus.
Une armada technique
Ce qui nous mène à un point plus technique : comment transformer cette idée en véritable direction pour la mise en scène ? Ici, les deux directeurs de la photographie expliquent qu'il fallait, contrairement à ce que l'on pourrait penser, s'éloigner de la triste tradition de la shaky cam et de l'héritage de Paul Greengrass sur la trilogie Bourne. Pour rendre la quintessence du mouvement, le tournage devait opter pour des caméras aussi stables et précises que possible. La production se mit alors en quête de différents boîtiers, objectifs et autres opérateurs, qui auraient pour mission de donner vie à la vision de George Miller : plusieurs solutions furent envisagées, jusqu'à ce que la production s'arrête sur trois types de dispositifs.
Le premier, un duo d'Edge Arm (ci-dessus), un dérivé du Russian Arm, un dispositif permettant de stabiliser la caméra tout en offrant les atouts d'une grue pour la mise en scène. Montées sur des gros 4x4, ces caméras sont extrêmement mobiles, tout en maintenant un niveau de précision et de qualité optimums - le caméraman opère en effet l'appareil, né d'une technologie militaire, d'un simple joystick. Très chers, on parle généralement d'un million de dollars pour un véhicule pareillement affrété, ces dispositifs ne sont toutefois pas spécifiques à Fury Road, contrairement aux suivants, deux buggies construits pour les besoins du tournage (voir ci-dessous).
Ces véhicules pouvaient se faufiler et passer inaperçus aux milieu des cohortes de guerre d'Immortan Joe, et disposent d'une caméra dernier cri devant leur nez. Deux véhicules trop minces pour incorporer les outils de gestion et d'enregistrement de la caméra, qui étaient gérés à distance, dans un van qui pouvant travailler jusqu'à six kilomètres du convoi. Enfin, le tournage a poussé les équipes à redoubler d'inventivité dans l'utilisation des fameux Canon 5D, pas plus gros que des appareils photos, mais qui étaient trop fragiles pour survivre à la terrible course de Fury Road. Les pauvres 5D finissaient brisés dans le désert, ou vierges de toute mémoire à cause de secousses provoquées par les véhicules. Les équipes mirent alors au point un système D de fixation, qui servit finalement à d'autres caméras, à base de barres métalliques, de câbles et d'outils de fixation.
Et si vous pensez que le système était déjà bien lourd, imaginez un peu que George Miller voulait d'abord filmer son film avec des caméra 3D, gourmandes en place comme en énergie. Seulement, pour les besoins de Fury Road, le réalisateur voulait les avantages de ces appareils sans les inconvénients, et laissa ainsi ses équipes travailler sur la création d'une caméra 3D qui ne demanderait pas de changements d'objectifs ou de lentilles. Un calvaire qui pris fin un lundi matin, en plein repérage, durant lequel George Miller annonça que le film se tournerait finalement en 2D, avant une conversion en post-production.
Du chaos naît l'harmonie
Le réalisateur, comme le révèlent les deux directeurs de la photographie, a d'ailleurs fait preuve d'une confiance totale envers la post-production pour son film, 17 ans après son dernier métrage en prise de vues réelles. John Seale dévoile même une forme de fascination du réalisateur pour les outils de la post-production, la phrase "we'll fix that in post" / "on réglera ça en post-prod' " étant devenue un running gag dans la bouche du sympathique réalisateur. George Miller a ainsi, en partie, improvisé la direction artistique de Fury Road sur le tournage.
Il était donc dans le vrai, il y a quelques semaines, lorsqu'il déclara que l'apocalypse n'empêchait pas les gens de créer de belles choses : il a lui-même donné la pratique à sa théorie durant le tournage de Fury Road. Dans un premier temps filmé sans scénario - seul George Miller et les artistes impliqués sur la création visuelle de cet opus connaissaient son histoire - ce Mad Max fut incontestablement tourné dans une forme de flou, qui obligea tous les artistes et artisans impliqués à improviser. De ce joyeux chaos est pourtant né un bijou, qui s'inventait, voire se réinventait, au fil de son tournage. On doit par exemple la désaturation extrême des couleurs aux jeunes responsables des effets spéciaux, qui auraient eu l'aval de George Miller pour s'amuser, avant de charmer le cœur du réalisateur avec un pareil traitement, qui n'avait pourtant jamais été au programme.
Quand la forme et le fond ne font plus qu'un, et dans le cas présent, lorsque les difficultés de réalisation font à ce point écho à l'un des messages de l'œuvre, on reconnaît de la grandeur. Incontestablement, George Miller et ses équipes ont donné naissance à un métrage historique, qui pourrait longtemps rester dans les mémoires, ne serait-ce que pour la démesure et le désordre de son tournage. Une chose est sûre, au milieu de ce fascinant chaos, le grain de folie ultime est et restera George Miller, dont l'inventivité et la prise de risques méritaient encore une fois d'être saluées.
George Miller sur le tournage de Mad Max premier du nom.