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Édito #64 : 30 ans après, ce que Retour Vers le Futur nous apprend sur l'écriture

Par Republ33k
26 octobre 2015
Édito #64 : 30 ans après, ce que Retour Vers le Futur nous apprend sur l'écriture

La semaine dernière, l'actualité malgré le trailer d'un petit film à venir en cette fin d'année, l'actualité a été trustée par le Back to the Future Day, qui a inspiré à internet nombre de papiers, très largement passionnés par l'avenir décrit par le second opus de la saga de Robert Zemeckis et Bob Gale. Et si nous regrettons toujours l'absence d'hoverboards dans notre quotidien, les inventions des deux lurons, qu'elles soient devenues ou non réalité, n'étaient peut-être pas tout ce qu'il fallait retenir du 21 octobre 2015. Après tout, il y a presque trente ans maintenant, sortait en France un certain Retour Vers le Futur, qui allait non seulement faire rêver plusieurs générations de fans, mais aussi des wagons entiers de scénaristes en devenir.

Car s'il y a bien une chose à retenir de la saga Retour Vers le Futur, c'est bien son écriture, et au milieu de l'océan d'articles sur le futur traversé par le Doc et Marty, c'est peut-être ce que j'avais le plus envie de célébrer après avoir revu la trilogie de Robert Zemeckis. C'est d'ailleurs un aspect essentiel des trois Retour Vers le Futur, sur lequel revient assez bien le documentaire Back in Time, dorénavant disponible sur Netflix, pour les curieux. Le reportage et ses différents intervenants, dont Dan Harmon, le créateur de Rick and Morty, sont en effet tous d'accord pour saluer l'excellence du scénario co-écrit par Bob Gale et Zemeckis. Un diamant pur, qui avait laissé sa place à un autre plus vert, avant que le film n'arrive sur nos écrans. Connu pour ses liens privilégiés avec Steven Spielberg, Robert Zemeckis avait voulu se séparer de son producteur et mentor avant d'attaquer Retour Vers le Futur. Et un passage par la case A la poursuite du Diamant Vert - le carton et l'expérience dont Zemeckis avait sans doute besoin - plus tard, le réalisateur finit par revenir dans les bras de Spielberg avec un scénario plus poli que jamais.

La suite vous la connaissez. Spielberg avoue d'ailleurs avoir été aussi diverti par la lecture du scénario que par le film lui-même. Et si vous avez déjà pu poser vos yeux sur un tel document, vous savez que c'est loin d'être chose facile. Seulement, comme je ne le cesse de le répéter, le scénario de Retour Vers le Futur est d'une qualité exceptionnelle. Au point qu'il deviendra par la suite une référence pour tous les scénaristes, académistes et théoriciens du cinéma hollywoodien. Et lorsqu'on est pris dans une aventure de voyages temporels avec deux protagonistes hauts en couleurs, difficile de noter l'écriture du film, je vous l'accorde. Mais en se penchant  réellement sur les mécaniques du film - ce que fait tout cinéphile passée une certaine expérience - on entr'aperçoit la richesse de Retour Vers le Futur. Dès les premières minutes, on comprend par exemple que le clocher de l'hôtel de ville va avoir une importance capitale pour l'intrigue. Et son rôle dans le scénario est d'ailleurs parfaitement construit en trois temps : sa restauration en 1985, qui vient couper les amourettes de McFly, la date de sa destruction en 1955, dont va se souvenir Marty pour faire avancer l'intrigue et enfin repartir dans le présent, grâce à la foudre qui le frappe. Et ce n'est là qu'un des nombreux exemples des strates parfaitement couchées sur le papier par Gale et Zemeckis.

On pourrait en trouver bien d'autres, et c'est d'ailleurs ce que font les apprentis scénaristes pour s'inspirer d'un grand film. Il faut dire que, tous à leur manière, les différents ressorts scénaristiques servent le récit, son humour, ses rebondissements et  les émotions qu'il entend générer, plus globalement. En ce sens, Retour Vers le Futur est le parfait avatar de l'utilisation de la plus célèbre des techniques de narration hollywoodiennes : le setup/payoff (promesse/récompense, si on veut la traduire) sublimée par 116 minutes de pellicule. Rien n'est écrit ou prononcé au hasard, toute réplique, tout indication dans le décor ou les costumes à une valeur narrative certaine, peut-être invisible pour le grand public, et qui pourtant, donne toute sa cohérence et sa saveur à Retour Vers le Futur. Après tout, c'est peut-être ce qui définit un film culte, d'ailleurs, bien mieux que son emprunte sur plusieurs génération ou son fandom. Cette capacité à utiliser les règles d'écritures les plus simplistes pour atteindre une universalité qui force le respect. Et quand on traite de voyages temporels, rien n'est moins simple à accomplir.

Dans son apparente simplicité, le film parvient ainsi à gérer les paradoxes temporels - dans une explication qui sert aujourd'hui de référence au genre - deux personnages complètement loufoques et l'histoire d'amour la plus improbable et la plus dérangeante qui soit. C'est peu dire ! Et pourtant, rien n'était acquis en premier lieu ! Ne serait-ce que pour son contenu, le scénario avait toutes les chances de se planter. Disney avait d'ailleurs refusé le projet lorsqu'il lui fut présenté, à cause de la relation unissant Marty à sa mère et le Doc. Trop de matériau tendancieux pour la maison des idées, qui possède maintenant la saga Star Wars. Blague à part, c'est un autre aspect de la qualité du scénario de Retour Vers le Futur qui transparait ici : sa capacité à surfer sur des thèmes franchement glauques sans (trop) mettre mal à l'aise le spectateur.

Maintenant, en témoigne l'arrivée d'un certain Michael J.Fox au beau milieu du tournage, l'écriture ne fait pas tout. Retour Vers le Futur avait failli en faire les frais en tournant la moitié de ses scènes avec Eric Stoltz dans le rôle de Marty McFly. Un remplacement d'autant plus salutaire que le personnage n'a pas, selon Dan Harmon, d'arc narratif particulier : aucun but précis, aucune motivation, mais un charisme à froid des plus efficaces. A croire que le plus habile des écrits n'est rien sans les interprètes adaptés pour se l'approprier. Mais quelque part, cette anecdote, bien connue des fans de Retour Vers le Futur, témoigne de la fragile puissance de l'écriture, sur laquelle les cinéphiles, amateurs comme confirmés, peuvent encore méditer, trente ans après la naissance d'un classique.

"It defines what the taste of butter pop corn is"
"(Le film) définit ce qu'est le goût du bon pop corn"

 - Steven Spielberg