Bonjour Marguerite, merci d’avoir accepté cette interview ! Au programme, nous allons notamment parler de ton roman Les Flibustiers de la Mer Chimique, édité chez Albin Michel Imaginaire et ayant remporté le Le Grand Prix de l’Imaginaire ! Mais aussi de ton rapport à l’apocalypse (rien que ça !).
Rappelons quand même à nos chers lecteurs ton parcours de vie marqué par le soleil des Caraïbes, où tu as vécu de nombreuses années, mais aussi des voyages à travers le monde (notamment le Japon)qui ont durablement dû te marquer. Est-ce que cette somme de voyage et de lieux de vie dépaysant est ce qui t’as donné l’envie d’écrire ?
M.I : J’ai l’impression d’avoir toujours eu envie d’écrire, avant même d’avoir pris conscience d’être quelqu’un qui voyage. Je pense que ça vient davantage d’un désir de contrôle que de reportage. Je n’ai jamais écrit sur mes voyages, sauf pour faire rire mon entourage. Mais il serait stupide de nier toute influence. Tout est matière à écrire, et toute expérience de vie contribue à alimenter l’écriture. Le changement, l’instabilité, mais aussi l’ennui, l’immobilité ou l’enfermement. Je dirais que ce qui motive l’écriture, souvent, c’est la force du contraste entre l’intérieur et l’extérieur. Se sentir triste dans un paysage idyllique, par exemple, ou rêver d’espace quand on est confiné.
Quand on parle de cadre de vie atypique, le lieu où se déroule l’action des Flibustiers de la Mer Chimique est quand même la ville de Rome. Pourquoi ce choix de lieu ? Pourquoi poser ton cadre dans une ville pareille ? Est-ce lié à l’actualité entourant cet endroit devenu dépotoir à ciel ouvert durant les canicules de l’année dernière, ou même son faible engagement écologique ?
M.I : Je n’aurais pas eu de mots aussi durs pour Rome, que je trouve toujours d’une beauté émouvante. J’ai choisi cette ville parce qu’elle est un palimpseste d’Histoire. Architecturalement, c’est incroyable, on peut presque goûter les ères qui se sont succédées. Et les arbres sont merveilleux, la façon dont les cèdres encadrent le paysage depuis les collines… c’est une ville à plusieurs étages, à plusieurs plans, une ville de voyageur temporel. Et, bien sûr, il y a la dimension écologique dont tu parles. La douceur méditerranéenne en proie à des étés toujours plus précoces et plus violents. L’idée que cette capitale ait réussi à cultiver son raffinement cosmopolite à travers les âges pour finir bêtement submergée, et définitivement détruite, ça me semblait très approprié.
Les Flibustiers de la Mer Chimique n’est pas ton premier roman. Tu t'engageais sur les pistes politiques (directement sur la piste noire, en plus), avec Qu’allons Nous Faire de ces Jours qui S’annoncent ? édité chez Albin Michel, qui mettait déjà le lecteur face à deux camps, la logique individuelle et l’utopie zadiste. Avec les Flibustiers, que cherche tu à faire réaliser au lecteur ?
M.I : Mon premier roman et les Flibustiers ont beaucoup de choses en commun, malgré ce que leur assignation à des collections différentes suggère. Et, comme j’aime bien le rappeler, aucun de ces romans n’a d’agenda politique. Au contraire, en fait, la seule chose qui m’intéresse c’est les personnages et leurs drames internes. Ce qui me passionne dans la question climatique, c’est la relation de l’humain à son environnement naturel. Chez certains, le divorce est tout à fait consommé et ça me fascine. Chez d’autres, la fragilisation des écosystèmes est une fracture du soi qui se creuse de jour en jour. Dans Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ?, j’avais un personnage de militaire qui se concevait de manière très fusionnelle avec la montagne. Et dans les Flibustiers, la pauvre Judith a pris de plein fouet la responsabilité de l’humanité dans la dégradation des écosystèmes, et elle en est tombée malade de chagrin. S’il y a bien quelque chose que je veux raconter, c’est les stratégies compensatoires de l’humain face à ce qui le bouleverse et menace de l’anéantir. Qu’il s’agisse d’anéantissement physique ou émotionnel, concret ou métaphorique, c’est ça que je veux raconter.
Dans ton roman, les personnages arborent un caractère jemenfoutiste hilarant, face à l’environnement chimique dans lequel ils évoluent. Cela dénote presque avec le ton de fin du monde agonisant que tu développes tout du long, comme si tu cherchais presque à faire comprendre au lecteur que le futur est déjà là. Ton roman te semble contemporain ?
M.I : Je crois que j’avais surtout envie de raconter deux choses assez intimes, qui sont la résilience humaine face à la catastrophe et l’appétit pour le chaos. Finalement, c’est la crise climatique comme c’aurait pu être le désastre nucléaire ou la guerre religieuse. J’avais envie d’écrire une histoire de démesure et d’irresponsabilité, et que ce soit drôle.
Quant à savoir si c’est contemporain, je te répondrais qu’à part les calmars géants cocaïnomanes, je n’ai pas inventé grand chose. Au contraire : l’actualité est beaucoup plus créative et alarmante que moi.
Côté personnages, nous sommes gâtés avec tes flibustiers ! Alba, par exemple, possède un trait de caractère très intriguant, puisqu’elle est en capacité de garder en mémoire tout ce qu’elle lit. Cela amène une situation cocasse, qui est qu’elle prend pour argent comptant toutes ses lectures, sans distinction. Une réflexion humoristique sur la notion de fake news ?
M.I : Sans doute, oui ! La question de l’information, comment elle est construite, jugée fiable ou non, consignée, transmise, léguée, puis interprétée, exploitée, instrumentalisée… c’est un thème qui m’est cher. Le savoir, c’est le pouvoir, et dans les Flibs c’est particulièrement vrai. Par contre, le savoir n’est pas toujours constructif, surtout quand les écoles s’affrontent. Comment Alba pourrait-elle comprendre quoi que ce soit à notre monde actuel, où chacun de nous peut choisir sa réalité alternative pour mieux flatter son individualité ?
Que penses-tu de notre futur, Marguerite ? Qu'est ce qui attend l'humain sur les prochaines décennies ? Dois-je déjà investir dans un bateau résistant à l'acide ?
M.I : Alors là… j’ai le sentiment que tous les scénarios sont possibles mais que l’hypothèse la plus probable est sûrement aussi la plus ennuyeuse, et ressemblante à ce que nous vivons déjà. Ce n’est pas très marrant, mais j’imagine bien un avenir sans panache, prévisible en tout point, qui nous permettra de vivoter médiocrement.
Contente d’avoir remporté le Grand Prix de l’Imaginaire ?
M.I : Mais bien sûr, et je ne m’y attendais pas ! Merci à tous ceux qui ont rendu ça possible.
Côté projets, as-tu déjà en tête quelques idées de romans à venir?
M.I : Les idées ne sont pas le problème, mais leur exécution, par contre… Au moment où je t’écris, je dois envoyer les premières pages d’un manuscrit à mon éditrice et je suis très angoissée. Cette fois-ci, ce ne sera pas un roman amusant. Vraiment pas. Et ce ne sera pas de la littérature de l’imaginaire !
Sinon, j’ai quelques projets de nouvelles avec différents collectifs. J’en ai une à paraître dans Science et Vie Junior en août, d’ailleurs !
Partons sur des questions moins spécifiques. En termes de romans post-apo, as-tu un coup de cœur à nous partager ?
M.I : Je n’ai pas lu de post-apo récemment, mais comme Cormac McCarthy est mort il y a peu (le 13 juin), j’en profite pour lui rendre hommage en recommandant La route, un roman très abstrait mais déchirant sur l’errance dans un monde dévasté par une apocalypse nucléaire. C’est un livre très triste.
Tant qu’on est dans les coups de cœur, si tu devais nous faire un top 5 de tes romans/films préférés, que nous proposerais-tu ?
M.I : Ce ne serait pas un top 5, parce que je suis incapable de classer et que j’ai une très, très mauvaise mémoire. Mais cinq films ou livres qui sont très importants pour moi :
- Paprika (film d’animation de Satoshi Kon, 2006)
- Le Seigneur des porcheries, Tristan Egolf
- La maison aux esprit, Isabel Allende
- La compagnie des loups, Angela Carter
- La conjuration des imbéciles, John Kennedy Toole
Les Flibustiers de la Mer Chimique est disponible juste ici !