On dit souvent que le génie rend seul. Sauf quand deux d'entre eux, des figures emblématiques de la S-F, arrivent à trouver une fréquence commune qui leur permis d'établir une amitié intellectuelle et indéfectible.
Isaac Asimov est un auteur que l'on n'a plus vraiment besoin de présenter, romancier reconnu pour Les Robots, où il définit les trois lois de la robotique qui vont marquer avec la grande majorité la science-fiction et même au-delà, ou son Cycle de Fondation qui lui a permis de mettre sur pied son concept de psycho-histoire. Il est aux côtés d'auteur comme Philip K. Dick ou Arthur C. Clarke, l'un des grands penseurs de la SF du siècle dernier.
De l'autre côté, Carl Sagan est avant tout un scientifique, un astronome plus spécifiquement. Il est l'un des pionniers de l'exobiologie, qui s'intéresse à l'étude des espèces extraterrestres, et c'est d'ailleurs lui qui a mis en place le programme SETI qui recherche des intelligences aliens. Il s'est essayé, avec succès, à la littérature avec Contact, dont Robert Zemeckis a produit l'adaptation cinématographique.
Les deux hommes vont se rencontrer pour la première fois dans les années 60. Alors qu'Asimov a déjà rédigé son Cycle de l'Empire et publié des chefs-d'œuvres reconnus comme La Fin de l'Éternité ou Les Robots, Carl Sagan n'est lui encore qu'un brillant chercheur (il sera à l'origine de la plupart des missions automatiques d'exploration du système solaire) mais qui n'a publié encore aucun de ses ouvrages d'importance. Pourtant le romancier d'origine russe va être surpris qu'au lieu du stéréotype de l'astronome armé de son télescope, il découvre "un jeune et bel homme de vingt-sept ans, grand, sombre, détendu et incroyablement intelligent".
C'est ainsi que va commencer une amitié dans une correspondance qui est exhaustivement relatée dans Yours, Isaac Asimov : A Lifetime in Letters, édité par son jeune frère Stanley Asimov. On retrouve notamment cette superbe lettre qu'envoie Asimov à un ami le 22 mars 1966 :
"Sagan a lu la moitié de mon livre sur l'univers et a déjà déniché une erreur fondamentale. Dans mon interprétation des théories d'Eddington sur la structure stellaire, je parle de pression des radiations. Apparemment, je n'aurais pas dû. Heureusement, j'ai juste à corriger une phrase ici ou là.
Mais voilà pourquoi j'ai besoin de Sagan. Il ne laissera rien passer de ce qui doit ne pas passer. Si seulement il était un peu plus rapide pour cela. Je lui ai dit que je réalisais qu'il était particulièrement occupé, lui aussi, mais j'ai ajouté dans ma façon particulière de faire l'ingénu : "Mais bon, qu'est-ce que votre travail comparé au mien ?"
Et il a dit, "Vous dites ça d'une telle façon que je doit le prendre comme une blague. Mais vous le pensez vraiment, n'est pas ?"
Donc j'ai fait ce qu'il y avait de mieux à faire à ce moment. J'ai dit : "Oui, je le pense."
Un gars très malin, ce Sagan."
Si Isaac Asimov n'hésitait pas à parler de Carl Sagan en termes élogieux tout autour de lui, il ne se privait pas non plus de le faire en face du spécialiste de la vulgarisation scientifique :
"Je viens juste de finir The Cosmic Connection et j'en ai aimé chaque mot. Vous êtes l'idée que je me fais du bon écrivain car vous avez un style non-maniéré, et quand je vous lis, je vous entends.
Il y a quand même quelque chose qui m'a dérangé dans ce livre. Il était bien trop évident que vous êtes plus intelligent que moi. Je déteste ça."
Source : Brain Pickings