Pour ce nouvel épisode d'Aux Sources de la Fantasy, on retrouve John Hove, qui se rend à Providence, dans l'État du Rhode Island - sur les traces d'H.P. Lovecraft.
Dans cet épisode, on explore un peu l'histoire épineuse de cet écrivain bizarre, pour voir dans quelle mesure ses centres d'interêt et sa personnalité expliquent son oeuvre à la postérité indéniable.
Lovecraft, dans la lignée par exemple d'un Poe, nourrit son écriture d'une connaissance très fine des sciences de son temps - l'astronomie, la chimie, ou pour ceux qui ont déjà parcouru son oeuvre, racistes. Dès 13 ans, il fréquentait régulièrement l'observatoire d'astronomie de Providence, où il vivait ; dans son adolescence, il rédigeait des articles de chimie dans les journaux locaux, où il publiait également des éditos et de la poésie.
À partir de 1923, à ses 33 ans, Lovecraft commence à publier ses nouvelles dans des Pulps, ces magazines bons marchés, qui payaient leurs auteurs avec la fin du ragoût.
C'est à ce moment là que son talent trouve enfin de quoi s'exprimer. Son érudition scientifique devient le terreau fertile où grandit un fantastique qui n'avait jamais existé jusqu'alors - raison pour laquelle on le considère parfois aussi comme un écrivain de science-fiction - mais où entrent en jeu la paléontologie, l'archéologie, l'épigraphie ou l'astronomie.
C'est de cette astronomie que Lovecraft tire sa doctrine de "Cosmicisme", qui se résume à la conscience de l'infinité de l'univers, dans l'espace et dans le temps. Les Grands Anciens tels que Cthulhu sont l'incarnation de cet étirement sans limite du temps à mesure que l'on projette son immensité dans notre esprit.
De cette conscience, qui est surhumaine, ne peut résulter que la folie - d'où la récurrence de ce thème chez Lovecraft, et l'idée d'une dimension insaisissable de la vérité, que l'on aperçoit que par fragments qu'on ne sait mettre en relation.
Mais Lovecraft était un homme profondément angoissé par les évolutions de la société américaine du début du 20e. Il était persuadé de vivre le déclin inéluctable d'un monde déjà fini, une décadence, pesant sur l'humanité et la raison. Si les Grands Anciens figurent les forces primordiales d'un monde vivant, ils sont aussi le chaos premier de l'être humain, quand il est privé du soutien de la civilisation (du moins dans la perspective de Lovecraft, anthropologiquement datée).
Il n'empêche ! Lovecraft a reconduit ce rapport inventif à la science qu'avaient avant lui les Poe et les Verne ; il lui a donné un sens mystique et riche ; il a créé tout un imaginaire qui n'avait pas tellement d'antécédents.
Lovecraft a été un des grands innovateurs de la littérature, imprégnant pour longtemps le fantastique, comme la fantasy et la SF, de son intelligence, d'Arthur C. Clarke à Philip K. Dick.
On est d'ailleurs de bons lecteurs de Lovecraft à SyFantasy : on a ici une chronique sur L'Appel de Cthulhu illustré par François Béranger, et là un dossier sur l'intégrale publiée aux éditions Mnémos.
Toutes les images de cet article ont été tirées du documentaire Aux Sources de la Fantasy diffusé sur Arte.