Critiques

Aucune Terre n'est promise : politique et uchronie sur le conflit palestinien

Par Louis - CINAK
3 min 7 mars 2021
Aucune Terre n'est promise : politique et uchronie sur le conflit palestinien
On a aimé
- Le ton engagé
- Les mondes parallèles
On n'a pas aimé
- Le discours à la 2ème personne

Ce mur est une mascarade. Nous étions censés avoir une patrie, un endroit sûr face à l’oppression. Pas nous-mêmes les oppresseurs. Nous nous enfermons et nous construisons un ghetto des temps modernes

Aucune Terre n’est promise de Lavie Tidhar est un ovni. Entre uchronie et voyage entre des plans d’existence, Lavie Tidhar traite le conflit israélo-palestinien en imaginant une Terre juive en plein milieu de l’Afrique. L’auteur israélien pose la question de la légitimité d’une terre gagnée (ou volée selon le point de vue) par les Juifs et se demande si l’Histoire ne se répéterait pas, même ailleurs qu’en Palestine.

 

Avant la Seconde Guerre Mondiale, l’Empire Britannique a cédé aux Juifs une terre africaine : Palestina. DONC : pas d’Holocauste, pas de raison d’être idéologique du parti nazi, pas de rancœur en Europe, pas de conflit entre musulmans et juifs. On a presque un sentiment d’irréalité et d’utopie, où les colonies juives côtoient des flamants roses. Pourtant, un mur voit le jour en Palestina et des attentats moissonnent des innocents par dizaines à Ararat City.

 

Pour Lavie Tidhar, la religion n’est donc pas en cause mais la logique conquérante des néo-Palestiniens. C’est cette guerre, qu’a fui Tirosh, écrivain raté de pulp à Berlin, et qu’il va devoir retrouver en rentrant au bercail. La terre est belle mais elle est gangrenée par les politiques racistes palestiniennes. Sa nièce a disparu, elle qui cherche pourtant à renouer le dialogue entre les populations ougandaises. Et c’est en menant l’enquête qu’il va découvrir un complot terrible. Saupoudrez le tout de voyageurs du temps qui eux connaissent le destin de notre monde, celui des attentats en Israël, et vous comprendrez pourquoi l’on parle ici d’un ovni.

 

En plus de suivre la redécouverte de Tirosh de sa terre natale, on prend rapidement le point de vue d’une agente,Nour, qui voyage entre les mondes aux réalités plurielles, les zephiroth de la mythologie juive. Nour sait « glisser » entre ces mondes. Elle a pour mission de comprendre pourquoi les glissements sont de plus en plus fréquents.

 

Tout porte à croire que c’est la réalité où la Palestina a vu le jour qui créé ces perturbations. Pris dans le tourbillon des mondes parallèles, on ressent la patte Inception tout le long du livre. La réalité perd lentement sa substance et on se prend à douter des personnages et de leur perception. Avec un style incisif et qui prend de la vitesse, Lavie Tidhar accélère sans perdre le lecteur dans les enjeux toujours plus impressionnants ! Mention spéciale aux réalités parallèles brossées en quelques phrases lors de ces « glissements » entre les mondes : remplies d’une imagination florissante et propice à nous faire rêver.

 

Osama de Lavie Tidhar s’était vu récompensé par le World Fantasy Award du meilleur roman en 2013. Osama avait marqué par son point de vue proche d’un film avec des scènes rapides et des descriptions en travelling. Aucune Terre n’est promise ne fait pas exception à ce style d’écriture particulier. A travers 3 points de vue (un très descriptif, un à la première personne et un dernier à la deuxième personne), les scènes sont saisissantes et nous cassent régulièrement les impressions sur les personnages : tantôt Tirosh nous semble confiant selon un point de vue, puis timoré sous le regard dur et froid du détective Bloom.

 

Les scènes de « glissements » apparaissent comme des flashs. L’ensemble donne un roman perturbant de prime abord (notamment le style à la deuxième personne qui rebute un peu) mais vif. Aucune Terre n’est promise est clairement un livre qu’il faut livre rapidement pour éviter de perdre le fil des souvenirs et des points de vue qui s’entremêlent ! A éviter dans les moments brefs de lecture donc !

 

Aucune Terre n’est promise recentre le conflit palestinien sur l’expropriation de la terre. Les israéliens sont avant tous des hommes qui cherchent à se construire un foyer, au détriment des premières populations, qu’ils soient musulmans ou non. Avec son uchronie partisante, Lavie Tidhar porte un regard dur et réaliste sur le conflit de notre propre monde. Il renoue avec la tradition de la SF et de l’uchronie : réveiller les consciences grâce à une histoire qui pourrait être la nôtre.

 

Si vous recherchez de la SF politique et incisive, lisez Lavie Tidhar !

 

Aucune Terre n'est Promise est disponible juste ici !

Crédit illustrateur : Kevin Deneufchatel pour les Editions Mü