Critiques

Beastars, le manga qui se taille la part du lion face à Zootopie

Par Aetherys
6 min 14 août 2024
Beastars, le manga qui se taille la part du lion face à Zootopie

"Je me sers d'animaux pour instruire les hommes." disait Jean de la Fontaine en évoquant ses célèbres Fables qui ont cimenté la majorité des symboliques associés au genre animal. Le renard rusé, le lion fort orgueilleux, la fourmi travailleuse, l'agneau doux... tant de caractères que l'un retrouve, encore aujourd'hui, ancrés dans les consciences. Pourtant, faire une œuvre de fiction sur une société animale sensiblement proche de la nôtre, c'est bel et bien placer un miroir devant nous afin d'en osculter les rouages. 

Si les œuvres de fiction animalières sont légion (Disney en fait son fer de lance depuis des lustres) elles continuent de marquer un large public, comme en témoigne le film d'animation Disney Zootopie qui aura fait succès à sa sortie en 2016 ! Pourtant, de l'autre côté du globe, une autre œuvre, plus discrète mais tout autant marquante dans son propos, sortait de manière hebdomadaire son chapitre : un seinen de 22 volumes du nom de Beastars, dont l'adaptation en anime trouvera sa conclusion en fin d'année !

 

Beastars, un Zootopie ++ ?

Écrit et dessiné par la mangaka Paru Itagaki, Beastars prend pied dans une société moderne animale, où carnivores comme herbivores essayent, tant bien que mal, de cohabiter ensemble au sein d'un vaste système permettant à tout un chacun de réussir et de mener sa vie et ce, qu'importe sa taille ou son régime alimentaire.

La société de Beastars fonctionne ainsi comme la nôtre, avec son système juridique, son administration, sa production audiovisuelle... mais aussi avec ses défauts et failles. Car dans l'ombre des ruelles, des meurtres sauvages sur des herbivores réveillent des instincts millénaires, et face à la peur que cette société s'effondre grandit de jour en jour, un épais vernis politique tente d'étouffer ce genre d'affaires.

Au sein de l'école Cherryton, un jeune loup du nom de Legoshi tente de mener une tranquille vie étudiante en tâchant de faire profil bas. Mais le meurtre d'un étudiant alpaga, Tem, et sa rencontre avec une lapine nommée Haru, dont il tombe amoureux, menace de bouleverser son quotidien, son existence, et celle de la société elle même... 

 

The Beast And The Rabbit

La première partie de Beastars se passe ainsi exclusivement au sein de l'école Cherryton et du marché noir, afin de prendre le temps de construire la galerie de personnages principaux et secondaires. Complexes et touchants, chacun à leur manière apportent à l'édifice au travers de leurs relations et de leur personnalités bien trempées, que ce soit Louis, cervidé calculateur et charismatique ou encore Juno, louve cachant très bien son jeu... 

Pour autant, l'enquête du meurtre de Tem avance avec rythme au travers des révélations et embûches, tandis que notre jeune Legoshi évolue à sa manière afin de répondre à ses problématiques existentielles. Torturé par sa propre condition d'animal mangeur de viande, il se questionne au travers de ses rencontres et de ses choix, laissant se dessiner un personnage complexe et attachant qui n'évolue jamais de manière aléatoire. C'est d'ailleurs l'une des grande force du manga que de proposer autant de personnages à l'écriture soignée, loin des caractères stéréotypés que l'industrie du manga surexploite en permanence.

Chacun d'entre eux évolue avec finesse et cohérence (même si, pour certains, l'arc de Louis chez les Lions paraîtra un tant soit peu too much), fait des erreurs, se remet en question... le tout afin d'offrir des histoires crédibles, poignantes, qui donne envie de se plonger à nouveau dans l'univers.

 

Le goût de reviens-y n'aura jamais été aussi fort qu'avec Beastars (peu peuvent s'en vanter, tel Dorohedoro), et la minutie graphique de Itagaki n'aide pas à décrocher : très rapidement, elle trouve ses marques et délivre des personnages que l'on peut, sans honte aucune, qualifier de "classe".

Oui, les personnages ont des chara somptueux (Pina le moufflon, Juno la Louve, Louis le Cerf...) avec une vaste palette d'émotions que la mangaka s'amuse à représenter avec une grâce bienvenue.  Et impossible de ne pas mentionner avec quelle beauté sauvage elle esquisse des combats haletants , violents et terriblement bestiaux.

Rythmée par la résolution de l'enquête et l'évolution des personnages, l'œuvre sait développer à la fois son intrigue et ses enjeux tout en sachant offrir de doux moments de légèreté romantiques et comiques. Oui, Beastars jongle d'un genre à l'autre, avec une agilité surprenante.

Autant comique que dramatique, autant thriller que shonen, le manga mène sa barque narrative, malgré une deuxième partie en dents de scie qui semble ne plus savoir où aller.  On pourra aussi reprocher un manque d'organisation de la mangaka quant au temps de présence de certains de ses personnages, qu'on aurait aimé cotoyer davantage.

On ressent cependant l'énergie créatrice bouillante de Itagaki face ce vaste univers qu'elle conçoit minutieusement à chaque chapitre, tandis qu'elle nous détaille de multiples process de la vie quotidienne dans le monde de Beastars. Cela va autant de la manière qu'ont les multiples espèces de cohabiter ensemble à la genèse (finalement très mystérieuse) de la société dépeinte. 

 

Zootopie ++ ? Ou davantage ?

Beastars souffrira immanquablement d'une comparaison avec le film d'animation Zootopie, qui mérite donc d'être grandement nuancée. Si effectivement les deux œuvres proposent une toile de fond et une trame narrative similaire (un enquête de meurtre au sein d'une société animalisée), Beastars met davantage l'accent sur la fracture béante entre carnivores et herbivores, là où le film laisse imaginer une société cohabitant davantage en paix. Ensuite, il est important de mentionner que, comparé à Zootopie, le manga expose des éléments plus mâture et violents de sa société d'animaux, sans filtre aucun. 

La remise en cause des instincts sauvages dans une société incitant à les dompter permet au manga de davantage traiter la dimension politico-sociale de son univers, tout en cherchant à proposer de la romance comme de l'action.

 

Beastars marque donc le genre manga par son inventivité et sa patte graphique somptueuse, mais aussi par son écriture soignée et ses personnages marquants. 

 

Beastars est disponible aux éditions Ki-Oon !