- Des éléments originaux
Une oeuvre épaisse
Comment parler de l'indicible ? L'oxymore est évident, mais constant : Berserk, une série de mangas qu'on ne présente plus tant son ombre plane sur la culture pop depuis maintenant une vingtaine d'années, offre une solution simple. Tout est montré, les viols et les décapitations côtoient les monstres les plus abominables, c'est-à-dire l'être humain, loup parmi les loups. Mais n'est-ce que ça ?
Quentin « Alt 236 » Boëton, dans Berserk. A l'encre des ténèbres, montre que la série est bien plus complexe. Cela ne surprendra aucun des lecteurs, pour qui la profondeur de l'histoire se révèle au bout de quelques tomes, si ce n'est quelques pages. Ce qui est vraiment intéressant, c'est que l'auteur est parti en quête de toutes les références d'un mangaka qui a vécu par les livres et pour les livres, qu'il parcourait en quête de formes et de matière, pour mieux y rédiger des aventures inspirées par ses lectures mais façonnées par sa fantaisie personnelle. Ainsi, telle église est en réalité tirée d'un vrai bâtiment se trouvant en Espagne, tel autre élément vestimentaire vient des catalogues décrivant la mode du Grand Siècle à Versailles, sans même mentionner les innombrables références à d'autres œuvres : les films notamment (Hellraiser, Les Diables) et évidemment les autres mangas, comme Ken le Survivant, mais aussi des livres, des musiques.
A cette critique érudite s'ajoutent des commentaires personnels, des analyses neuves, même pour le fan habitué à parcourir les forums en quête de sens au sang. Parfois l'auteur est un peu trop élogieux, et j'ai été mal à l'aise : j'ai une certaine passion pour Miura aussi, et je comprends la révérence qu'on peut avoir envers lui, mais un ouvrage de critique ne peut être toujours laudatif, au risque d'oublier les incohérences et autres défauts qui font partie de chaque œuvre. Cela n'a pas gêné ma lecture cependant, juste fait accrocher un peu.
Le livre manque peut-être aussi de quelques illustrations, puisqu'il ne s'agit que d'un vaste texte, des pages noires et blanches dans lesquelles on se perd parfois un peu. J'imagine que c'est avant tout pour des questions de droits, ce qui est compréhensible bien qu'un peu dommage pour un livre aussi beau et imposant de l'extérieur. Je ne cherchais toutefois pas d'autres planches que celles du manga, et s'il aurait été plus pratique de disposer des images en regard du texte, ce n'était pas pénible pour autant, puisque l'auteur prend la peine de décrire et situer les scènes dont il parle.
Il s'agit donc d'un bon livre, beau pour les passionnés de l'oeuvre, qui auront pris le temps de finir la série avant, afin d'éviter tout spoil. C'est une bonne façon d'aller plus loin, notamment en raison des extraits d'entretiens de Miura récupérés çà et là, qui donnent d'autres explications sur la genèse et le sens d'une œuvre dont la composition a pris bien des années, et survit encore aujourd'hui à son auteur.