- L'ambiance polar des années 30
De nos jours, on peut garder une tête humaine en vie sans avoir besoin du corps, ou décider de se faire retirer bras et jambes quelques semaines, puis les remettre en place. Ou pas, si ça vous branche. Tout cela est accepté en société.
Presque tous les 10 ou 15 ans, John Varley nous propose un roman indépendant de sa série Les Huit Mondes, où l’humanité vit une ère utopique sur Luna (la Lune), loin de la Terre, envahie par de mystérieux extraterrestres indifférents. A chaque fois, l’auteur fait preuve d’un humour savoureux pour nous proposer des enquêtes au cœur de cette utopie de façade. Et cette fois, Blues pour Irontown suit un détective privé raté et son chien cybernétiquement augmenté, Sherlock, qui enquêtent sur un fou qui transmettrait volontairement une lèpre incurable !
Christopher Bach a été policier jusqu’au jour où l’Intelligence Artificielle qui contrôlait la société lunaire s’est mise à devenir dingue (événement connu sous « la Catastrophe ») et a conduit à l’une des plus grandes catastrophes de cette nouvelle civilisation humaine. Depuis, Chris a rendu son badge et vivote avec son chien, tandis que les IA sont reléguées à des tâches simples et sans danger. Alors, quand une jeune femme au visage couvert lui annonce qu’un homme lui a transmis volontairement une lèpre incurable, son âme de flic se réveille. Du moins, l’image du héros qu’il s’est construit à force de regarder d’anciens films policiers de la Vielle Terre… L’occasion pour l’auteur de nous mener dans une partie encore peu couverte par ses précédentes œuvres (indépendantes) de la série : Irontown. Un nom qui fait frémir même les plus endurcis de Luna.
Mais en vérité, l’auteur va tarder à nous conduire à Irontown, ce bidonville où l’on pourrait mourir à chaque coin de rue et qui est dominé par les Heinleinistes, ces anti-IA qui se font discrets depuis la Catastrophe. Il préfère nous faire mousser en nous décrivant la réaction des gens à l’évocation de ce nom. Ce qui m’a lassé jusqu’à un certain point car on s’habitue rapidement à l’idée qu’Irontown est une « zone oubliée et à risque ». Heureusement, la société lunaire a beaucoup à offrir au lecteur frustré : tout le monde peut changer de corps comme dans les meilleurs mondes cyberpunks, les quartiers sont aux couleurs de l’Ancienne Terre, on peut changer de visage et donc d’identité à volonté (rendant le flair de Sherlock ô combien utile !). Mais rassurez-vous, l’enquête avance tout de même et chaque chapitre nous en apprend un peu plus sur le passé de Chris et ses anciennes activités de flic. Je tairais le retournement de situation mais l’enquête et le passé de Chris sont intimement liés et l’auteur arrivera à vous surprendre ! Bien que je sois sûr qu’à une seconde lecture, on aurait pu voir tous les indices sous notre nez !
Parlons de Sherlock, le chien détective ! Il est augmenté et doté d’une intelligence lui permettant d’évoluer dans la data-sphère comme un poisson dans l’eau ! Et tout cela, on le découvre grâce à Penny, sa traductrice attitrée à qui il envoie des rapports wouf-wouf réguliers. Ce qui permet à l’auteur de faire preuve d’un humour canin très savoureux avec beaucoup de jeux de mots et des images loufoques associées à des odeurs. Et comme Sherlock est un chien, sa concentration n’est pas très grande, le faisant parfois partir sur des sujets absurdes pour un humain. Je peux dire que ce personnage de roman est clairement rafraîchissant dans ce roman aux teintes très noires et pessimistes. Un vrai rayon de soleil.
En effet, John Varley reprend les codes du roman noir en y associant de l’argot et une ambiance très années 30. Le point de vue de Chris est toujours mis en perspective avec les perceptions du chien qui vit les scènes différemment, tant olfactivement que visuellement !
Blues pour Irontown est à la croisée entre humour, cyberpunk et polar, le tout sur une Lune où tout est possible. John Varley anticipe un avenir ouvert et loufoque où une enquête étrange se transforme en intrigue extrêmement bien ficelée et personnelle. Un excellent roman pour introduire la science-fiction à un fan du jeu Cyberpunk !
Crédit illustrateur : Alain Brion