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Critique - La quête onirique de Vellitt Boe (Kij Jonhson) : Du rêve poétique à la folie

Par Lildrille - Chloé
3 min 6 janvier 2022
Critique - La quête onirique de Vellitt Boe (Kij Jonhson) : Du rêve poétique à la folie
On a aimé
- Une femme forte qui porte l'histoire.
- Un univers décrit tout en poésie et finesse.
- Un réécriture d'un ancien texte de Lovecraft qui retrouve ainsi une dimension plus complexe.
- Un rêve qui s'étend du début à la fin.
On n'a pas aimé
- Des longueurs pendant la traversée de grottes, emplies de monstres.
- Pas de véritable fin.
- Le manque d'explications sur l'univers de Cthulhu pour les novices.

Vous connaissez sans doute Lovecraft, au moins de nom pour ceux qui ne l'ont pas lu. Cthulhu, le dieu tentaculaire, n'a pas fini d'inspirer les auteurs d'aujourd'hui et de demain. Kij Johnson réécrit un texte culte, en intégrant une héroïne au caractère imperturbable, un personnage que l'auteur légendaire n'aurait sans doute pas apprécié... On vous explique pourquoi !

Le résumé

Vellitt Boe est enseignante à la prestigieuse université d’Ulthar.
Quand l’une de ses étudiantes les plus douées s’enfuit avec un rêveur du monde de l’éveil, Vellitt décide de partir sur ses traces avec l’espoir de ramener son élève dans le giron des rêves du monde de Kadath.
Mais après tout, l’Amour ne vaut-il pas le Rêve ?

Notre avis

Un rêve tentaculaire

Le titre ne ment pas : plonger dans ce roman signifie s’immerger dans un rêve. Les paysages, les mots, les personnages, l’univers dépeint, les couleurs choisies, le thème, le mobilier, les habitations… L’auteure nous décrit chaque chose avec poésie ; un lyrisme certain parcourt cet ouvrage incroyable. Dès les premiers mots, le ton est donné. Le caractère de Vellitt Boe impressionne, tout comme l’école de femmes présentée, ou l’atmosphère singulière qui se dégage des tenues victoriennes des dames sévères, prêtes à tout pour que ce monde d’hommes les considère enfin.

Les grands fans l’auront peut-être deviné. La quête onirique de Vellitt Boe est une réécriture d’un texte de Lovecraft, lui-même intitulé La quête onirique de Kadath l’inconnue. L’interview de l’auteure Kij Johnson, présente à la fin de cet ouvrage, nous explique ce choix étonnant. Fan des créations de Lovecraft, mais non du personnage apparemment raciste, ancré dans une époque où la condition féminine n’avait pas la même valeur qu’aujourd’hui, l’auteure a voulu rendre hommage à cet écrivain talentueux, tout en mettant en scène une femme dans le rôle du personnage principal, une chose que le papa de Cthulhu n’avait pas vraiment l’habitude de faire.

Kij Johnson réécrit l’histoire à sa manière, y incruste sa touche féminine avec goût, tout en mettant en scène le héros du texte dont elle entreprend la réécriture. Dans ce roman, l’univers de Lovecraft est touchant, beau, et poétique. L’auteure nous transmet sa vénération envers l’écrivain, dans un texte que l’auteur n’aurait certainement pas apprécié de son vivant, comme Kij Johnson le précise dans la même interview.

Une longue quête

Plus des trois quarts du roman consistent à nous décrire le long voyage qu’entreprend Vellitt Boe pour retrouver l’une de ses étudiantes. Tous les endroits qu’elle croise, tous les lieux où elle fait halte, toutes les rencontres qui s’invitent à elle, sont dépeints avec brio. Les images que les descriptions surprenantes de l’auteure impriment dans nos esprits s’avèrent de toute beauté.

Ces passages n’ennuient pas. Au contraire, ils nous transportent dans un univers insaisissable, nous entourent d’une atmosphère à la fois sombre et fantastique. Les paysages nous restent longtemps en tête après la lecture. Se plonger dans ce récit trouble, inévitablement. Les mondes du Rêve et du réel s’entremêlent à chaque instant.

Le roman souffre de quelques longueurs, notamment lorsque Vellitt s’entoure de goules, au sein de grottes noires et humides, accompagnée par d’autres créatures plus terribles encore. L’atmosphère perd de son côté merveilleux. La poésie s’essouffle un instant.

Une femme à la personnalité forte

Vellitt Boe se dévoile à travers les personnages qu’elle croise, mais surtout aux côtés de son ancien amant, le héros du texte de Lovecraft. Leurs différences et points communs mettent en évidence une personnalité forte, une volonté hors du commun, qui la mènera même de l’autre côté… Vellitt Boe est prête à tous les sacrifices pour sauver son élève.

L’étudiante disparue s’avère un tout autre genre de femme, aux ambitions divergentes. La lutte qu’elles se disputent semble sans fin. Les besoins de l’une ne représentent rien aux yeux de l’autre. Deux réalités s’opposent, deux mondes se répondent : celui du rêve versus celui de notre réalité, celui composé de dieux anciens contre celui construit sur la base de dieux plus récents.

Pour les fans

Les descriptions des lieux, des temples, des dieux, de la mythologie de l’univers, parleront davantage aux fans de Cthulhu qu’aux novices. Tous les noms étranges se multiplient, sans qu’aucun index ou aucune carte n’aide les lecteurs débutants à se retrouver. Après plusieurs chapitres, le lecteur peu connaisseur ne cherche plus à se situer dans l’espace. Il abandonne. Les noms propres perdent de leur sens. Seule la poésie compte, seule l’idée du voyage reste vivace.

Les conflits entre les dieux demeurent néanmoins compréhensibles, même si l’auteure n’explique pas le fondement de ces antagonismes ancestraux. La personnalité magique de Vellitt Boe, les descriptions poétiques, et un voyage prenant, permettent d’oublier le fait que l’univers nous dépasse. Et puis, finalement, nager dans le flou accentue l’idée du rêve, ce qui n’est, en soi, pas une si mauvaise chose, étant donné le thème de l’ouvrage.

Pas de fin

La fin déçoit par l’immense porte ouverte qu’elle laisse en suspens. L’intrigue principale n’est pas résolue. Le voyage intérieur, le voyage initiatique de Vellitt Boe, se termine de manière un peu trop abrupte. C’est dommage...

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