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Critique - Le Chien du Forgeron (Camille Leboulanger) : Un récit brutal qui déconstruit le mythe de l'homme viril et adulé

Par Louis - CINAK
3 min 23 septembre 2021
Critique - Le Chien du Forgeron (Camille Leboulanger) : Un récit brutal qui déconstruit le mythe de l'homme viril et adulé
On a aimé
- Un récit brutal
- Un style comme les contes anciens
On n'a pas aimé

Il faut toutes ces émotions-là pour faire un homme : la honte, la rage, la rancune. Le Chien incarna fort bien les trois qualités que ces sentiments enfantent. Il fut orgueilleux, irascible et querelleur.

Camille Leboulanger s’est fait connaître avec Bertram le baladin, et Ru qui a chamboulé le monde de l’imaginaire avec ses propos durs et sa critique sociale. Avec le Chien du Forgeron aux éditions Argyll, il s’est récemment attaqué à un ancien mythe celte : celui de Cuchulainn, le Chien du Forgeron, le héros viril par excellence des contes anciens. Virilité que l’auteur va s’attacher à déconstruire en même temps que le mythe d’où il tire son histoire. 

Issu d’un mariage arrangé dans le lointain royaume des Ulates (l’Irlande ancienne) entre un seigneur local, qui menaçait la paix, et la sœur du roi, Cuchulainn est un enfant non consenti et qui a été conçu dans des circonstances étranges. En effet, sa mère aurait été enlevée quelques jours après ses noces par une créature du monde des dieux. Quelques mois après son retour, elle enfante celui qui deviendra Cuchulainn. Un début de légende qui sera la source de nombreuses rumeurs…. Le garçon deviendra un homme bourru, arrogant et qui parle plus fort que les autres. Il tire son sobriquet d’une nuit où il lutta contre un chien de garde, celui d’un forgeron de renom, et qu’il y vint à bout à mains nues. Pour le punir, le roi l’obligea à remplacer le chien au service de son maître pendant quelques jours, mangeant les restes des humains, chassant avec les chiens, le tout nu comme un ver... Le garçon aurait dû retenir la leçon mais comme tous les héros de contes, celui-ci ne change jamais. Il reste fidèle à l’idée que l’on se fait de lui. Que serait un conte sans une femme qui ensorcèle le héros par sa beauté, les épreuves pour la conquérir, les trahisons et la mort du héros ? Tour cela, Camille Leboulanger le traite avec un lyrisme et un style qui rappellent les contes de notre enfance, le sang et la fureur en plus.  

C’est ainsi que sont ces chefs et ces héros. On ne les suit pas par amour mais par peur. On applaudit à leurs exploits afin que jamais ils ne retournent vers soi leur courroux.

Disons-le clairement, on se met rapidement à détester Cuchulainn. Il est violent, brutal et il est le premier à se servir. Il n’est pas un chef, il est le chien galeux qui fait peur à ses hommes, au point qu’ils aient peur de lui désobéir. Avant même que cela ne soit raconté, l’auteur nous le fait le haïr. En effet, c’est un conteur dans une auberge miteuse qui témoigne de sa vie aux côtés du Chien et qui se rappelle l’homme, et non ce que la légende a fait de lui. Il se souvient du royaume dur mais juste dans lequel le fer n’était jamais tiré sans sagesse, et il voit ce que le Chien a fait à l’Irlande : maintenant, seul le fer règne et le royaume des Ulates n’est plus… Dans sa quête de gloire insensée, bien malgré lui, le Chien a détruit la paix.

Dans l’Irlande du passé de Camille Leboulanger, l’honneur passe par les armes et est toujours du côté de celui qui sait vaincre son ennemi. Le Chien n’est pas un « héros », il est seulement un homme dur, forgé par les gens qui l’ont rejeté (sa sœur, son oncle le roi, sa promise…). A travers la figure de Cuchulainn, l’auteur questionne la virilité d’un héros qui croit que les femmes ne savent pas se battre et qu’elles sont des objets (femmes qui vont d’ailleurs réussir à le balloter d’épreuves en épreuves grâce à leur force et leur finesse). Personne n’arrivera à lui mettre du plomb dans la tête, si ce n’est lui-même en commettant de graves erreurs, assassinant stupidement des proches… L’auteur réfléchit dans le même temps sur la paix et la sagesse du guerrier qui l’appelle de ses vœux. Un homme, selon Camille Leboulanger, est fort et sage, au point qu’il ne devrait même pas avoir besoin d’user de violence.

L’auteur ne s’attache jamais à décrire précisément ses personnages ou ses créatures, il laisse cela à son lecteur (ce qui pourrait en perturber certains). En cela, il s’inscrit dans la longue tradition du conte, qui veut qu’un personnage soit l’incarnation d’une idée, ici Cuchulainn est la brutalité sauvage, l’Homme sans retenue. Seuls les lieux ont droit à une description fouillée et lyrique qui nous en met pleins les yeux, transformant un palais de bois et de boue en une merveille d’architecture aux gravures fascinantes.

Comme tous les contes, certaines scènes sont inévitables : la trahison, le désir et la mort. Au lieu de les rendre épiques, à l’image du héros que Cuchulainn DEVRAIT être, l’auteur les transforme en quelque chose de déplorable et de primitif comme si on regardait la lente déchéance d’un homme

Le Chien du Forgeron de Camille Leboulanger nous livre un récit viril plein d’amertume et de brutalité. Cuchulainn est un héros tragique qui est le fruit d’une gloire vaniteuse et qui détruit des vies. Le Chien du Forgeron est un roman brutal qui s’attache à détruire la figure du guerrier sans retenue, le tout servi par une plume qui s’inspire du style des contes anciens. Une belle découverte !

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