Après nous avoir laissés sur notre faim avec un premier tome saisissant, S.A Chakraborty revient en force avec un deuxième opus meilleur que le précédent : nous retrouvons Nahri, l’ancienne voleuse du Caire qui a appris, au cours du premier tome, être issue de la lignée des nahids, de puissants guérisseurs qui étaient autrefois les dirigeants de Daevabad, une opulente cité qui ravage quiconque ose s'en approcher de trop près. En effet, si Nahri s'est liée d’amitié avec Ali, prince et fils cadet du roi Gassan, c’est également dans cette ville qu'elle a vu son Afshin, Dara, — celui qui lui a révélé ses origines et qui a versé dans son cœur les tendresses de l’amour —, se faire transpercer le cœur par la lame d’Ali : une tragédie sans précédent sur laquelle se clôt le premier tome, et qui nous laisse sous le choc.
Par conséquent, il en va sans dire que j'attendais beaucoup de ce deuxième tome, notamment du point de vue des personnages que j'espérais retrouver grandis, et sur ce point là, je ne suis pas déçue ; car, Nahri n'est plus cette fille paumée du Caire qui débarquait tout juste du monde des humains et qui ignorait tout des vices et coutumes de la terre hostile sur laquelle elle a posé les pieds, mais elle est désormais une guérisseuse de renom qui lutte pour sa survie : surveillée et dominée par ce roi tyrannique qui tient d’une main de fer la cité, Nahri doit courber l’échine, quand le besoin s’en fait sentir, mais ses prunelles brûlent toujours de cette lueur de défi qu’on aime tant et qui démontre que l’audace et l’intelligence sont un feu qu’on ne peut éteindre facilement chez ce personnage. De plus, celle-ci est devenue plus coutumière des traditions et des enjeux qui animent son peuple, quand bien même elle demeure toujours cette ancienne fille du Caire, dont le rêve est de devenir médecin et d’exercer dans les plus grands hôpitaux d’Egypte. En outre, en maîtrisant les usages de la cour la bienséance, Nahri s'affirme de plus en plus et fait valoir le peu de droits qu'il lui reste dans cette cité qu'elle considère depuis son arrivée comme une cage dorée et qu'elle quitterait sur le champ, si ses responsabilités en tant que dernière représentante des Nahids ne la tenaient pas en joue.
Des responsabilités, Ali n'en manque pas non plus : ayant toujours vécu dans l’ombre de son frère aîné, Muntadhir, il a été élevé dans l’unique but de le protéger, d’être son caïd pour être exacte : un destin qu’il remettait déjà en cause dans le premier tome et qui lui a valu l'exil.
Ainsi, chassé pendant cinq ans, Ali a été éloigné des intrigues de la cour pour lesquelles il était prêt à se mettre en danger en s’opposant à la volonté du roi. À Am Gezira, le lecteur ne découvre plus le jeune prince studieux, rigide dans ses mœurs et naïf qu'il était autrefois, mais un prince plus âgé, plus sage et plus rachitique aussi. Ce prince-là est parvenu à se construire une vie dans cette région reculée où la famine fait des ravages, mais qui demeure à bien des égards plus paisible que son ancien foyer où sa loyauté a été plus d’une fois remise en cause.
Devant des personnages d'une telle envergure, le lecteur prend plaisir à suivre leurs pérégrinations à tour de rôle, d’autant que leur psyché est si bien construite qu’on ne peut que les apprécier, en dépit de leurs défauts et de leurs erreurs. D'un côté, il est difficile de reprocher à Ali son geste, celui qui a tué l’Afshin de Nahri, alors qu’il n’était qu’un jeune prince partagé entre ses devoirs princiers et ses convictions personnelles. De l'autre côté, on ne peut que comprendre la sécheresse de Nahri, qui depuis la mort de Dara, s’est emmurée et ne souhaite plus donner sa confiance, maintes fois trahie.
Néanmoins, bien que leur relation soit désormais entachée par un drame que rien ne peut effacer, force est de constater que ces deux personnages ont davantage en commun que les apparences laissent à penser : tous deux ont des responsabilités envers leur tribu, qu’ils essaient tant bien que mal d’accorder avec leurs tentatives de construire une paix durable entre leurs peuples ; tous deux ont une curiosité et une appétence pour la lecture, — un point commun qui les a rapprochés, — et tous deux évite de se laisser aller aux sentiments qui obscurcissent la raison. Pour sûr, ces deux personnages apparaissent comme des doubles qui agissent pour les mêmes raisons, mais dont la relation s’est gâtée à cause de Daevabad, de la politique de cette cité qui répond au sang par le sang, et ce, dès que le moindre conflit n'éclate.
Toutefois, je regrette que l'autrice ait recours à l'ellipse. En effet, elle décrit d'abord ce qui se passe après la mort de Dara, — soit le mariage de Nahri et de Muntadhir, la survie d'Ali dans le désert d'Am Gezira, — avant de laisser s'écouler cinq ans, un choix qui m’a déçu, car j'aurais aimé avoir un aperçu des difficultés que Nahri et Ali ont rencontrés dans leur quotidien respectifs et des sacrifices auxquels ils ont consentis pendant ce laps de temps, — ce qui aurait été possible si l'autrice avait sacrifié quelques longueurs.
Au reste, je suis toujours autant séduite par l'univers oriental que S.A Chakraborty a créé, qui change beaucoup de ce que l'on a l'habitude de lire, et par les enjeux du roman qui rappellent sans nul doute notre situation actuelle. En effet, encore beaucoup de pays dans le monde sont gouvernés par des tyrans, qui agissent non pas dans l'intérêt des citoyens, mais dans le leur en instaurant un climat de terreur pour que nul n'ait l'idée de se rebeller.
Pourtant, en dépit du danger que cela représente, des insurgés s'élèvent toujours contre un pouvoir tyrannique qui restreint les libertés de tous, et dans Le royaume de cuivre, les personnages en font tout autant : un message fort qui invite le lecteur à oeuvrer pour protéger ses droits, qu'aucun régime ne peut tout à fait garantir.
À cela s'ajoute une verve féministe qui s'exprime à travers les actes de Nahri, lesquels témoignent d'un grand courage, qui va au-delà du sexe, car cette dernière agit selon ses convictions et non selon son genre, — un choix astucieux qui n'assomme pas le lecteur avec des paroles creuses, qu'il aura vite fait d'oublier.
En bref, ce roman fonctionne à merveille parce que l'autrice a très bien construit ses personnages, qui même à l'issue de ce deuxième tome, offrent toujours des surprises au lecteur. Autrement dit, à chaque volume, on découvre leurs différentes facettes, qui évoluent en fonction des épreuves qui se dressent sur leurs routes, de quoi garder l'attention et l'intérêt du lecteur. Sans compter l'univers oriental et mystique qui raviront les amateurs de fantasy. Un deuxième tome très réussi qui n'annonce que du bon pour celui à venir !