- Une BD qui actualise merveilleusement le roman
Un point d'histoire !
Le roman gothique Dracula, écrit par Bram Stoker en 1897, occupe une place prégnante au panthéon des écrits fondateurs de tout un pan de la pop-culture, puisqu'il a imposé la figure iconique du vampire dans tous les esprits. Place de choix qu’il occupe encore aujourd’hui dans l'imaginaire horrifique, tout en jouant des coudes avec d’autres figures majeures comme l’Alien de Ridley Scott, ou bien le Frankenstein de Mary Shelley.
Pourtant, l'auteur irlandais est bien loin d'avoir donné naissance au mythe du suceur de sang. En 1836 par exemple, l'auteur français Théophile Gautier traitait déjà du vampirisme dans sa nouvelle La Morte Amoureuse. L'idée d'un récit sur un vampire séjournant dans les Carpates existait même déjà 53 ans avant le récit de Stoker, avec le roman L'étranger des Carpates de Karl A. Wachsmann.
Malgré tout, ce roman est bel et bien celui qui a établi une grande partie des éléments devenus indissociables du genre vampirique, à savoir le pieu dans le cœur pour sceller le sort de la créature, la crainte de l'argent ou de l'ail, et bien évidemment le cercueil comme lieu de repos.
Entre-temps, le mythe de Dracula a subi diverses transformations et modifications en s'adaptant au contexte moderne, mais a toujours gardé cette dualité marquée entre le Bien et le Mal. Une dualité qui est la base même du roman, dont nous allons d’abord parler avant de s’immerger dans une de ses adaptations récentes…
L'histoire du roman
Que serait un antagoniste légendaire sans ses propres ennemis ? Dans le roman de Stoker, dont la narration est essentiellement épistolaire ou sous forme de journal, plusieurs personnages – hostiles au monstre mais familiers au lecteur – orbitent autour de ce comte prêt à abattre sa furie sanguinaire sur le monde entier :
Il y a d'abord le jeune clerc de notaire Jonathan Harker, mandé par le comte Dracula dans sa demeure aux tréfonds des Carpates pour faire acquisition de propriétés à Londres, sa femme, Mina, mais aussi la jeune Lucy, victime de l'emprise de Dracula, tapi dans ses rêves...
Et enfin, il y a bien sûr le célèbre Némésis du comte, le docteur Van Helsing, qui est ici bien loin du personnage moderne que l'on connaît : car oui, avant d'être un chasseur de démons impitoyable portant tout un attirail pour massacrer les vampires, il est à l’origine un médecin néerlandais parlant très mal l'anglais, mais doté d’une grande culture sur les vampires !
Le fait de découvrir un personnage aussi "kitsch", loin de la figure virile que l’imaginaire hollywoodien véhicule depuis des décennies, est l’occasion de rappeler un détail important : si l’on découvre le roman Dracula de nos jours, plusieurs éléments de prose pourront sembler datés, voire mièvres. Il n’y a qu’à voir les longues tirades plaintives de certains personnages face aux événements, ainsi que les lettres parfois très larmoyantes qu’ils s’envoient, pour avoir rapidement envie de refermer l’ouvrage, convaincu de ne pas avoir ouvert le bon.
De plus, certains passages se révèlent assez inutiles et laborieux (on pensera ici à toute la traque pour retrouver Dracula, ou même les tourments de Lucy avant son trépas qui ne semble jamais finir), et pour ceux qui découvrent le roman, le combat final contre Dracula qui pourra paraître décevant, surtout après une longue traque de quelques centaines de pages à travers Londres et la Roumanie.
Pourtant, si l’on est prêt à forcer un peu sa lecture, le lecteur comprendra assez vite quelle est la véritable force du roman de Stoker, à savoir la lutte épique entre Dracula, cette entité incarnant le Mal dans sa plus pure forme, face à une poignée de femmes et d'hommes aux intentions bonnes.
La lutte entre ces deux camps symbolise finalement deux discours en adéquation avec l'époque de parution : d'abord un discours purement biblique, qui impose la figure d'une humanité capable d'affronter les ténèbres sans jamais choir, à l’image des protagonistes principaux unis dans l’adversité.
Ensuite, un message presque anti-julesvernien, qui remet sur le devant de la scène un fantastique prenant ses racines dans les traditions et les folklores oubliés, à l'inverse de Verne et de son fantastique machiniste et scientifique.
Ainsi, loin d'être anachronique ou ringard, le roman de Bram Stoker est encore un objet littéraire fascinant, reflet d'une époque et d'un âge d'or victorien en passe de s’achever, mais surtout un récit épique mêlant gothique et fantastique, ayant influencé tout un pan de l'imaginaire et dont les ramifications s’étendent encore.
Et la BD, alors ?
Après avoir détaillé les qualités de l'œuvre d’origine, il est intéressant de jeter un regard vers l’avant afin de voir si, encore aujourd’hui, l’icône de Dracula fascine toujours. Après tout, trente ans après le Dracula de Coppola (et seulement dix depuis celui de Dario Argento !), on est en droit de se demander ce qui pourrait encore être raconté sur le célèbre comte de Transylvanie, tant le mythe semble avoir été traité sous tous les angles.
Le dessinateur français George Bess, collaborateur de longue date d’Alejandro Jodorowsky depuis les sagas du Lama Blanc et Juan Solo, a peut-être un élément de réponse, caché dans les froides contrées des Carpates…
L’idée, avec sa bande-dessinée, est d’offrir un hommage graphique soigné à l'œuvre originale, tout en sachant amputer les éléments datés, les lourdeurs (en effet, de l’aveu même de Bess, ayant découvert le roman dans la foulée avant de l’adapter, le roman était illisible, mal écrit et désuet ! ). Adieu les longues tirades mièvres, les pérégrinations sans but, les échanges épistolaires artificiellement allongés... L’essentiel est ainsi préservé : les personnages et leurs tourments, et la prose exquise de Stoker. Avec un usage impressionnant du pinceau et de l’encre de Chine, Bess délivre un récit horrifique conjuguant la beauté du noir et blanc et l’effrayante menace de Dracula, toujours intacte tant de siècles après.
Il nous offre ce qui est sûrement la plus sublime lettre d'amour graphique au roman, avec un coup de pinceau rappelant les illustrations de Gustave Doré. Bess connaît les maîtres, et il s'en inspire au travers de longues doubles pages garnies de détails jusqu’au vertige afin de davantage cerner l’horreur qu’inspire le comte Dracula pour le monde entier.
Comment ne pas voir quelle menace il représente, quand Bess lui appose des traits à la fois bestial et mystique, et qu’il lui confère une aura menaçante digne des plus grands fléaux de notre temps ?
Le Dracula de George Bess est trouvable juste ici !