- La question religieuse en toile de fond
Nous n’avions pas le choix, il fallait se convertir ou partir. Ils ont rassemblé tous les enfants musulmans. Nous avons été envoyés dans des instituts pour y être élevés dans leur foi.
Jean-Laurent Del Socorro avait fait une entrée remarquée dans la fantasy historique avec Royaume de vent et de colères, en 2015, aux éditions ActuSf. Et, cette année, il revient avec un préquel, Du Roi je serai l’assassin, où l’on retrouve un personnage emblématique de son premier roman : Silas le Turc. A travers ce roman d’apprentissage, on explore l’enfance difficile du jeune Maure, né non pas en Turquie mais en Andalousie catholique !
Il faut reconnaître que l’auteur capte tout de suite son public avec des chapitres courts et des phrases de fin accrocheuses, que je me suis souvent surpris à relire à haute voix. Et c’est cette facilité de lecture qui fait envie et qui nous pousse à découvrir l’enfance de Sinan (le futur Silas le Turc) à Grenade. Ce dernier grandit au milieu du savoir mais aussi de la rancœur et de la haine. En effet, les rois catholiques viennent de reprendre l’Espagne aux dernières dynasties musulmanes et les mosquées sont détruites les unes après les autres. Ils ont manqué à leur parole de tolérance et les Juifs en ont déjà eu pour leur frais : l’exil ou la conversion. Certains Musulmans rebelles se cachent dans les montagnes, tandis que Silas et sa famille sont convertis de force au catholicisme. Sur fond d’inquisition et d’obligations envers une foi que sa famille renie, Silas va avoir un parcours étonnant (surtout quand on sait quel rôle il joue dans Royaume de vent et de colères : un assassin).
Il va suivre l’enseignement d’une jeune toubib (une médecin interdite de pratique du fait de son sexe), qui va également lui révéler les secrets de la magie ancienne de l’Orient. Dans Royaume de vent et de colères, c’était la magie du Tarot de Marseille qui était en jeu pour comprendre les actions des personnages. Cette fois, l’auteur s’est tourné vers le mysticisme oriental avec ses glyphes et ses tatouages à l’henné. Mais Silas va également apprendre l’art des armes aux côtés de sa sœur (que l’on retrouve dans le premier roman), sous l’égide d’une rebelle musulmane.
Mais c’est la découverte de la magie qui va forcer le destin de Silas et de sa sœur. En effet, il existerait une pierre du dragon permettant de doter son porteur d’une puissance fabuleuse, et qui (qui sait ?) permettrait aux musulmans d’Espagne de reprendre leurs terres. Leur père les enverra donc à Montpellier, en quête de cette pierre mystérieuse et afin de parfaire leur savoir médical. Ce qui permet à l’auteur d’évoquer un autre conflit religieux, cette fois au cœur du christianisme : la révolte calviniste et protestante. Dans le Royaume de France, on brûle également les hérétiques…
Du Roi je serai l’assassin permet de comprendre certains éléments présents dans le premier roman de Jean-Laurent Del Socorro (que je n’avais pas encore lu à l’époque de ma lecture du Roi je serai l’assassin) et même quelques remarques et comportements du futur Silas le Turc, maître assassin de la guilde de Marseille. En rejetant le roman choral pour un récit plus personnel à la 1ère personne, on se rapproche davantage de ce personnage toujours guilleret et sarcastique dans le premier roman. De plus, l’intrigue liée à l’Artbon, la pierre du dragon, et la pincée de magie orientale complètent l’univers construit par le Royaume de vent et de colères !
Du Roi je serai l’assassin est un excellent préquel car, d’une part il propose un roman qui peut se lire totalement indépendamment de la première œuvre, tout en servant le plus justement les fans de la première heure de Jean-Laurent Del Socorro. Les conflits religieux qu’il met en scène nous rappellent tout le chemin parcouru en Europe pour la tolérance et ce que l’Homme peut commettre comme atrocités. A lire pour les passionnés d’Histoire !