Alors que l'Histoire antique a décidé d'évincer en grande partie les femmes, ces êtres imparfaits que l'on a créé à partir de la côte d'Adam, Emmanuel Chastellière en a décidé autrement : en donnant la parole aux femmes à travers son roman Himilce, celui-ci tisse un récit original où il n'est pas question de suivre les exploits héroïques d'un guerrier bien bâti, mais bien ceux d'une épouse quittant son foyer et ses repères pour s'installer à Carthage, la ville de son époux parti guerroyer.
Le cadre ainsi que le personnage féminin sont les raisons pour lesquelles je me suis laissée embarquer dans cet univers antique où les dieux et la guerre priment. Territoires boisés, vents salés et mariniers : le lecteur voyage de part en part aux côtés d'une héroïne courageuse, intelligente et fougueuse.
Toutefois, il m'a fallu quelque temps pour adhérer à ce personnage qui affiche dès les premières pages un détachement assez déconcertant, et pour cause : une princesse ne doit jamais faire l'étalage de ses sentiments ni perdre contenance en toute circonstance. Tel est son rôle, un rôle qu'Himilce tente de remplir tant bien que mal quitte à déstabiliser le lecteur.
Or, à ma surprise, l'héroïne s'affirme de plus en plus : au fil des pages, cette princesse perd peu à peu son détachement guindé pour devenir une femme militante qui tente d'exercer le peu de liberté octroyée à son sexe.
Cette volonté sans failles s'exerce également chez les personnages secondaires qui désirent se libérer tout autant qu'Himilce des affres de la guerre et des liens qui les briment. Ainsi, chaque personnage apporte sa propre pierre à l'édifice dans la quête commune qui les anime.
Qui plus est, nul sentiment de jalousie ou d'animosité ne règne parmi la communauté des femmes, à la différence des nombreux films et romans que j'ai pu voir où il est courant de mettre en scène des femmes divisées par des rivalités et conflits quelconques. Enfin, ce lien que l'auteur s'échine à nouer entre les personnages féminins me rappelle incontestablement le recueil Sororité, écrit par Chloé Delaume.
À l'instar de ce recueil, Himilce ne fait qu'un avec ses sœurs, faisant preuve d'une solidarité et d'une entraide sans faille dans une société où les inégalités sévissent.
À côté de cette démarche honorable, je regrette simplement les scènes expéditives et les ellipses qui évoquent en surface les événements et les enjeux importants. Selon moi, écrire un roman plus long aurait permis de développer, de montrer davantage les scènes, d'approfondir les interactions entre les personnages pour ressentir un peu plus la progression de l'intrigue et pour créer une véritable immersion chez le lecteur.
Au reste, la plume d'Emmanuel Chastellière rehausse le niveau tant pour son élégance que pour son efficacité. Les pages ne s'en tournent que plus vite, et le suspense n'en est que plus grand, si bien que la curiosité l'emporte sur tout le reste : que va devenir Himilce dans une société d'hommes ?
Pour le découvrir, lisez sans plus tarder ce roman où la petite histoire et la grande Histoire s'entrechoquent dans les pérégrinations de cette héroïne qui trace son propre destin. Un roman à glisser dans la valise pour l'été !