Critiques

Le Fort Intérieur : Alice Au Pays de la Première Guerre Mondiale

Par Aetherys
4 min 24 mai 2023
Le Fort Intérieur : Alice Au Pays de la Première Guerre Mondiale

Certains livres, gommés par le passage du temps, laissent parfois dans leur sillon une influence qui touchera tout un pan de la littérature sans même qu'on ne le sache. Si, grâce au travail éditorial de certaines maisons certains ont pu être réveillé de leur longue torpeur, à l'image des récits de Lovecraft qui sont désormais devenus des références, d'autres sont en passe de s'éveiller enfin. 

 

Le Fort Intérieur, troisième roman de l'autrice britannique Stella Benson en fait partie sans l'ombre d'un doute et il faut s'en réjouir, car l'on trouve de nombreuses choses dans son sillon.

 

L'histoire

 

Il est complexe de résumer ce qu'est Le Fort Intérieur. Au mieux puis-je vous proposer de lire cet extrait de la présentation que fait la sorcière de L'île Moufle à notre protagoniste, Sarah Brown, alors qu'elle s'apprête à lui rendre son balai magique :

 

Cette maison s'appelle le Fort Intérieur. Cette maison est un monastère et un couvent pour les moines et les religieuses vouées à des dieux inconnus. Pour ceux qui ne savent pas encore cuisiner mais déteste l'être.

 

Car la magie est de la partie, dans Le Fort Intérieur... mais pas que, car la guerre frappe aussi à la porte de l'univers de Sarah. Le récit, paru en 1919, est empreint d'un contexte post-première Guerre Mondiale dans lequel l'autrice nous immerge afin de mieux saisir le caractère des personnages, victimes d'un conflit qui les dépasse, mais désireux de participer à l'effort de guerre.

 

Light-fantasy féministe ? 

 

Pour autant, Le Fort Intérieur n'est pas un récit introspectif sombre et tortueux, mais plutôt un précurseur de la light-fantasy, avec une touche d'humour que n'aurait pas renié Terry Pratchett. On peut même pousser la comparaison plus loin en y trouvant une touche très prononcée de Alice au Pays Des Merveilles, tant l'univers dépeint par Benson est fantasmagorique et farfelu par instants. Les réactions de la sorcière, par exemple, donneraient presque à voir Le Chapelier Fou sous des traits féminins ! 

Douceur humaniste

 

Il y a aussi un aspect profondément humaniste dans la vision qu'a l'autrice anglaise de la magie. On peut s'en convaincre par la galerie de personnages attachants, par la jeune Sarah Brown et son rapport naïvement touchant avec le monde... mais surtout car, d'après ses dires :

 

"Plus un monde sombre dans la perversion, plus facilement la magie ressurgira pour le sauver."

 

C'est donc l'esprit serein que nous suivrons les aventures hallucinées de Brown, sa traversée de la Forêt enchantée, cette "accumulation de songe", et bien sûr son lien incongru avec la Sorcière ! 

 

La réédition du Fort Intérieur et la résurrection éditoriale de Stella Benson en France, nous la devons aux éditions Callidor, une maison d'édition spécialisée dans la littérature d'imaginaire d'époque et dont le travail soigné se retrouve autant dans leurs ouvrages de grande qualité que dans l'appareil critique qu'elle fournit dans ses ouvrages. 

 

Le Fort Intérieur n'y fait pas exception pour sa peau neuve au sein de la maison (on pouvait avant cela le trouver dans une version un brin différente !). On retrouve à nouveau les sublimes illustrations de Anouck Faure qui captent parfaitement l'essence du roman, ainsi qu'une agréable préface de Élisabeth Vonarburgh ! L'appareil critique est complété par une imposante postface et un portrait de Stella Benson, donnant ainsi du grain à moudre à quiconque chercherait à trouver les clés de l'univers du Fort Intérieur. 

En Conclusion

 

Une nouvelle fois, les éditions Callidor font mouche dans leur approche critique et leur travail minutieux, en cherchant à ressusciter une perle oubliée de la littérature de fantasy anglaise que nous pouvons désormais considérer comme un classique du genre.